«Le syllogisme est imparable : »Nous avons du mal à trouver des stages pour les étudiants, donc la gratification des stages est inadaptée !» Et si, plus que le problème de la gratification, c'était le modèle des formations de travailleurs sociaux, qui ont été bâties sur le modèle des formations sanitaires (2) par une alternance de sessions théoriques et de stages pratiques, qui était obsolète ?
Tout travailleur social a été formé selon ce modèle de l'alternance et devrait avoir à coeur d'accueillir de futurs confrères et de participer de leur formation, voire d'en tirer des enseignements. Or les professionnels et les établissements et services rechignent à accueillir des stagiaires et ce problème est bien antérieur à celui de la gratification.
Plusieurs raisons peuvent expliquer cette situation.
Certains ont mal vécu leur formation et ne veulent plus de contact avec les instituts de formation. C'est aussi ce qui explique que nombre d'entre eux - de même que la majorité des salariés - ne partent jamais en formation professionnelle.
D'autres subissent une telle pression au travail (liée à l'employeur, aux usagers ou aux deux) qu'ils envisagent difficilement de pouvoir accueillir un stagiaire. Demandez à un délégué à la tutelle qui gère entre 80 et 100 mesures où et quand il peut glisser le tutorat d'un stagiaire.
On trouve aussi des gestionnaires persuadés que leur budget est bouclé à l'euro près et pensent n'avoir ainsi aucune marge de manoeuvre. A vouloir rassurer la direction départementale des affaires sanitaires et sociales ou le conseil général, ils ne font que désespérer leurs équipes.
D'autres sont déroutés par l'organisation des centres de formation. Accueillir un stagiaire, c'est lui présenter un type d'établissement ou de service, une organisation, des situations et lui permettre, dans le cadre de son stage et sous tutorat, d'accompagner les publics accueillis, de comprendre la fonction et le lien avec les apports théoriques. Ce qui suppose un minimum de respect des personnes et donc un temps d'intégration. Quand un centre de formation propose des stages en quatre fois deux semaines réparties sur l'année, il règle sans doute ses problèmes de fonctionnement mais se fiche de l'implication des services et des tuteurs et se contrefiche des usagers (nous avons eu ce cas cette année).
On rencontre encore des maniaques du secret professionnel, qui ne communiquent même pas avec leurs collègues et qui (horreur !) ne peuvent envisager ne serait-ce que d'apercevoir un stagiaire.
Il y a enfin des établissements qui aimeraient bien recevoir des stagiaires, mais ils sont passés du mode ou fonctionnent en internat et même pire, en zone rurale... Quand ils proposent leurs services, ils n'obtiennent même pas d'accusé de réception à leur courrier.
De nombreux facteurs se conjuguent ainsi pour expliquer les difficultés à trouver des stages.
Nous sommes une petite structure avec une vingtaine de personnels, nous avons accueilli six stagiaires depuis septembre 2008, en BEP sanitaire et social comme en formation de travailleur social. Nous sommes fiers de leur montrer ce que nous faisons, ce que nous construisons, heureux de leur consacrer du temps, de leur expliquer nos outils, notre projet, les valeurs de notre institution, riches de ce qu'ils nous apportent, de la manière dont ils interrogent et parfois bousculent nos évidences et nos certitudes.
Pour autant, je trouve le modèle de formation des travailleurs sociaux désuet, cher, préparant mal les futurs travailleurs sociaux.
Le modèle de l'alternance se justifie pour des formations très techniques dans lesquelles l'apprentissage en centre reste insuffisant par rapport aux exigences des entreprises. Notre métier nécessite certes de la théorie et de la pratique, puis du temps, de l'expérience. Mais il nécessite de plus en plus de pouvoir mener des travaux de recherche, d'analyse, d'étude, d'élaboration de projets, de rédaction qui sont l'essence des formations universitaires ou post-bac, beaucoup plus denses que les formations de travailleurs sociaux.
Avec la décentralisation, le coût des formations de travailleurs sociaux a pu être évalué : plus chères que les formations d'ingénieurs !
De plus en plus, les conseils régionaux vont lancer des appels d'offres et appels à concurrence. Le barrage des directions régionales des affaires sanitaires et sociales qui ont la responsabilité de l'agrément des centres va vite disparaître quand les universités et les IUT, qui n'ont pas besoin de cet agrément, vont se mettre sur les rangs (et comme ils coûtent moins cher pour les régions...).
Mais surtout, les écoles véhiculent une conception du travail social qui n'est plus celle du terrain, avec différentes corporations très spécialisées £qui ne traitent chacune qu'une partie du dossier. Un travailleur social traite de la personne, de ses difficultés économiques, sociales, psychiques, de son environnement, de sa situation administrative, de son autonomie. Les caisses d'allocations familiales, de plus de plus de conseils généraux et d'établissements ne s'y trompent pas qui publient des offres d'emploi de travailleurs sociaux polyvalents dans leurs interventions, leur prise en compte des usagers ou des problématiques, leur analyse et leur traitement des demandes, souvent plurielles.
Ces travailleurs sociaux ont besoin d'apprentissages de base qui peuvent s'acquérir en deux ans dans les universités, les IUT, les BTS. Des formations complémentaires sont nécessaires pour acquérir une culture professionnelle mais elles pourraient être concentrées sur une année, sur le modèle qui prévaut pour les conseillers en économie sociale et familiale. Les centres de formation y ont toute leur place, mais aussi les établissements et services, à condition de les impliquer au plus tôt dans la formation, ainsi que dans l'organisation et la validation des stages.
Quant à la gratification, elle doit devenir aussi banale que le salariat, comme une évidence, comme un progrès social. »
Contact : AHIS Cahors - Tél. 05 65 21 38 60 E-mail :
(2) Les assistantes sociales étaient à l'origine des infirmières spécialisées.