Recevoir la newsletter

DALO : un droit dilué dans la pratique ?

Article réservé aux abonnés

Déficit d'information et de moyens, « autocensure » des professionnels, « filtrages » en amont de certaines commissions de médiation... Dans son rapport 2009, la Fondation Abbé-Pierre alerte sur les risques de détournement de l'esprit de la loi sur le droit au logement opposable, au potentiel pourtant prometteur.

Un an après sa mise en oeuvre, la loi sur le droit au logement opposable (DALO) produit des effets encore « limités et incertains », tandis que le gouvernement persiste à mener « une politique obstinée » du logement en décalage avec les besoins. Le ton du rapport annuel de la Fondation Abbé-Pierre (1) est, cette fois, d'autant plus acerbe que s'annoncent deux années dont chacune pourrait être qualifiée d'annus horribilis sur les plans économique et social, selon les termes de Patrick Doutreligne, délégué général de la fondation.

Hésitations et résistances

Quel bilan pour le DALO ? Alors que 500 000 à 600 000 personnes avaient été estimées potentiellement éligibles, seuls 70 000 dossiers ont été déposés en commission de médiation au 31 décembre 2008. Et 90 % de la demande est concentrée dans six régions. Une répercussion assez faible en raison d'un déficit évident d'information et de mobilisation : « A peine la loi votée, on n'en parlait déjà plus », souligne Patrick Doutreligne... Qui fait la comparaison avec la communication faite sur la « maison à 15 € par jour ». Comme l'a déjà regretté le comité de suivi de la loi, et le rapport de Paul Bouchet (voir ce numéro, page 5), l'information, destinée à des publics fragilisés éloignés des services publics, n'a pas été à la hauteur. Au-delà, « on peut s'interroger sur les hésitations ou les résistances de certains acteurs à faire remonter les demandes », ajoute la fondation. Intervenants sociaux qui rechignent à engager les usagers dans une démarche incertaine (d'autant qu'un refus interdit la possibilité d'un nouveau recours), associations qui préfèrent miser sur leurs accords locaux plutôt que sur le cadre plus contraint du DALO, offices HLM perturbés par l'injonction contradictoire de répondre à la demande et de préserver la mixité sociale... « Toutes ces réticences mises bout à bout autorisent à parler d'une véritable «autocensure». »

Mais l'écart entre l'esprit de la loi et la pratique s'explique aussi par le fonctionnement même des commissions de médiation, que la fondation s'est attachée à décrypter dans une dizaine de départements. Premier obstacle : la complexité de la procédure, renforcée par des demandes supplémentaires d'informations qui varient d'un département à l'autre. Dans les Bouches-du-Rhône, par exemple, 21 % des dossiers ont été renvoyés car incomplets ! De façon générale, « les travailleurs sociaux sont insuffisamment mobilisés pour accompagner les personnes dans le dépôt d'un recours, parfois par défaut de formation sur le sujet, mais aussi parce que leurs hiérarchies ne les y convient pas toujours, quand elles ne s'y opposent pas », par crainte d'une charge administrative supplémentaire. En première ligne pour accompagner les demandeurs, peu d'associations ont de fait sollicité l'agrément prévu, faute de moyens accordés à cet effet.

Plus délicate est l'interrogation qui pèse sur la nature du travail réalisé en amont des commissions. De la réception des dossiers à leur instruction par les secrétariats, d'importants retards sont enregistrés (fin octobre 2008, 58 % des dossiers avaient été examinés en commission). Pour pallier l'engorgement des instances - dans la Seine-Saint-Denis, le temps accordé à chaque dossier par séance n'excède pas une minute -, le rôle de certains secrétariats est étendu, à tel point qu'ils « absorbent en quelque sorte une partie de la mission des commissions de médiation ». A d'autres endroits, par souci d'articuler le DALO avec les dispositifs développés dans le cadre de l'action en faveur du logement des personnes défavorisées, la pré-instruction est assurée par les instances du plan départemental. Attention dans ce cas, avertit la fondation, à ne pas voir le DALO être dilué dans des dispositifs avec lesquels il était censé rompre « pour substituer une logique de droit à une logique de traitement social ». Plus généralement, regrette-t-elle, quand la phase d'instruction aboutit à un filtrage des demandes, l'obligation de résultat imposée par la loi à l'Etat tend à être remplacée par un « calibrage de son action fondé sur les moyens existants ». Des moyens réputés largement insuffisants, d'autant que le contingent préfectoral (60 000 logements par an, mais il est surtout sollicité dans les grandes villes) risque d'être vite saturé et que l'unique recours à ce parc pourrait renforcer la ségrégation territoriale.

Les craintes d'une application restrictive se renforcent au vu des décisions rendues : fin octobre 2008, 45 % des dossiers faisaient l'objet d'une décision favorable. De nombreux débats subsistent sur la légitimité de certaines demandes, en fonction de l'interprétation donnée aux textes réglementaires. Ainsi en va-t-il de la définition du « logement adapté », de l'examen du devoir d'obligation alimentaire, ou du moment auquel, dans une procédure d'expulsion, l'urgence à reloger doit être appréciée. Autre dérive : la notion d'urgence peut être utilisée pour sélectionner les situations les plus critiques. D'où la nécessité, réclame la fondation, de former une jurisprudence nationale. « Si l'Etat ne met pas le bon ordre entre ce qui relève de la loi et de la pratique, le DALO ne permettra pas de faire valoir ses droits », prévient Patrick Doutreligne.

« Une politique obstinée »

Reste que si le nombre de ménages relogés est encore très faible - 4 159 à la fin octobre 2008, en intégrant les personnes ayant trouvé une solution avant leur passage en commission de médiation -, la loi a tout de même le mérite de sortir les situations de mal-logement de l'invisibilité. Mais elle sera efficace, martèle la Fondation Abbé-Pierre, seulement si elle parvient à réorienter la politique du logement en faveur des plus modestes. « Or l'Etat reste aveugle aux besoins sociaux », dénonce Christophe Robert, directeur des études de la fondation. Le projet de loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion, actuellement examiné au Parlement, n'intègre pas les propositions du rapport du député Etienne Pinte de septembre dernier et comporte même des dispositions jugées dangereuses. Après avoir progressé depuis 2004, le niveau de la construction est en recul en 2008 et la « déformation de l'offre » par rapport aux besoins se poursuit : 67 % des logements construits étaient soumis à un plafond de ressources en 2000, contre 40 % aujourd'hui. Quant au pouvoir solvabilisateur des aides au logement, il a diminué de 12,5 % entre 2001 et 2008.

Le volet « logement » du plan de relance ne suffira pas à compenser la chute de 7 % du budget pour 2009, estime la fondation, et parmi les 100 000 logements prévus, moins de 50 % sont véritablement sociaux. Sans ambages, le rapport conclut à une politique « incertaine et incohérente » et à « un paradoxe puissant et inquiétant au moment où l'Etat, via le DALO, a réaffirmé son rôle de garant de la mise en oeuvre du droit au logement, où la crise financière et économique fait basculer de nombreux ménages dans la précarité... et où la situation appelle donc à davantage de solidarité ».

LE MAL-LOGEMENT SOUS-ESTIMÉ DES PERSONNES ÂGÉES

La parenthèse de l'amélioration du niveau de vie des personnes âgées, après les trente glorieuses, semble se refermer, alerte le rapport de la Fondation Abbé-Pierre. Le vieillissement, catalyseur des inégalités, accentue les situations d'exclusion, notamment de mal-logement, largement sous-estimées pour ce public. Le rattrapage par les retraités du niveau de vie moyen des actifs depuis les années 70 s'est, en effet, interrompu. Alors que pour une personne seule, le minimum vieillesse (600 000 allocataires, dont 60 % de femmes) atteignait à peu près le seuil de pauvreté en 1990, il n'en représentait plus que 88 % en 2005. Conséquence : une part croissante de ménages âgés, confrontée à l'effet ciseau de la chute de leur reste à vivre et de la hausse de leurs charges, recourt aux aides sociales ou à l'assistance des associations. Et les disparités s'accroissent quand survient la nécessité de recourir à une aide à domicile ou à un établissement spécialisé : « Près de 80 % des personnes en établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes doivent faire appel aux ressources de leurs proches pour financer leur prise en charge ou mobiliser une partie de leur patrimoine. » La situation globalement favorable des personnes âgées, constate la fondation, a conduit à masquer que « des personnes vieillissent à la rue et y meurent parfois, que de vieux travailleurs migrants n'ont d'autre perspective que de vieillir dans des foyers qui ne sont plus adaptés à leur situation quand survient la perte d'autonomie, que des personnes âgées sont captives d'un habitat insalubre et y vivent dans des conditions intolérables ». Un ménage sur cinq vivant dans les taudis recensés en 2007 par la fondation était composé de personnes âgées.

Avec le passage à l'inactivité, la précarisation économique, le veuvage, l'isolement et les autres ruptures de la vie conduisent à des trajectoires résidentielles « descendantes ». Les personnes âgées qui cherchent à entrer dans le parc HLM ne sont généralement pas jugées prioritaires et, lorsqu'elles y sont, celui-ci n'est pas toujours adapté à leur situation. En outre, être propriétaire n'est pas une garantie pour l'avenir : parmi les ménages dont le revenu est inférieur au seuil de pauvreté, 84 % sont propriétaires ou sont logés gratuitement. Le tassement du pouvoir d'achat des personnes âgées rend en outre de plus en plus difficile l'entretien de leur patrimoine immobilier, voué à la dégradation progressive.

« Alors que l'on pourrait espérer des politiques publiques qu'elles cherchent à atténuer cette disparité de revenu, les réflexions actuellement en cours font craindre le contraire », déplore la fondation, faisant référence aux modalités de financement envisagées pour le « cinquième risque ». Il faudrait créer environ 115 000 hébergements institutionnels d'ici à 2015, préconise-t-elle, et, au-delà de la question des revenus, l'Etat devrait se montrer plus ambitieux sur le sujet du logement des personnes âgées, que ce soit pour le financement de l'adaptation du parc HLM ou du développement de l'hébergement temporaire. M. LB.

Notes

(1) Rapport annuel 2009 - L'état du mal-logement en France - Disponible sur www.fondation-abbe-pierre.fr.

Sur le terrain

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur