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« Le Planning familial reste essentiel »

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Menaces sur le financement du Planning familial, difficultés d'accès à l'IVG, pression sociale sur les filles des banlieues... Si des progrès ont été réalisés depuis vingt ans en matière d'information sexuelle, notamment pour la prévention du sida, la sexualité des femmes, en particulier dans les milieux défavorisés, reste semée d'embûches.

Le Mouvement français pour le planning familial fait état de fortes inquiétudes sur le financement de ses consultations. Pensez-vous que l'on assiste à un désengagement de l'Etat en matière d'information et de prévention sur la sexualité ?

On observe en tout cas clairement un désengagement en ce qui concerne le Planning familial. Et ce sont les jeunes filles les plus précaires, les plus déshéritées sur le plan social, qui seront les premières pénalisées. Pour elles, il est souvent très difficile d'aller consulter un médecin. Ne serait-ce que parce qu'elles doivent demander de l'argent à leurs parents pour payer la consultation et que, pour certaines, il est impossible d'avouer qu'elles ont eu des relations sexuelles. En revanche, si elles vont au Planning familial, c'est gratuit, anonyme, et personne dans leur famille ne peut le savoir. On leur donne toutes les informations utiles pour les aider à résoudre leur problème. Si le centre du Planning familial de leur localité ferme, elles devront se déplacer dans la ville voisine. Ce qui va rendre les choses plus difficiles. Pour toutes ces raisons, il est irresponsable de mettre en cause le bon fonctionnement du Planning familial, qui demeure une structure irremplaçable.

Si le nombre des avortements reste stable en France depuis 2002, il est en augmentation chez les mineures. Cela marque-t-il une régression en matière d'information sur la contraception ?

Le nombre des interruptions volontaires de grossesse chez les mineures a effectivement augmenté, alors que celui des grossesses est resté plutôt stable. Cela montre plutôt que ces jeunes femmes semblent un peu mieux informées aujourd'hui sur les délais et les démarches. L'augmentation des IVG chez les mineures apparaît comme un progrès, si l'on considère qu'auparavant davantage de jeunes filles enceintes ne savaient pas quoi faire, ou prenaient conscience de leur état trop tardivement. Se retrouver aussi jeune avec un bébé se révèle une situation, en général, loin d'être idéale. Le fait qu'elles puissent avoir recours plus facilement à l'IVG, si elles le souhaitent, est une bonne chose. D'ailleurs, dans ce domaine aussi, le Planning familial fait un travail tout à fait irremplaçable. Car où aller quand on est mineure pour obtenir des informations en cas de grossesse, sinon au Planning familial ? Le problème est, en réalité, qu'actuellement les femmes ont de plus en plus de mal à obtenir des IVG dans le système hospitalier. Non seulement les structures sont en nombre insuffisant dans certains départements, mais de plus l'acte médical que constitue l'IVG n'est ni valorisé ni bien payé. Il n'attire donc pas la jeune génération de médecins, et la relève n'est pas assurée, alors que la génération militante de l'IVG part à la retraite. L'hôpital est censé accueillir dans les délais prescrits par la loi les femmes qui souhaitent faire pratiquer une IVG, mais celles-ci se voient de plus en plus souvent répondre qu'il n'y a pas de place et qu'il faut attendre. Ce qui signifie parfois dépasser les délais légaux et être obligées, pour celles qui le peuvent, d'aller avorter à l'étranger.

Dans les années 1970 et 1980, de réelles avancées ont vu le jour en matière d'éducation sexuelle, de prévention et de maîtrise de la fécondité. Ces avancées vous semblent-elles aujourd'hui menacées ?

Je constate surtout un manque total de vigilance. Bien sûr, sur certains sujets, des actions d'information ont été entreprises. Par exemple, en ce qui concerne le sida et l'utilisation du préservatif. Les campagnes ont porté leurs fruits et, aujourd'hui, les premières relations sexuelles se déroulent le plus souvent avec préservatif. C'est passé dans les moeurs des jeunes. Un autre progrès important a été fait avec la possibilité, depuis 2001, d'avoir accès dans les lycées et les collèges à la pilule du lendemain, qui peut être fournie gratuitement par l'infirmière sans que les parents soient mis au courant. Même si tous les établissements scolaires n'ont pas une infirmière présente en permanence. Malheureusement, ce travail d'information sur la sexualité n'est pas assez entretenu. Il devrait être renouvelé en permanence car, chaque année, une nouvelle génération parvient à l'âge d'avoir des relations sexuelles. Et la campagne d'information que l'on a faite trois ou quatre ans plus tôt ne l'a pas touchée. La responsabilité de la collectivité publique reste donc très importante, car l'information, qu'elle soit délivrée par le Planning familial, les établissements scolaires ou dans le cadre de campagnes publiques, fournit un moyen de rétablir une certaine égalité entre des jeunes complètement livrés à eux-mêmes dans ce domaine et d'autres qui profitent d'une facilité d'accès à l'information, à la contraception et au médecin. C'est vrai aussi pour le milieu rural, où les lieux d'information sur la sexualité sont moins accessibles qu'en ville. Il persiste en outre une certaine pression sociale dans les villages, où tout le monde se connaît et où le jugement des voisins compte. On le voit notamment avec l'homosexualité, beaucoup moins bien admise en milieu rural qu'en milieu urbain.

Dans les années 1970, beaucoup espéraient que la famille puisse aussi être l'un des vecteurs d'information sur la sexualité...

En réalité, il est apparu qu'il n'existe pas une transmission naturelle d'une génération à l'autre. Le foyer familial, on le sait, ne représente pas le lieu le mieux adapté à des discussions sur la sexualité. Les enfants ressentent souvent les questions des parents comme intrusives. Et puis parler de sexualité en famille signifie aussi pour les jeunes se représenter la sexualité de leurs parents. Ce qui n'est pas simple. Beaucoup de parents ne se montrent d'ailleurs eux-mêmes pas très à l'aise pour en parler. Ou alors ils ne s'inquiètent que d'une chose : savoir si leur enfant a déjà eu des relations sexuelles. Sans parler des familles où le problème n'est même pas censé exister, les filles devant arriver vierges au mariage. C'est vrai en particulier pour certaines jeunes femmes de culture musulmane. Dans mon enquête sur la vie sexuelle en France, j'avais interrogé un certain nombre d'entre elles. Elles étaient scolarisées et s'habillaient comme toutes les filles de leur âge. Plusieurs avaient même des petits copains, avec lesquels elles pouvaient avoir des pratiques sexuelles, sauf la pénétration car, dans leur famille, la virginité au mariage ne se discutait pas. Cela conduisait quelques-unes à accepter des pratiques auxquelles elles n'auraient pas nécessairement recouru si cet interdit n'existait pas. La situation de ces jeunes apparaît très difficile, car cette exigence de la virginité s'accommode mal de la liberté qu'elles ont envie de connaître comme d'autres filles de leur âge. D'où, d'ailleurs, le recours assez fréquent à la réfection chirurgicale de l'hymen. Sinon, cela peut s'avérer dramatique et, parfois, aller jusqu'au crime d'honneur.

Peut-on affirmer que le recours à la contraception est devenu aujourd'hui une évidence en France ?

Il faut rappeler que la prévention repose toujours essentiellement sur les femmes, qui portent la responsabilité de bloquer leur fécondité. Même si les hommes ont une part de pratiques préventives, en particulier avec le préservatif qui a été remis au goût du jour à cause du sida. Mais ce qui me frappe surtout, c'est que l'état d'esprit des femmes d'aujourd'hui n'est plus celui des générations des années 1960-1970, en particulier en ce qui concerne la pilule. Pour ma génération, l'arrivée de la pilule a été vécue comme une libération, avec la possibilité d'avoir des relations sexuelles sans risquer d'être enceinte. C'était extraordinaire ! Aujourd'hui, un certain nombre de jeunes femmes éprouvent beaucoup de réticences par rapport à la pilule. Certaines se refusent à absorber un produit chimique qu'elles jugent antinaturel et qui va perturber leur fonctionnement hormonal. D'autres ne veulent pas la prendre afin que leur partenaire continue d'utiliser le préservatif, dans un but de prévention du sida. Il existe aussi toujours les vieilles inquiétudes, notamment dans les milieux populaires, sur les maux de tête, la prise de poids ou même les risques de cancer qui seraient liés à la pilule. Enfin, lors de mon enquête, j'avais été surprise de constater que beaucoup de jeunes femmes vivaient la pilule surtout comme une contrainte. Certaines en étaient même revenues aux méthodes traditionnelles fondées sur les cycles qui ne sont pas très efficaces.

REPÈRES

Docteure en science politique, Janine Mossuz-Lavau est directrice de recherche CNRS au Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof). Elle est notamment chargée de cours sur le thème : « Genre, féminisme et sociétés ». Entre autres ouvrages, elle a publié Les lois de l'amour. Les politiques de la sexualité en France (1950-2002) (Ed. Petite Bibliothèque Payot, 2002) et le résultat d'une grande enquête, La vie sexuelle en France (Ed. Points-Seuil, 2005).

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