En prélude à l'examen du rapport du gouvernement français par le Comité des droits de l'enfant des Nations unies (1), la défenseure des enfants a été entendue par cette instance, le 4 février à Genève, sur son propre état des lieux des droits de l'enfant en France (2). La procédure veut en effet que, plusieurs mois avant l'examen du rapport officiel des pays, les membres de ce comité reçoivent et examinent les évaluations menées sur le même thème par les associations et les institutions indépendantes chargées de la défense des droits de l'enfant.
Depuis la ratification par la France de la Convention internationale des droits de l'enfant (CIDE), en 1990, l'évolution générale de la législation tend « le plus souvent » à adapter les règles de droit françaises pour les mettre en conformité avec ses engagements internationaux, analyse Dominique Versini. Ainsi, la grande majorité des 14 millions d'enfants et d'adolescents qui vivent en France ont « des conditions de vie plutôt bonnes, une santé protégée, une éducation assurée et des droits fondamentaux globalement respectés ». Mais ce bilan comporte sa part d'« ombres ». « Certaines catégories d'enfants connaissent des situations de grande fragilité et les mesures prises pour un meilleur respect de leurs droits sont insuffisantes, voire, dans certains cas, vont à contresens de leur intérêt. » Rappelons que, en 2004, le comité des droits de l'enfant avait déjà estimé que la France n'avait pas tenu ses engagements en temps utile et l'invitait à rattraper son retard au travers de 57 recommandations (3).
Parmi les situations de fragilité, la défenseure vise plus particulièrement le cas des mineurs étrangers. Ainsi, par exemple, alors que le comité demandait à la France de prendre « toutes les mesures nécessaires pour garantir que les procédures de réunification familiale soient menées d'une manière positive, humaine et rapide », la loi relative à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile du 20 novembre 2007 a apporté des conditions supplémentaires au regroupement familial. Dominique Versini souligne également des difficultés pour le versement des prestations familiales aux parents étrangers d'enfants étrangers. Elle déplore en outre que « les dispositions concernant les [mineurs étrangers isolés] restent insuffisamment protectrices au regard de la CIDE ». Il en est de même s'agissant des enfants dont la famille est en situation irrégulière et fait l'objet d'une procédure de reconduite à la frontière.
« Les débats qui ont eu lieu en France ces dernières années sur la question de la délinquance des mineurs, et les modifications législatives qui les ont suivis, ainsi que les projets de réforme annoncés marquent un éloignement des exigences de la CIDE en la matière : spécificité de la justice des mineurs par rapport à celle des majeurs, priorité à l'éducatif, incarcération en dernier ressort... », déplore par ailleurs la défenseure. Dans son collimateur : les propositions de la commission Varinard pour réformer l'ordonnance du 2 février 1945 sur l'enfance délinquante (4). Pour elle, les préoccupations du comité des droits de l'enfant s'agissant de « la législation et [de] la pratique dans le domaine de la justice des mineurs qui tendent à préférer la répression aux mesures de prévention et d'éducation » restent donc d'actualité. Dans la perspective du projet de loi à venir, elle réclame l'organisation d'un « grand débat national ».
Alors que, déjà en 2004, le comité s'était « inquiété des inégalités d'accès aux soins entre régions, en particulier pour la psychiatrie infanto-juvénile », Dominique Versini dénonce aujourd'hui une « situation critique » que le déblocage de crédits amorcé en 2006 ne devrait pas permettre de redresser « avant longtemps ». Ainsi, souligne-t-elle, l'offre de soins en psychiatrie infantile est « marquée par une grave insuffisance et une forte hétérogénéité régionale ». Le dispositif est saturé avec 800 postes de psychiatres vacants dans les hôpitaux publics, des départements dépourvus de lits d'hospitalisation à temps complet en pédopsychiatrie et des centres médico-psychologiques « en crise grave » (5).
En matière de handicap, la loi du 11 février 2005 a constitué une avancée avec la reconnaissance du droit pour tout enfant handicapé d'être scolarisé dans l'école la plus proche de son domicile. Cependant, dans les faits, la scolarisation demeure ineffective pour beaucoup d'entre eux. Ainsi, « un nombre important des 162 000 enfants handicapés scolarisés ne l'est que sur des temps partiels, voire très partiels (3 heures/semaine) ». La disponibilité des enseignants référents apparaît en outre insuffisante et la précarité du statut des auxiliaires de vie scolaire nuit à la qualité de l'accueil de ces enfants. Une situation qui évolue très lentement malgré le principe posé par la loi et les condamnations en justice de l'Etat pour manquement à l'obligation d'éducation. Dominique Versini signale en outre que les moyens du milieu spécialisé pour prendre en charge les enfants autistes ou polyhandicapés demeurent insuffisants, provoquant un exil forcé vers des institutions étrangères.
Enfin, malgré les efforts entrepris par la France, avec notamment la création de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité en 2004, les discriminations subsistent. La défenseure pointe ainsi celles qui concernent les enfants de gens du voyage ainsi que les enfants de familles roms, notamment en matière de scolarisation et d'habitat, ou encore celles subies par les enfants ultra-marins, en particulier en matière d'état-civil, de justice des mineurs, de protection de l'enfance, de droit à l'éducation et d'accès aux soins.
(1) Le troisième rapport de la France, depuis 1990, a d'ores et déjà été transmis au comité et fera l'objet d'un débat officiel en mai prochain.
(2) Disponible sur
(5) Une situation plus particulièrement dénoncée dans son rapport sur la souffrance psychique des adolescents en 2007 - Voir ASH n° 2532 du 23-11-07, p. 7.