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Une vulnérabilité et des besoins de mieux en mieux cernés

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L'adoption internationale s'est considérablement développée depuis une trentaine d'années sans susciter de nombreuses recherches sur le devenir des enfants adoptés. Aujourd'hui que ceux-ci ont grandi, on en sait plus sur les problèmes qu'ils peuvent rencontrer au cours de leur développement, comme sur leurs facultés de récupération.

La réalité est têtue et l'angélisme bute dessus. Oui, il est généreux de doter un enfant privé de famille d'un projet de vie stable et permanent et cette solution est sans doute la meilleure qui puisse lui être proposée. Mais il n'empêche : le seul fait d'avoir été confiés en adoption ne garantit pas le bonheur aux enfants concernés. Marqués par le traumatisme de la séparation et, parfois, par des conditions de vie anténatale désastreuses, ils peuvent également avoir eu un passé de prises en charge relativement long et complexe avant leur venue en France. En effet, compte tenu du contexte actuel de l'adoption internationale (voir encadré, page 29), ils ont désormais majoritairement plus de 2 ans lorsqu'ils arrivent dans leur foyer adoptif, et près d'un quart est âgé de plus de 5 ans.

La fin de l'omerta

Loin de constituer une ardoise vierge, les enfants adoptés apportent bien sûr avec eux leur lot de difficultés. Ces dernières ont longtemps fait l'objet d'une omerta généralisée. Ce n'est plus tout à fait le cas aujourd'hui. « Dans tous les pays émerge un même questionnement sur les adoptions difficiles, non pour dénoncer l'adoption, non pour trouver des coupables, mais pour tenter de prévenir les situations douloureuses », explique Catherine Sellenet, professeure en sciences de l'éducation - et l'une des rares voix, en France, à ouvrir le débat sur les échecs d'adoption (voir encadré, page 27). A cet égard, les recherches sur le développement des enfants adoptés sont d'un grand intérêt - même s'il peut être hasardeux d'en tirer des leçons par trop tranchées. En effet, précise Jacques Chomilier, vice-président du Mouvement pour l'adoption sans frontières (1), « les conclusions pratiques auxquelles on arrive sont d'ordre statistique, c'est-à-dire qu'elles mettent au jour des facteurs de risque (ou de chance) d'un comportement qui n'est pas tout à fait celui de la population de référence ». Autrement dit, ce sont des constats de moyennes, pas des prédictions valables à titre individuel.

Pionnier français des études sur l'adoption, Michel Duyme, spécialiste de génétique des populations, s'est notamment intéressé à l'influence du milieu social sur le développement cognitif des enfants adoptés. « Est-ce que toutes les difficultés vécues pendant la grossesse ou la prime enfance auront des conséquences à long terme, ou bien est-ce que leur nouvel environnement va permettre une transformation de ces enfants ? », s'interroge-t-il.

Michel Duyme apporte une réponse positive au deuxième terme de l'alternative. Son assertion est fondée sur une comparaison effectuée, en 1981, entre des frères et soeurs nés en France dans un milieu très démuni. Les uns sont restés dans leur famille d'origine, les autres ont été adoptés avant l'âge de 6 mois par des parents d'un niveau socio-économique élevé : les seconds ont gagné entre 10 et 15 points de quotient intellectuel (QI), rejoignant presque les scores des enfants (biologiques) de cadres.

L'effet positif d'un environnement social plus avantageux sur les performances cognitives des enfants se vérifie aussi pour ceux qui ont été adoptés plus tardivement, explique le chercheur dans une étude ultérieure. Celle-ci porte sur des enfants de familles défavorisées qui présentaient de faibles QI lorsqu'ils ont été confiés en adoption alors qu'ils avaient entre 4 et 6 ans. Cinq à dix ans, plus tard, un nouveau test montre que tous ces jeunes ont gagné en capacité, mais avec des différences très nettes selon le milieu socio-économique de leur famille adoptive : plus ce dernier est élevé, plus le gain est spectaculaire (+ 19 points pour les enfants adoptés par des parents de catégories socio-professionnelles supérieures, + 8 points pour ceux élevés dans des milieux plus modestes).

Les parents adoptifs étant majoritairement des couples socialement et économiquement favorisés (2), ce type de résultat est sans doute de bon augure pour les enfants qui leur sont confiés. Ce n'est pas tout à fait aussi simple, montre une enquête réalisée en 2004-2005 par Jacques Vaugelade, chargé d'étude à l'Institut de recherches sur le développement, président de l'association départementale Enfance et familles d'adoption (EFA) du Gard. « Certaines études concluent que la réussite scolaire des enfants adoptés correspond à la moyenne de la population, alors que les parents adoptifs ressentent des difficultés qu'ils estiment spécifiques », commente le chercheur (3). Pour en savoir plus, la fédération EFA a enquêté par questionnaires auprès de ses adhérents. 595 familles ayant des enfants d'au moins 6 ans ont répondu : la plupart de ces mineurs avaient été adoptés à l'étranger (745 étaient dans ce cas), un certain nombre en France (145), et une partie d'entre eux (180) étaient des enfants biologiques de ces parents adoptifs, ce qui permettait d'effectuer des comparaisons à milieu social identique (des cadres dans 70 % des cas). Aux principales étapes de la scolarité, les données obtenues mettent en évidence un taux de réussite nettement plus élevé chez les enfants biologiques que chez les enfants adoptés et, parmi ces derniers, de meilleurs résultats pour ceux qui viennent de l'étranger que pour ceux nés en France. Ainsi, parmi les enfants entrés au CP à 6 ans, l'enquête montre que 4 % des enfants biologiques ont redoublé dans le primaire contre 14 % des enfants venant de l'étranger et 27 % des enfants adoptés en France (pourtant adoptés pour les deux tiers avant l'âge de 1 an).

Au niveau du collège, la proportion d'enfants adoptés en difficulté augmente nettement selon l'âge qu'avaient les intéressés au moment de leur adoption. Plus surprenant, l'enquête met au jour un creusement des différences parmi les filles. Comme chez les enfants biologiques, les filles adoptives ont moins de difficultés que les garçons adoptés, mais leur taux d'échec est quatre fois plus élevé que celui des filles biologiques : 53 % des premières contre 11 % des secondes ont redoublé ou fait un cursus incomplet - alors qu'il y a « seulement » deux fois plus de redoublants chez les garçons adoptés (58 %) que chez les garçons biologiques (29 %). Au terme du collège, enfin, c'est l'origine des adolescents qui apparaît très discriminante : la quasi-totalité des enfants « biologiques » (92 %) et 80 % des jeunes nés en Asie poursuivent leurs études dans l'enseignement général et technologique - et décrochent le bac. En revanche, 50 % des adolescents nés en Amérique latine ou en Afrique sont orientés en cycle court. Entre les deux, les enfants adoptifs nés en France ont une réussite scolaire moins évidente que celle des enfants venus d'Asie, et supérieure à celle des enfants d'autres origines.

Plus compliqué à évaluer qu'un parcours scolaire, l'état psycho-affectif de jeunes adultes ayant été adoptés à l'étranger lorsqu'ils étaient enfants fait l'objet d'études longitudinales réalisées aux Pays-Bas et en Suède. Ce sont les difficultés de parents adoptifs, voire leurs désillusions et mécontentement, qui ont suscité ces recherches. Aux Pays-Bas, explique le pédopsychiatre Frank Verhulst, « on a commencé à se demander dans les années 80 comment s'en sortaient les enfants adoptés à l'international, en constatant que beaucoup de ces enfants présentaient des problèmes de comportement, avaient des résultats scolaires décevants et étaient surreprésentés dans les consultations psychiatriques et dans l'éducation spécialisée ». En 1986, Frank Verhulst a entrepris une recherche de grande ampleur : il suit depuis une cohorte de quelque 2 000 enfants nés à l'étranger, qui ont été adoptés aux Pays-Bas entre début 1972 et fin 1975, alors qu'ils avaient en moyenne 29 mois. Parmi les principaux enseignements : les enfants adoptés présentent une vulnérabilité psychique particulière, surtout les enfants dont l'adoption a été tardive et principalement les garçons. Dans la tranche d'âge des 11-22 ans, environ 30 % des jeunes gens adoptés ont besoin d'une prise en charge psychiatrique, contre 10 % des garçons non adoptés. Les problèmes psychiques des enfants adoptés, qui étaient déjà importants quand ils étaient pré-adolescents (entre 11 et 14 ans), se sont révélés encore plus marqués dans l'adolescence tardive (17-22 ans). En outre, plus les jeunes adoptés vivaient dans un milieu social élevé, plus ils se montraient perturbés. Néanmoins, aux âges de 24-30 ans, il n'y avait plus beaucoup de différences entre les adultes adoptés et leurs contemporains, même si les premiers conservaient un risque augmenté, surtout les hommes, de souffrir de troubles internalisés (dépression, toxicomanie). Dans la sphère relationnelle, en revanche, les jeunes adultes adoptés se distinguent nettement de la population générale : ils sont beaucoup moins nombreux à être mariés ou à avoir une relation affective durable. Une telle disparité ne se retrouve pas en matière de niveau éducatif et professionnel - ce qui est d'ailleurs étonnant compte tenu des difficultés qu'ont eues ces adultes durant leur adolescence.

Autre surprise, mais cette fois-ci par rapport aux constats de Michel Duyme : s'il y a, effectivement, une relation linéaire entre le parcours des enfants biologiques et la catégorie socio-professionnelle de leurs parents, cette dernière n'a aucune incidence sur les performances des enfants adoptés, affirme Frank Verhulst. Leur réussite serait donc imputable à leur substrat génétique.

Le Dr Anders Hjern, du Conseil national suédois de la santé et du bien-être, introduit un troisième terme dans le débat sur le poids relatif de l'inné et de l'environnement éducatif des enfants adoptés dans le développement de leurs capacités. Plus que l'âge auquel ces enfants sont adoptés, ce sont les conditions dans lesquelles ont eu lieu leur gestation et leur prime enfance qui semblent déterminantes pour rendre compte des éventuelles difficultés scolaires, problèmes de comportement et/ou troubles psychiatriques que les intéressés peuvent présenter. Ainsi s'expliquerait le parcours d'excellence des enfants d'origine coréenne, mis en évidence par le pédiatre suédois. Chargé d'un programme gouvernemental de recherche sur l'adaptation sociale et la santé mentale des adoptés transnationaux, Anders Hjern a accès à une gigantesque source d'information : tous les dossiers sociaux, médicaux et judiciaires de quelque 14 000 adultes nés dans les années 70, qui ont été adoptés en Suède lorsqu'ils étaient enfants. A partir de différentes comparaisons entre cohortes, le Dr Hjern a fait apparaître que les enfants venus de Corée ont de meilleurs résultats scolaires que les enfants adoptés d'autres origines, dont les performances sont inférieures à celles de la population générale. En outre, la scolarité des enfants originaires de Corée s'avère également plus réussie que celle des enfants (biologiques) suédois - et ce dans toutes les disciplines, y compris la langue. Puis, suite logique de leur cursus, les 25-34 ans d'origine coréenne vont beaucoup plus à l'université que les autres jeunes adultes adoptés, et ils constituent un vivier de chercheurs. « En Corée, la prise en charge des enfants, avant leur adoption, est très différente de celle d'enfants d'autres pays », commente le pédiatre suédois. « Eux ont la possibilité de s'attacher à un membre de la famille d'accueil avec qui ils vivent avant d'être adoptés. » En outre, c'est principalement parce qu'elles sont célibataires que les mères coréennes confient leurs enfants en adoption, et ces derniers n'ont pas connu de problèmes de prise maternelle de substances toxiques ou de pauvreté pendant leur vie prénatale et leurs premières années, affirme l'épidémiologiste suédois.

Se défendant de « produire des recherches qui diraient «où aller choisir son enfant» », Anders Hjern présente d'autres résultats d'études conduites sans isoler le pays d'origine des adoptés. Parmi ses principaux constats, le plus positif concerne l'insertion professionnelle des jeunes adultes qui avaient entre 23 et 30 ans en 2001. En termes d'accès à l'emploi, leur situation est similaire à celle de la population générale, c'est-à-dire que, dans une société pourtant « homogène et blanche, il y a assez peu de discriminations », commente-t-il. A cet égard, « les jeunes adoptés semblent avoir bénéficié d'un sort plus favorable que les enfants immigrés venus en Suède avec leurs parents, qui ont un patronyme non suédois, un accent fort et un moindre réseau social ». Au plan de la santé physique, il n'y a pas non plus de différences sensibles entre adoptés et non adoptés, à deux exceptions près : une plus petite taille pour les premiers - 10 cm de moins, en moyenne -, et une puberté précoce courante chez les filles adoptées - « mais sans grossesses adolescentes, parce qu'on informe les parents », précise le chercheur. Dans le domaine de la santé mentale, en revanche, les garçons adoptés de 10-15 ans sont beaucoup plus nombreux que la population générale à être traités pour troubles des conduites (déficit de l'attention, hyperactivité). Quant aux adolescent(e)s ou jeunes adultes, ils présentent entre deux et cinq fois plus de risques que leurs compatriotes non adoptés en matière d'alcoolisme, de toxicomanie, de criminalité, de pathologies psychiatriques graves, de tentatives de suicide et de décès par suicide. C'est d'ailleurs à la suite de plusieurs suicides de jeunes et de rapports judiciaires faisant apparaître une surreprésentation d'adolescents ou d'adultes adoptés à l'étranger parmi les délinquants, que la Suède a entrepris ce vaste programme de recherches.

Mettre au jour les difficultés des enfants adoptés à l'étranger ne revient pas, pour autant, à nier l'intérêt de l'adoption internationale. « Les enfants adoptés à l'étranger, garçons comme filles, s'en sortent bien, y compris sur le long terme et lorsqu'ils ont été confiés en adoption après l'âge de 3 ans : ils font des études, s'insèrent professionnellement et sont, en fait, mieux intégrés à la société que les enfants (biologiques) suédois qui ont été placés en institution », affirme Anders Hjern. Mais il ne faut pas négliger leurs besoins de soutien scolaire et de soins psychiatriques - ni les besoins de formation des professionnels de l'aide, qui ne savent pas toujours ce qu'est l'adoption et/ou ne prennent pas cette dimension en compte.

Plusieurs occasions de rattrapage

Sans constituer forcément un traumatisme, l'adoption n'en invite pas moins l'enfant qui change de bras à un nouveau type de développement, commente le neuropsychiatre Boris Cyrulnik, soulignant que résilience et adoption sont deux phénomènes de la même famille, mais pas totalement comparables. Aptitude à vaincre l'adversité ou une situation de risque, la résilience peut être d'ordre neuronal, psycho-affectif et/ou socio-culturel, explique-t-il. Les enfants adoptés qui ont subi un traumatisme neuronal - ce qui n'est pas toujours le cas - peuvent assez rapidement trouver une nouvelle base de sécurité quand ils sont placés dans un environnement de stimulation ordinaire. Il existe un repère facile pour mettre en évidence cette résilience neuronale, précise Boris Cyrulnik : c'est l'apparition du langage. « Entre le vingtième et le trentième mois, les apprentissages sont fulgurants chez tous les enfants : leur vocabulaire passe de 30 à 3 000 mots. » Si, durant cette période critique, l'enfant a vécu dans un milieu pauvre en interactions, il pourra, dans un nouvel environnement, rattraper en deux-trois ans un niveau de performances normales. Un enfant qui est sécurisé voit aussi sa taille et son poids vite redémarrer, car il peut éprouver le plaisir de se laisser aller au sommeil, ce qui fait repartir à la hausse ses hormones de croissance et ses hormones sexuelles. Et le neuropsychiatre de rassurer les parents adoptifs : il n'existe pas une seule période sensible, mais plusieurs - la puberté, par exemple, en est une autre, le premier amour aussi. Il y a donc différentes occasions de rattrapage possible, même si celui-ci peut alors se dérouler de façon assez lente et laborieuse.

Les traces de traumatisme, qui se sont inscrites dans la mémoire d'un enfant pré-verbal - c'est-à-dire qui ne dispose pas encore du langage nécessaire aux souvenirs - peuvent également se trouver réactivées à l'adolescence, souligne Boris Cyrulnik. Ainsi s'expliquerait le taux beaucoup plus élevé de dépressions et de tentatives de suicide chez les jeunes adoptés que dans la population générale. Ces enfants sont angoissés par la prise de risques nécessaire à l'adolescence, où il faut - à nouveau - changer de bras et de foyer. « Ils ont peur de s'engager, car ils craignent de devenir dépendants de la personne à qui ils vont faire une déclaration d'amour », affirme Boris Cyrulnik, pensant que là réside peut-être l'explication de la solitude des jeunes adultes adoptés aux Pays-Bas, dont le Dr Verhulst a montré qu'elle était beaucoup plus fréquente que celle de leurs contemporains non adoptés.

Il existe aussi une grande source de souffrance dans les familles adoptives : celle que Boris Cyrulnik baptise joliment de l'expression « contresens affectueux ». A la différence de l'adoption résignée d'il y a quelques générations, les parents adoptifs actuels sont plus riches, plus âgés, plus éduqués et plus désireux de dire leur amour à l'enfant adopté. Là se situe ce fréquent contresens affectueux. « C'est animés d'un grand désir amoureux que les parents adoptifs vont chercher cet enfant, mais l'intéressé se sent envahi par leur déclaration d'amour », explique le neuropsychiatre. En effet, « à 3-4 ans, 80 % de ces enfants ont appris un attachement évitant ». Cependant, en quelques années, la « résilience affective » produit ses heureux effets : à l'âge de 10 ans, ce taux d'attachement évitant tombe à 40 % - contre 35 % dans la population générale.

Il n'empêche : s'agissant du développement des enfants adoptifs, « on a trop mis l'accent sur l'importance des parents, et pas assez sur celle de l'école, du quartier, de la culture ambiante, alors que les institutions péri-familiales jouent un rôle essentiel de tuteurs de résilience », affirme Boris Cyrulnik. Souvent, dans les familles adoptives, le fait d'avoir été adopté devient également beaucoup trop explicatif, pour les enfants comme pour les parents. Ce qui expliquerait, en partie, la surreprésentation des enfants adoptés dans les consultations psychiatriques, estime le neuropsychiatre.

De fait, les parents adoptifs sont très fragilisés car, « dès le départ, c'est-à-dire dès la demande d'agrément, la parentalité adoptive est sous le regard de tiers », souligne Geneviève Miral, vice-présidente d'Enfance et familles d'adoption. « Et l'enfant adopté devient un enfant public sur lequel tout le monde a un avis. » D'autant plus que, du fait de leur origine, nombre de ces enfants nés à l'étranger sont très visibles. C'est probablement pourquoi, « alors que jusque dans les années 60, l'adoption était taboue, on est peut-être aujourd'hui dans un excès inverse avec l'adoption internationale dont on parle beaucoup », avance Marie-Christine Le Boursicot, magistrate. Or, pour les enfants adoptés qui entendent ce qui se dit autour d'eux, ces paroles sont souvent des « paroles assassines avec lesquelles on doit vivre », affirme Anne-Laure Jain, vice-présidente de l'association La voix des adoptés. Il en est ainsi « des réflexions comme : tu en as de la chance d'avoir été adopté(e), qui nous inscrivent dans quelque chose de l'ordre de la dette à vie », explique-t-elle, regrettant qu'il existe encore aujourd'hui énormément de parents très démunis de connaissances sur les difficultés des enfants adoptés. Tel est justement l'intérêt des travaux de recherche : mieux informer les postulants à l'adoption sur la vulnérabilité et les besoins de ces enfants afin qu'ils puissent intervenir précocement.

UN SILENCE DIFFICILE À ROMPRE

En France, le débat sur les adoptions difficiles est encore très timide. Pour Catherine Sellenet, ancienne psychologue à l'aide sociale à l'enfance, qui a réalisé en 2005 une enquête nationale sur les adoptions difficiles, l'une des principales raisons expliquant ce silence est « l'obligation de réussite » . « Les adoptants doivent réussir leur projet », analyse-t-elle (4). « Pas seulement comme adoptants, mais d'abord comme parents, à l'identique des autres. » Et peut-être encore plus que les autres, « car leur acharnement à devenir parents suppose un engagement irréversible, une volonté tenace, un désir à nul autre pareil ». Si ces parents censés être exemplaires se trouvent en difficulté, ils sont alors vite considérés comme coupables de quelque erreur magistrale, explique Catherine Sellenet au vu de l'étude de dossiers d'enfants confiés à l'aide sociale à l'enfance sous le statut de pupille après que leurs parents adoptifs ont signé un procès-verbal d'abandon. « Très fréquemment, les comportements de l'enfant, les séquelles de son passé, les dysfonctionnements institutionnels (avoir proposé un enfant gravement perturbé en adoption), sont minorés ou gommés au profit d'une lecture attribuant aux parents la responsabilité intégrale de l'échec », souligne la psychologue. On peut ainsi lire : « c'est une famille au mode de vie atypique responsable de la non-intégration de l'enfant », ou bien : « l'enfant ne correspond pas à l'enfant désiré, les parents n'ont pas su s'adapter ». Certes, l'écart existe toujours entre l'enfant désiré et l'enfant réel, « mais quel parent peut désirer un enfant aux comportements gravement perturbés ou violents ? »

Il n'empêche : admettre qu'un enfant puisse être acteur de son rejet, c'est-à-dire puisse refuser la main offerte, est difficilement imaginable. Pourtant, explique l'auteure, « certains enfants développent une formidable énergie pour dénouer les nouveaux liens de filiation proposés. Certains le font sciemment, d'autres presque malgré eux, dans une logique de victimisation. » Mais, à trop penser que l'adoption est la meilleure solution pour lesenfants, on en oublie souvent de chercher à savoir ce qu'en pensent les intéressés. Or 16 des 81 dossiers étudiés par Catherine Sellenet - soit presque 20 % - évoquent des refus d'adoption de la part des enfants. Il s'agit surtout d'enfants ayant été adoptés précocement (avant l'âge de 2 ans) et, dans une moindre mesure, de jeunes qui ont été adoptés après leurs 10 ans. « Ce rejet de l'adoption interroge la capacité des adultes à entendre l'ancrage antérieur de l'enfant, sa non-mobilisation, ses capacités à être acteur de son destin, y compris dans le refus. »

UN CONTEXTE INTERNATIONAL TENDU

Après la promesse de « doubler le nombre d'adoptions » faite, début 2004, par le gouvernement Raffarin, les départements ont vu exploser leurs demandes d'agrément. Partant, le hiatus n'a fait que se creuser entre le total des candidats agréés - estimé à plus de 30 000 actuellement - et celui des familles à qui est effectivement confié un enfant. En effet, alors que l'adoption internationale représente les 4/5 du total des enfants adoptés, la France voit diminuer le nombre de ceux qui lui sont confiés depuis l'étranger : ils étaient 4 136 en 2005, mais 3 977 en 2006, 3 162 en 2007 et 3 266 en 2008. Cette baisse touche tous les principaux Etats d'accueil d'enfants, hormis l'Italie. Même si, comme le fait observer le rapport Colombani sur l'adoption (5), les raisons de cette baisse générale sont complexes à analyser, ses conséquences, elles, sont des plus claires : une accentuation de la concurrence entre les pays désireux d'adopter et une transformation du profil des enfants qui sont adoptables à l'étranger.

En effet, conformément au principe de subsidiarité établi par la convention de La Haye de 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d'adoption internationale, cette dernière ne doit être envisagée que comme ultime recours, si aucune prise en charge alternative n'a pu être trouvée pour l'enfant dans son pays. Or nombre d'Etats sont désormais en mesure d'offrir à leurs enfants des solutions nationales. Mais, les enfants ayant le plus de chance de trouver une famille adoptive dans le pays où ils sont nés étant les enfants jeunes et en bonne santé, ce sont des enfants plus âgés et/ou atteints d'un handicap ou d'une maladie, ainsi que les fratries, qui sont les plus susceptibles d'être proposés à des postulants étrangers. Ainsi, « la Thaïlande, les Philippines, le Chili, le Pérou, la Lettonie, la Hongrie et la Pologne précisent désormais que seuls les enfants dits à particularité sont en besoin d'adoption internationale », explique Hervé Boéchat, directeur de l'association suisse Service social international-Centre international de référence pour les droits de l'enfant privé de famille (6). De fait, s'agissant de l'âge des enfants, on constate qu'il a nettement tendance à augmenter : en 2005, 56 % des enfants adoptés à l'étranger par des Français avaient moins de 2 ans, parmi lesquels on comptait 15 % de nourrissons de moins de 6 mois ; en 2007, les moins de 2 ans ne sont plus que 42 %, et les moins de 6 mois, 10 %. Symétriquement, les plus de 4 ans constituent un tiers des enfants adoptés à l'étranger en 2007, contre un peu moins d'un quart deux ans plus tôt.

Or « la lucidité impose de reconnaître que les candidats adoptants français sont beaucoup moins nombreux que d'autres, tels les Américains ou les Italiens, à accepter d'accueillir dans leur foyer un enfant déjà âgé de plusieurs années ou présentant un handicap », souligne le rapport Colombani. Le docteur Sixte Blanchy, chargé de la formation et de la santé à l'Agence française de l'adoption (AFA), avalise ce constat - et le déplore. « Entre mai 2006 et septembre 2008, plus de 1 000 enfants ont été adoptés par l'intermédiaire de l'AFA. On aurait pu faire le double d'adoptions, mais les caractéristiques des enfants adoptables ne répondent pas au projet des familles », précise-t-il, en invitant les candidats à penser, avant tout, aux besoins des enfants.

Notes

(1) Lors du colloque intitulé : « Adoption : un lien pour la vie », organisé à Nantes, les 28 et 29 novembre 2008, par le conseil général de Loire-Atlantique et le Mouvement pour l'adoption sans frontières - Conseil général de Loire-Atlantique - Direction de la vie sociale et familiale : 3, quai Ceineray - BP 94109 - 44041 Nantes cedex 01 - Tél. 02 51 17 21 75.

(2) Cf. « Du désir d'adoption à l'accueil d'un enfant. Une enquête en France » par Catherine Villeneuve-Gokalp, INED, Population 2007-2.

(3) In Accueil , revue d'Enfance et familles d'adoption, n° 3, août 2005.

(4) Dans Souffrances dans l'adoption - Editions de Boeck, février 2009 - 19,50 € - Catherine Sellenet rend compte de la recherche qu'elle a réalisée et d'autres travaux sur les difficultés des adoptants et des adoptés.

(5) Voir ASH n° 2550 du 21-03-08, p. 5.

(6) Lors d'un colloque organisé à Paris les 22 et 23 octobre 2008 par l'Agence française de l'adoption.

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