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Silence... on maltraite !

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Deux chercheures de l'Inserm analysent les chiffres alarmants concernant les violences subies en France par les enfants.

On sait qu'au fil des ans les progrès médicaux ont fortement réduit la mortalité infantile. On sait moins qu'aujourd'hui les très jeunes enfants sont particulièrement exposés au risque de mourir sous les coups, que ces violences leur aient été administrées avec ou sans intention de les tuer. La France ne déroge pas à ce sinistre constat établi par l'Organisation mondiale de la santé. Parmi toutes les tranches d'âges, ce sont les moins de 1 an qui subissent dans notre pays le taux d'homicides le plus élevé : il était en 2005 de 1,4 pour 100 000, contre 0,9 pour 100 000 chez les 35-54 ans ainsi que chez les plus de 85 ans. Et encore ce triste record des tout-petits est-il largement sous-estimé, comme le montrent Anne Tursz et Pascale Gerbouin-Rérolle, chercheures à l'Inserm, dans une enquête rétrospective sur les morts suspectes de nourrissons auprès des parquets et des services hospitaliers.

De leur côté, s'ils sont d'un moindre niveau de gravité, les mauvais traitements physiques à enfants de moins de 15 ans évoluent de façon très préoccupante : ils ont plus que doublé entre 1996 et 2006. Or l'exhaustivité du recueil policier de ces actes est, elle aussi, loin d'être certaine. Tel est le double enseignement de ce passionnant et désolant ouvrage : l'ampleur de la maltraitance envers les enfants et l'absence de données épidémiologiques fiables permettant d'en prendre la véritable mesure. « Avalanche de chiffres et misère statistique », résument les auteures, qui appellent à surmonter « l'aversion de voir » cette violence pour ne pas abandonner les petites victimes au silence de leurs souffrances.

Enfants maltraités. Les chiffres et leur base juridique en France - Anne Tursz et Pascale Gerbouin-Rérolle - Tec & Doc - 49

Coauteure de l'ouvrage, la pédiatre Anne Tursz revient sur les failles de la détection de la maltraitance.

Pourquoi avoir choisi ce sujet d'étude ?

De 1980 à 2000, à l'Inserm, j'ai effectué des travaux sur les accidents d'enfants. En 1999, la DGAS m'a demandé d'étudier les conséquences graves de la maltraitance, notamment les morts suspectes de nourrissons (1). Les résultats m'ont incitée à creuser le sujet : sous-estimation des infanticides, morts intentionnelles étiquetées comme accidentelles, survenues dans toutes les classes sociales... Ce qui m'a surprise aussi, c'est à quel point les données dont on disposait étaient difficiles à analyser et incohérentes.

Comment expliquer que la maltraitance sur les enfants soit si sous-estimée ?

D'abord, il y a un problème de formation des médecins à la reconnaissance de la maltraitance. Même les pédiatres n'apprennent en général qu'à détecter les formes de maltraitance les plus caricaturales, et non la séméiologie fine de la violence. Cela explique qu'un nourrisson peut passer par les urgences avec une fracture, sans que jamais personne ne pense que celle-ci pourrait ne pas être accidentelle. Ensuite, si au Québec ou en Angleterre une enquête policière et une autopsie sont obligatoires lorsqu'un enfant meurt de façon inattendue, ce n'est pas le cas en France : on diagnostique le plus souvent une mort subite du nourrisson, et le médecin délivre le permis d'inhumer. De plus, les médecins libéraux, par hantise de se tromper, hésitent à faire des signalements. Et quand ils le font, ils n'ont jamais de retour de la part de la justice et ne peuvent donc pas évaluer le bien-fondé de leur pratique. Les médecins hospitaliers, eux, entourés par le service social de l'institution, ont moins de problèmes. Enfin, une autre cause de cette sous-estimation est qu'il existe deux entrées pour l'enfance maltraitée : une sociale et une judiciaire. Les chiffres se correspondent mal, des doublons apparaissent... et, pour ce qui concerne l'aide sociale à l'enfance, les travailleurs sociaux détectent rarement les actes commis dans les milieux les plus aisés.

Pourquoi un tel déficit des outils statistiques ?

Entre autres, à cause du manque de collaboration évident entre les secteurs. Si les médecins recevaient des nouvelles de la PMI ou de la justice, si les instituts médico-légaux envoyaient à l'Inserm les données médico-légales définitives quand des investigations sont menées, etc., on aurait une bien meilleure connaissance du problème. L'Observatoire national de l'enfance en danger (ONED) a été créé pour mesurer l'amplitude du phénomène, mais c'est très difficile, car il faut d'abord mettre d'accord tous les partenaires sur une grille d'évaluation commune.

Quels moyens peut-on mettre en place pour mieux détecter cette maltraitance ?

Développer la formation des médecins, bien entendu. Mais aussi aider les établissements scolaires à poursuivre leur travail, car les signalements les plus appropriés viennent souvent de l'Education nationale via les médecins scolaires et les assistants de service social, après repérage par les équipes pédagogiques. Mais il vaut mieux repérer les enfants qui vont mal avant qu'ils n'entrent à l'école. Depuis la loi du 5 mars 2007 sur la protection de l'enfance, l'entretien individuel du quatrième mois de grossesse, mené par une sage-femme, est proposé systématiquement. Il permet de dépister des familles présentant des facteurs dont on sait qu'ils sont de mauvais pronostics pour la relation parent-enfant, et de les aider. Malheureusement, il n'existe pas encore de dispositif d'évaluation de ces entretiens. Enfin, les programmes de prévention avec visites à domicile sont beaucoup plus efficaces que ceux qui sont dispensés dans des consultations ou des livrets.

PROPOS RECUEILLIS PAR ÉLÉONORE VARINI

Notes

(1) Voir ASH n° 2426 du 21-10-05, p. 44.

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