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Intérim en famille

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S'inspirant d'une méthode québécoise, l'EHPAD de Maromme, en Seine-Maritime, propose depuis 2008 Parenthèse à domicile, un dispositif expérimental de remplacement des aidants familiaux auprès de personnes âgées très dépendantes.

«Voir son papa devenir quelqu'un d'autre, c'est délicat », soupire Yvonne Gauthier, dont le père est atteint de la maladie d'Alzheimer. Et devoir s'en occuper 24 heures/24, comme elle le fait depuis bientôt deux ans, l'est plus encore. Yvonne Gauthier est une aidante. Epuisée, à bout, comme tant d'autres dans sa situation - un aidant sur cinq renonce à des soins de santé par manque de temps et 34 % consomment des tranquillisants (1) -, elle fait partie de l'une des 11 familles à avoir bénéficié de Parenthèse à domicile, une solution expérimentale de répit mise en place en Seine-Maritime.

Directrice depuis décembre 2005 des Aubépins - un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) situé à Maromme, en banlieue de Rouen -, Marie-Pascale Mongaux est l'initiatrice de ce dispositif. Assistante de service social de formation, puis cadre socio-éducatif en milieu hospitalier, elle s'oriente vers la direction et décroche en 2004 un DESS de droit et gestion des établissements sociaux. L'année suivante, elle part au Québec suivre un stage en gérontologie. Et découvre là-bas un nouveau maillon dans la chaîne de l'accompagnement des malades Alzheimer : le Baluchon Alzheimer. Une vingtaine de « baluchonneuses » canadiennes s'installent à temps complet pour des durées de sept à quinze jours chez des ménages dont un membre souffre de troubles cognitifs, offrant aux aidants familiaux la possibilité de s'absenter et de prendre du repos. Ce concept est adapté depuis quelques années en Belgique, mais, hormis des tentatives éparses, n'a pas encore été développé en France.

Quand Marie-Pascale Mongaux prend la direction des Aubépins, elle nourrit la ferme intention de créer une plate-forme de services qui ouvre l'établissement vers l'extérieur. D'abord avec Récréologie, une palette d'animations accessibles aux personnes âgées vivant à domicile. Puis avec une aide aux aidants alternative à l'accueil de jour ou à l'hébergement temporaire, le projet Parenthèse à domicile, qu'elle élabore en collaboration avec un cabinet d'ingénierie sociale. « J'ai bénéficié du soutien des autorités de tarification et de différents partenaires. Le département de la Seine-Maritime - qui a inscrit ce type de services dans son schéma gérontologique - et la DDASS financent un poste et ont donné une autorisation de fonctionnement à titre expérimental pour une année. Fin janvier 2008, Parenthèse a été reconnu en tant qu'expérience pilote par la direction générale de l'action sociale. La caisse régionale d'assurance maladie de Normandie a également accordé une subvention qui couvre une partie des frais de fonctionnement. Grâce à un financement à l'acte par l'assurance maladie, le coût résiduel à la charge de l'aidant est de 1,25 € l'heure. »

Adossé à un EHPAD

S'il s'inspire du Baluchon québécois, Parenthèse à domicile s'en différencie sur certains points : il en retient les volets « répit » et « accompagnement », tout en les adaptant de façon originale. En effet, ce service n'est pas réservé aux personnes accompagnant des malades Alzheimer, mais il est aussi ouvert aux aidants de toutes les personnes âgées très dépendantes qui vivent à domicile. De plus, le fait d'adosser Parenthèse à un EHPAD public aide à rompre le cloisonnement entre domicile et établissement, tant pour les usagers que pour les professionnels. Il offre le support logistique et administratif des Aubépins ainsi qu'une présence soignante 24 heures/24, évitant l'isolement des intervenants au domicile et renforçant l'aspect sécurisant du dispositif.

Enfin, Parenthèse privilégie les séjours courts (en moyenne trois jours et deux nuits), à la fois pour des raisons de droit du travail et de volonté des professionnels et des aidants. « Confier son proche à une personne extérieure n'est pas un acte anodin. Alors souvent, avant de s'approprier ce nouvel outil, les aidants préfèrent y aller crescendo. » Ces personnes extérieures sont des professionnels volontaires issus du personnel de l'unité spécialisée Alzheimer de l'EHPAD. « L'idée consistait à fournir à mes équipes l'opportunité formatrice d'un changement de contexte. Car l'intervention au domicile auprès d'une seule personne se révèle radicalement différente du travail au sein d'une structure d'hébergement », assure Marie-Pascale Mongaux. Si deux salariées ont tenté l'aventure sans y adhérer sur le long terme, une aide-soignante, Marie-Christine Hénocque, a poursuivi dans cette voie avec enthousiasme. Par la suite, la directrice a recruté Loïc Roussel, auxiliaire de vie sociale, en contrat à durée déterminée. Il est venu compléter la petite équipe de Parenthèse, dont les membres sont baptisés « parentheurs » et « parenthrices ».

Ce week-end, Loïc Roussel intervient chez le père d'Yvonne Gauthier, Marcel Darlot, 88 ans, qui vit en appartement à Canteleu, une commune située à 4 kilomètres de Maromme. « Nous limitons nos interventions à un rayon de trois quarts d'heure de route à partir de la maison de retraite », précise la directrice des Aubépins. Comme nombre d'aidants qui expérimentent le dispositif, madame Gauthier a découvert Parenthèse en venant se renseigner sur un éventuel placement en institution. « Mon père a montré des premiers signes de la maladie d'Alzheimer à la fin 2006. L'année suivante, je l'ai placé en hébergement temporaire durant mes vacances, et ça s'est très mal passé. Il n'avait plus aucun repère, et se croyait en prison pendant la guerre ! Je me suis alors occupée de lui en permanence. Comme cela devenait difficile à gérer, j'ai visité des maisons de retraite, même si je n'étais pas vraiment prête. » Quand Parenthèse lui est présenté, Yvonne Gauthier saute sur l'occasion.

Dans un premier temps, la directrice, l'infirmière et le futur intervenant se rendent chez Marcel Darlot pour une évaluation de la situation. « Parenthèse ne répond pas forcément à toutes les demandes. Certains aidants ne sont pas prêts à se séparer du malade, même quelques jours, constate Marie-Pascale Mongaux. Il arrive aussi que les choses ne soient pas dites à la personne malade, et notre rôle consiste à déculpabiliser l'aidant qui redoute de décevoir son proche en partant quelques jours en vacances. » L'équipe demande également à voir l'endroit où le parentheur ou la parenthrice passera la nuit, à s'assurer qu'il ou elle profite au minimum d'un lit et de sanitaires corrects, et que les repas sont prévus pour l'intervenant et le malade pour la durée du séjour.

Questions d'habitudes

Avant toute intervention, le parentheur ou la parenthrice passe une journée au domicile en présence de l'aidant, et peut, à cette occasion, observer les habitudes de la personne, les interactions à l'oeuvre dans la dyade aidant-aidé, et renseigner les documents préparatoires. Outre le fait de rassurer chacun, le temps passé par Loïc Roussel avec Yvonne Gauthier et son père a permis de rédiger ensemble le dossier d'accompagnement : ici, on note que Marcel Darlot ne manque jamais un épisode du Renard et qu'il tient à ce que les volets soient fermés à 19 heures. On ajoute ses goûts alimentaires, ses traits de caractère et ses phobies - « lorsqu'on passe l'aspirateur, monsieur Darlot peut devenir agressif »... Les dates d'interventions sont également calées, au moins un mois à l'avance.

Parenthèse ne répond ni à l'urgence, ni à des demandes de dépannage de quelques heures seulement. Le quota d'interventions est fixé au maximum à trente jours et nuits par ménage dans l'année. « Au début, remarque Marie-Pascale Mongaux, les aidants nous sollicitent pour des problèmes incontournables, tels que des périodes d'hospitalisation. Puis leurs demandes évoluent et deviennent plus personnelles, pour profiter de la vie. » Une motivation vécue par Yvonne Gauthier : « La première fois que j'ai passé le relais à un parentheur, je ne suis pas partie bien loin, car j'habite à l'étage au-dessus. J'ai accumulé tant de retard dans mes activités personnelles que le simple fait de ne pas descendre voir mon père pendant une journée entière et passer la nuit tranquille, ça recharge mes batteries. »

« Lors de la première mission, en février 2008, nous étions tous sur le qui-vive, se souvient la directrice. Et tout s'est très bien passé. Le professionnel, formé, n'est pas lâché dans la nature. On lui fournit un téléphone portable et l'équipe de la maison de retraite peut l'appeler pour prendre des nouvelles, car il est isolé et passe l'essentiel de son temps de travail avec une personne ayant perdu ses facultés de communication. » D'ailleurs, Loïc Roussel l'admet : « Etre parentheur n'est pas difficile physiquement, mais plutôt psychiquement. Le temps de repos entre deux interventions est une nécessité. » Les parentheurs ont eux-mêmes déterminé la durée maximale qu'ils pouvaient passer dans un domicile. Au-delà de trois jours d'affilée, ils se relaient et bénéficient d'au moins deux jours de récupération. « Nous avons travaillé avec les syndicats sur un protocole du temps de travail en nous appuyant sur la réglementation de la fonction publique hospitalière et sur celle des séjours thérapeutiques », précise Marie-Pascale Mongaux.

Journal de bord

Durant ses séjours à domicile, chez Marcel Darlot comme chez les autres personnes aidées, Loïc Roussel remplit quotidiennement un journal de bord. Ce cahier constitue la « mémoire » des événements qui se sont déroulés en l'absence du proche : activités, visites, faits et réactions marquants, mais aussi anecdotes et observations. « Lors de premières interventions, je me contentais d'y faire un récit heure par heure. Petit à petit, j'ai commencé à donner des repères, des conseils. Souvent, l'aidant se jette sur le journal dès qu'il rentre, inquiet de savoir si l'attitude de son proche est la même en son absence. Cette lecture le rassure. »

Au cours de sa mission, du samedi matin jusqu'au lundi soir, Loïc Roussel n'est pas sorti de l'appartement de Marcel Darlot - pas même pour fumer une cigarette. Il ne s'en plaint pas. « J'ai toujours été accueilli dans des maisonnées où tout se trouvait très bien organisé, où il suffisait de suivre les traces. Les aidants chez qui j'interviens comme parentheur n'ont parfois pas quitté leur logement plus de quelques heures depuis plusieurs années. Une occasion d'échapper à ce rythme leur apporte un grand soulagement et, généralement, ils me bichonnent. » A 9 h 30, samedi matin, Edwige Monard, aide à domicile indépendante, accueille Loïc Roussel. Elle est déjà occupée à faire la toilette de Marcel Darlot. Elle revient chaque soir afin d'aider à le mettre au lit. En effet, le parentheur se substitue à l'aidant, et toutes les interventions habituellement programmées (kinésithérapie, visite d'une infirmière, aide à domicile, etc.) se poursuivent en sa présence.

Pendant que Marcel Darlot se repose après la toilette, Loïc Roussel en profite pour faire un peu de ménage, de rangement, de repassage, puis préparer le déjeuner. Au menu du jour : soupe aux épinards, accompagnée d'un morceau de fromage. Sujet aux malaises vagaux, Marcel Darlot mange en faible quantité. « En ce qui concerne les repas, en général, c'est moi qui décide du menu, en fonction de l'appétit du malade et des aliments proscrits, précise Loïc Roussel. Et, la plupart du temps, je mange la même chose que la personne, sauf les repas mixés ! » Le parentheur consacre les après-midi aux « animations » : « Je fais souvent la lecture à monsieur Darlot. Ancien fonctionnaire de police aux renseignements généraux, il lisait beaucoup de livres d'histoire mais, en ce moment, il préfère revenir à ses goûts de jeunesse. Aujourd'hui, on a bien avancé dans Tartarin de Tarascon, d'Alphonse Daudet. Ensuite, il a souhaité regarder une comédie musicale avec Gene Kelly. Quand on peut, on discute aussi. Je ramène parfois des cassettes de vieux films, des albums, des choses que j'ai piochées sur Internet... Beaucoup de malades Alzheimer ne communiquent plus. Un autre monsieur dont je m'occupe est un ancien comptable. Il ne parle plus du tout, mais je lui pose des opérations et il pratique très bien le calcul mental ! On fait du sur-mesure, et c'est ce qui me plaît le plus dans la formule. »

Travailler dans le cadre de Parenthèse à domicile se révèle une source de satisfaction pour ce jeune homme de 32 ans qui, après avoir été commercial, s'est récemment tourné vers le médico-social. Seul inconvénient : « Les missions tombent presque toujours les week-ends. Cela me convient, d'autant que je perçois les indemnisations de travail dominical et de travail de nuit, mais si j'avais des enfants ce serait différent. Mon baluchon reste toujours prêt, dans l'éventualité d'un départ. Il suffit que j'ai un bouquin, mon baladeur et une brosse à dents pour que je me sente bien. » Pour compléter son temps de travail en dehors de ses missions de parentheur, Loïc Roussel assure des remplacements, surtout la nuit, à l'unité Cantou de l'EHPAD Les Aubépins. « Le rythme est différent, on ne peut pas s'y montrer autant à l'écoute des personnes âgées, mais on y profite de la présence des collègues, de l'échange... J'apprécie cet équilibre entre mes différentes responsabilités. »

Poursuivre l'expérimentation

Pour sa part, Yvonne Gauthier se dit totalement satisfaite de ce service : « Les parentheurs possèdent des qualités exceptionnelles. S'installer dans un endroit que l'on ne connaît pas, prendre en charge toute la partie matérielle, s'adapter au malade et à son environnement... sans sortir du tout ! Je les admire. Les parentheurs sont les seuls à comprendre les aidants. Ils savent ce que nous vivons. »

Afin de poursuivre l'expérimentation, Marie-Pascale Mongaux et ses partenaires doivent, certes, affiner les questions de tarification, de financement et de droit du travail. Toutefois, l'intérêt de cette solution de répit a déjà été prouvé (voir encadré ci-contre). « Nous ne sommes pas encore dépassés par les demandes - 1 400 heures de Parenthèse ont été effectuées entre février et novembre 2008, avec un pic au mois de juillet. Mais, à mon avis, c'est parce que les gens doivent passer un cap. L'offre crée le besoin. Plus le service sera connu, plus on verra les demandes affluer. Lorsque les crèches pour enfants sont apparues, personne ne s'est précipité. Aujourd'hui on ne saurait faire sans elles... »

RETOUR D'EXPÉRIENCE
« La lumière au bout du tunnel »

Dans le cadre du master Action sociale et de santé, Marie Lachant, psychologue en gérontologie, a rédigé un mémoire de recherche intitulé « Pertinence, intérêt et limites d'un service d'accompagnement-répit au domicile ». Elle y évalue le service Parenthèse à domicile après six mois de fonctionnement.

Cinq des 11 familles ayant pris part au dispositif affirment ainsi avoir retrouvé leur proche détendu, et deux autres, qu'il leur a paru joyeux ou d'humeur sereine - « heureux d'avoir échangé avec la personne qui lui a tenu compagnie ». Une personne exprime l'impact positif du répit au domicile : « Grâce au fait de rester à la maison, ma femme n'a pas perdu ses repères. Je n'ai donc eu aucune difficulté à mon retour. »

La majorité des aidants estiment que l'intervention du service leur a procuré une détente psychologique et, pour la moitié d'entre eux, qu'ils ont pu se reposer physiquement, dormir « sans être sur le qui-vive ». Une personne a profité de ce répit pour prendre soin de sa santé et commencer une rééducation. Les aidants soulignent avant tout l'intérêt et l'importance du retour à une existence « normale » : « retrouver des horaires normaux et des occupations personnelles » ; « ne plus penser à cette vie difficile de tous les jours » ; « cela permet de conserver l'espoir de vivre normalement aussi souvent que possible pour récupérer de l'énergie, se faire plaisir, apprécier la «vraie vie» et ses petites joies »...

Ils évoquent de plus le courage que leur donne la perspective du prochain répit, et l'attente de pouvoir s'appuyer désormais sur ce service : « c'est mon espoir » ; « c'est mon projet » ; « ça me permet de vivre » ; « c'est la petite lumière au bout du tunnel, elle évite le découragement, savoir que l'on va avoir une pause » ; « c'est du bonheur à venir, l'attente d'un événement plaisant »...

De même, pour la personne malade, Parenthèse apparaît comme une forme de répit, car parfois l'aidant peut perdre patience envers elle et faire montre de moins d'empathie quand elle se sent surmenée.

La relation particulière entre l'EHPAD et Parenthèse incite familles et malades à mettre un pied dans la structure. La personne âgée peut ensuite prendre confiance, et s'y rendre afin de participer à des animations. Et si les aidants constatent que le maintien à domicile devient trop difficile ou que l'état du malade s'aggrave, ils peuvent préparer en douceur l'entrée en établissement.

Notes

(1) Etude Pixel, Novartis, 2000.

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