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Aider les jeunes filles à pouvoir dire « non »

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Certes, il n'y a ni politique véritablement concertée, ni moyens à la hauteur des besoins. Cependant, l'ignorance comme le déni ne sont aujourd'hui plus de mise : ici et là, les initiatives se multiplient pour soutenir efficacement celles qui veulent se soustraire à une union forcée.

A l'instar de plusieurs enceintes internationales qui l'avaient déjà très nettement affirmé, le Conseil de l'Europe le rappelle sans ambiguïté : « L'union de deux personnes dont l'une au moins n'a pas donné son libre et plein consentement au mariage » est une « atteinte aux droits fondamentaux de la personne humaine », qui ne peut « en aucune façon » être justifiée (1).

En désignant ainsi le caractère inadmissible de la contrainte qui se trouve au fondement des mariages forcés, de telles prises de position sont essentielles pour inciter les pays à appréhender la problématique des jeunes filles (2) confrontées à une union « arrangée » pour elles par leurs parents (3). Car il ne s'agit pas d'en rester au stade de la dénonciation : pour être utile, celle-ci doit être assortie de « programmes de formation de l'ensemble des acteurs sociaux concernés, de campagnes de prévention, ainsi que de mesures concrètes de protection et d'accompagnement des personnes », défend Christine Jama, directrice de l'association Voix de femmes, dédiée à la lutte contre les mariages forcés (4).

Des initiatives associatives et institutionnelles

En France, dans un avis du 23 juin 2005, la Commission nationale consultative des droits de l'Homme observe que cette pratique « constitue, encore aujourd'hui, un phénomène social particulièrement préoccupant ». Même si celui-ci est très difficile à quantifier (voir encadré ci-contre), il n'empêche : grâce au courage des jeunes filles qui sortent du silence, à la détermination des associations de défense des droits des femmes engagées à leur côté et à la médiatisation de certaines situations de détresse, les pouvoirs publics semblent aujourd'hui prendre une plus claire mesure des besoins et des difficultés des intéressées.

Au plan juridique, deux lois récentes accroissent les moyens de lutter contre les mariages forcés (5) (voir encadré, page 32). Mais encore faut-il que la législation soit suffisamment connue pour produire ses effets. C'est loin d'être toujours le cas. Sans se donner le mot, plusieurs départements ont donc conçu des vade-mecum juridiques plus ou moins étoffés à l'intention des acteurs sociaux pouvant être confrontés à des situations de ce type. D'initiative associative et/ou institutionnelle (conseils généraux, services décentralisés de l'Etat), de tels outils ont été réalisés dans la Drôme et l'Isère.

Dans un même souci de pragmatisme, la Ville de Paris a fait le choix de s'adresser spécifiquement aux maires et aux fonctionnaires des services d'état civil chargés de préparer les dossiers avant le mariage. Après avoir diffusé une plaquette de sensibilisation concise et pratique en direction des jeunes filles, la municipalité a rendu public, le 19 novembre, un copieux Guide de prévention des mariages forcés à l'usage des élu(e)s. Elle y donne aux intéressés des indications très concrètes sur la conduite à tenir en cas de suspicion de pratiques matrimoniales contraintes, que ce soit avant la célébration du mariage, au cours de celle-ci, ou après, pour demander l'annulation d'une union. « Les maires sont dans cette situation délicate de ne pas devoir faire obstacle à un mariage sans raisons et de ne pas marier si le consentement des époux ou de l'un d'eux n'est pas assuré », commente Christine Guillemaut, chargée de mission à l'Observatoire de l'égalité femmes/hommes de la Mairie de Paris, rédactrice de la brochure.

Entre l'écueil du relativisme culturel et la crainte de stigmatiser les publics migrants, les travailleurs sociaux ne sont pas non plus dans une position très confortable. Ils ne cachent pas d'ailleurs leurs besoins de repères pour intervenir à bon escient. Dans cet esprit, les formations à leur intention se multiplient et l'information se démultiplie car, dans un deuxième temps, les professionnels formés deviennent des personnes-ressources pour leurs collègues. Ainsi, 100 à 120 travailleurs sociaux exerçant à Paris prennent part, chaque année, à deux journées consacrées à la problématique des mariages forcés.

Dans le Loiret, où une première session, organisée en 2004, a réuni 60 participants - principalement des assistants de service social du conseil général et de l'Education nationale et des infirmières scolaires -, environ 400 professionnels ont bénéficié de telles actions. Pour l'essentiel, il s'agit d'une part d'y décliner les réponses juridiques et sociales mobilisables pour aider les jeunes filles en difficulté. D'autre part, de transmettre aux professionnels « un minimum de connaissances pour les aider à décrypter les signaux d'alerte «culturels» d'un mariage forcé - comme le partage de la kola qui, en Afrique sub-saharienne, scelle le mariage coutumier et autorise les rapports sexuels », explique Christine Jama, dont l'expertise est souvent requise dans ces formations. « Demander à une jeune fille si sa famille a fait le partage de la kola est respectueux de sa personne et de ce qu'elle vit », ajoute la responsable de Voix de femmes, « tandis qu'affirmer de manière condescendante que «seul le mariage civil compte sur le territoire français» peut être interprété par l'intéressée comme une négation de ce qui lui arrive, à savoir les conséquences d'un mariage coutumier qui, même non reconnu par la loi, est bel et bien réel ». La connaissance qu'ont les intervenantes spécialisées de l'état de la question des mariages forcés dans les pays d'origine - législations et luttes des femmes contre ces pratiques - est également un apport précieux, souligne Joëlle Richard, directrice de l'Association départementale pour l'accompagnement des travailleurs migrants et de leurs familles (Loiret).

Souvent nés lors de formations, quelques groupes de travail pluridisciplinaires et interinstitutionnels se sont constitués à l'échelon départemental. Plus ou moins formalisés, ils s'emploient à mieux connaître la réalité locale des mariages forcés et à permettre aux différents professionnels de mieux se connaître pour gagner en efficacité. De tels collectifs fonctionnent dans l'Aude, en Loir-et-Cher et dans le Rhône, d'autres sont en projet. Pionnier en la matière, le réseau « Jeunes filles confrontées aux violences et aux ruptures familiales » de l'Hérault, créé en 2000, s'avère aussi énergique qu'innovant (6). Ce dynamisme a d'ailleurs été salué par la garde des Sceaux, Rachida Dati, venue le 1er décembre à Montpellier lancer « un appel national à la mobilisation contre les mariages forcés » et signer une convention-cadre avec les intervenants locaux qui luttent contre cette pratique ((7). A l'origine de ce réseau, initié et piloté par l'association départementale du Mouvement français pour le planning familial, une « épidémie de mariages forcés », explique Latifa Drif, sa coordinatrice. « Nous avons eu une dizaine de situations quasiment en même temps - mais aucune réponse spécifique à apporter aux jeunes femmes en détresse venues nous trouver. » Une première rencontre a donc été proposée aux acteurs du champ social, sanitaire, éducatif et juridique, pour réfléchir ensemble aux outils à même d'assurer un soutien adapté aux jeunes filles majeures qui veulent se soustraire à un mariage forcé. « Depuis, nous ne nous sommes plus quittés », résume Latifa Drif.

En neuf ans, 447 jeunes filles et trois jeunes gens, âgés en moyenne de 21 ans, ont été pris en charge par ce collectif, qui compte une trentaine de membres se réunissant chaque mois. Hébergement, accès aux droits sociaux et aux soins, subsides, aide psychologique, scolarité, insertion professionnelle... : « chacun, de sa place, apporte une pièce au puzzle de l'accompagnement », souligne la cheville ouvrière d'un réseau, dont les ramifications s'étendent bien au-delà des frontières du département. D'une part, grâce aux collaborations nouées avec les associations de femmes des pays d'origine et avec des avocats féministes pouvant, sur place, aider les jeunes filles qui y sont mariées de force. D'autre part, grâce à Internet, où les Héraultais ont ouvert, fin septembre, un site d'information et de prévention des mariages forcés à l'intention des jeunes filles (www.mariageforce.fr).

Une mise à l'abri parfois nécessaire

Un autre outil novateur, conçu par le réseau de l'Hérault, a lui aussi un rayonnement national. Il peut en effet profiter à des jeunes filles de toute la France. Il s'agit d'un dispositif de mise à l'abri de celles qui ont besoin, en urgence, d'un hébergement sûr et non repérable. Pour le fournir, une poignée de familles d'accueil bénévoles (indemnisées 25 € par jour), formées par le Planning et soutenues par une régulation mensuelle avec un psychanalyste, a été recrutée. Les jeunes peuvent y séjourner de quelques jours à quelques mois, le temps d'élaborer un projet solide. Elles sont accompagnées, pour ce faire, par Anissa Reguieg, éducatrice spécialisée, qui se tourne vers les membres du réseau en fonction des besoins des intéressées. D'abord expérimenté en 2005, puis interrompu faute de financements pérennes, ce dispositif, soutenu par plusieurs institutions (DRASS, DDASS, conseil général et CAF), fonctionne à nouveau depuis un an. Entre novembre 2007 et novembre 2008, dix jeunes filles en ont bénéficié - dont seulement deux habitantes du département. Ce petit nombre prouve l'efficacité du réseau de l'Hérault : grâce à l'aide que celui-ci leur fournit, les jeunes du cru ne partent pas forcément de chez elles sans avoir pu, d'abord, préparer une solution de repli.

Le dispositif montpelliérain est-il reproductible ? En tout cas, même en doublant le nombre de familles d'accueil comme il projette de le faire - celui-ci passerait de cinq à dix -, le réseau de l'Hérault ne peut évidemment pas, à lui seul, pallier le manque d'hébergement approprié à des jeunes filles en rupture familiale. « A l'heure actuelle, il y a peu de places disponibles dans les centres dédiés aux femmes victimes de violences conjugales car, faute de pouvoir rallier le droit commun, celles-ci y restent souvent plusieurs années », fait observer Isabelle Gillette-Faye, directrice du Groupe pour l'abolition des mutilations sexuelles féminines et des mariages forcés (GAMS). De leur côté, les centres d'hébergement d'urgence accessibles par le 115 ont aussi leurs limites, notamment en termes de profil des publics accueillis : les jeunes filles concernées ne sont pas prêtes à se retrouver face à de très grands exclus. « Quant aux femmes qui arrivent ou reviennent sur le sol français, quelles possibilités a-t-on de les héberger ? », s'interroge la responsable du GAMS. Pour réfléchir aux moyens de répondre à des besoins qui sont loin d'être démesurés, quatre associations nationales se sont regroupées dans le réseau Agir avec elles : l'Association des femmes algériennes démocrates (ASFAD), Elele-Migrations et Cultures de Turquie, le GAMS et Voix de femmes (8). En collaboration avec la direction de l'accueil, de l'intégration et de la citoyenneté du ministère de l'Immigration, Agir avec elles étudie la faisabilité d'une formule d'accueil sécurisé. S'inspirant d'exemples européens, les partenaires s'orienteraient vers la création d'un seul lieu pour toute la France, où les accueillies bénéficieraient de groupes de parole et de l'accompagnement de travailleurs sociaux spécifiquement formés.

Une autre pierre d'achoppement sur laquelle bute la protection des jeunes filles n'est pas due à l'absence d'outils mobilisables, mais à la non-mobilisation de ceux qui existent. Ou plus exactement à l'hétérogénéité de leur mise en oeuvre dans les départements. Ainsi est-il plus ou moins difficile d'obtenir une mesure de protection judiciaire pour des mineures qui risquent d'être mariées contre leur gré. Il faut d'abord prouver qu'il s'agit là d'une information préoccupante et, de fait, ce n'est pas toujours évident. « Le plus «simple», c'est quand c'est déjà arrivé à la grande soeur, explique Isabelle Gillette-Faye. Mais s'il s'agit de l'aînée ou d'une petite dernière alors qu'avec les trois premières filles, tout s'était bien passé - même si leurs mariages avaient été arrangés -, l'évaluation est beaucoup plus compliquée. » Par ailleurs, une adolescente majeure qui n'a pas été suivie par l'aide sociale à l'enfance (ASE) durant sa minorité pourra avoir beaucoup de mal à décrocher un contrat jeune majeure.

A ces deux égards, les jeunes filles ont tout intérêt à habiter la Seine-Saint-Denis. Premier département à avoir lancé, dès 1999, un vaste programme de prévention - formation des travailleurs sociaux et sensibilisation des jeunes dans les établissements scolaires (9)-, la Seine-Saint-Denis fait encore oeuvre de pionnier. C'est actuellement la seule collectivité à s'être dotée d'un protocole d'aide aux jeunes menacées ou victimes d'un mariage forcé. Celui-ci, outre les services du conseil général (ASE, service social, protection maternelle et infantile), associe le procureur du tribunal de Bobigny, l'Education nationale, les professionnels des secteurs socio-sanitaire et éducatif des villes, ainsi que quatre associations spécialisées (Elele, GAMS, Voix d'Elles Rebelles et Voix de femmes) qui co-évaluent les situations avec l'intervenant(e) les ayant signalées (10). Initié en 2006, ce protocole a été enrichi et actualisé en novembre dernier. Canevas pratique d'intervention, qui permet aux professionnels de savoir tout de suite comment agir en fonction de l'âge des victimes, le nouveau protocole prévoit deux types d'aide pour les majeures (la prise en charge des mineures par l'ASE est plus « classique »). D'une part, un contrat jeune majeure pour les 18-21 ans (et les mineures émancipées) qui n'ont jamais eu affaire à l'aide sociale à l'enfance ; « On considère qu'il y a là maltraitance familiale », commente Ernestine Ronai, responsable de l'Observatoire des violences envers les femmes de Seine-Saint-Denis. D'autre part, des aides financières pour les 21-25 ans qui résident et sont domiciliées dans le département.

Pour faire connaître ces engagements aux professionnels et populariser la lutte contre les mariages forcés auprès des jeunes et moins jeunes habitant(e)s du département, de nombreuses manifestations ont eu lieu dans 20 villes dionysiennes entre le 18 novembre et le 2 décembre. « Le sujet ne fait pas peur, des gens viennent en parler parce qu'ils veulent que ça aille mieux pour leurs enfants », observe Ernestine Ronai, chef d'orchestre de l'événement. Et d'ajouter, presque étonnée : « Il y a une énergie positive formidable sur une question qui pourrait être plombante... »

COMBIEN DE JEUNES FILLES CONCERNÉES ?

Non, il n'y a pas « plus de 70 000 adolescentes [qui] sont concernées en France par la question des mariages forcés » : malencontreusement validée sans précautions par le Haut Conseil à l'intégration, dans son rapport 2003 - ce qui lui vaut d'être répétée à l'envi -, cette antienne est erronée. Le Groupe pour l'abolition des mutilations sexuelles féminines et des mariages forcés (GAMS), à l'origine de cette estimation, s'était montré à la fois plus précis et plus prudent, quand il évoquait en 2002, c'est-à-dire à un moment donné - et au conditionnel -, « 70 000 jeunes filles potentiellement concernées par cette pratique car originaires de régions où celle-ci était la norme », explique Isabelle Gillette-Faye, directrice de l'association. « Mais ces jeunes filles ont développé de multiples stratégies individuelles pour y échapper. » Sans compter que tous les parents ne mettent pas en oeuvre cette contrainte matrimoniale, même lorsqu'ils sont issus de pays où elle est coutumière. Tel est le principal enseignement de la seule enquête quantitative qui soit à même de fournir quelque éclairage sur la question.

Réalisée en 2006 sous la houlette de Maryse Jaspard, chercheure à l'Institut national d'études démographiques, cette enquête sur les comportements sexistes et les violences envers les jeunes filles a été réalisée auprès d'un échantillon représentatif de 1 600 jeunes filles de 18 à 21 ans résidant, étudiant ou travaillant dans la Seine-Saint-Denis. 703 appartiennent à une famille originaire d'un pays où le mariage forcé est en usage. Parmi ces dernières, 40 - soit 5,7 % - se sont vu imposer un fiancé : 31 ont pu se soustraire au mariage programmé par leurs parents (11), 9 ont été mariées - dont 5 ont subi de fortes pressions psychologiques et des violences physiques. Extrêmement minoritaire, cette pratique n'en concerne donc pas moins un nombre significatif de jeunes filles.

UN ARSENAL JURIDIQUE ÉTOFFÉ

La loi du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs a porté de 15 à 18 ans, pour les femmes, l'âge minimum légal du mariage - comme il l'était déjà pour les hommes (12). Cet important changement a suscité de nombreux débats dans les familles, commente Isabelle Gillette-Faye, directrice du Groupe pour l'abolition des mutilations sexuelles féminines et des mariages forcés (GAMS). Concrètement, le report de l'âge du mariage a également de notables effets. Ainsi, « entre janvier et octobre 2008, 106 dossiers de mariages de mineures, projetés ou célébrés à l'étranger, ont été annulés à l'initiative du service civil du parquet de Nantes », précise Marie-Thérèse Coulon, vice-procureure de cette instance qui centralise les procédures d'annulation des mariages célébrés à l'étranger dès lors que l'un des époux est français ou binational.

Par ailleurs, l'exercice d'une contrainte sur les époux ou sur l'un d'eux, « y compris par crainte révérencielle envers un ascendant », devient un cas de nullité du mariage. Il est donc possible, aujourd'hui, de « prendre en compte les notions de chantage affectif ou de «simple» pression morale, forme de violence souvent plus efficace que les violences physiques et très majoritairement perpétrée dans le contexte d'un mariage forcé », explique Christine Jama, responsable de l'association Voix de femmes.

La loi d'avril 2006 rappelle aussi le principe de l'audition des futurs époux, ensemble ou séparément, avant la célébration du mariage en France ou à l'étranger, et la saisine du ministère public par l'officier d'état civil ou l'agent diplomatique ou consulaire en cas d'indices sérieux d'absence de consentement libre des intéressés. Désormais, le ministère public a alors la faculté, comme les époux, d'engager une action destinée à faire annuler le mariage entaché d'un vice du consentement. De ce fait, les jeunes femmes peuvent, tout à la fois, informer les autorités judiciaires du caractère forcé de leur union et affirmer à leurs parents que l'initiative de cette procédure d'annulation revient aux pouvoirs publics. Le service civil du parquet de Nantes s'avère d'ailleurs soucieux de respecter la confidentialité des démarches effectuées par les intéressées pour éviter que ces dernières subissent des représailles de leur famille. « Dans leurs décisions, les juges essaient de ne pas trop impliquer l'épouse qui se trouve à l'origine de l'assignation en annulation », souligne Marie-Thérèse Coulon. Enfin, si le mariage librement consenti est, logiquement, le cadre de relations sexuelles qui le sont aussi, tel n'est pas le cas de celles qui sont imposées dans le cadre d'un mariage forcé. A cet égard, la loi d'avril 2006 prévoit que le principe de consentement des époux à l'acte sexuel ne vaut que jusqu'à preuve du contraire, et elle stipule que l'infraction de viol ou d'agression sexuelle est aggravée lorsque celle-ci est commise par le conjoint de la victime.

De son côté, la loi du 14 novembre 2006 relative au contrôle de validité des mariages porte, pour l'essentiel, sur ceux qui sont contractés à l'étranger (13). Elle privilégie les contrôles antérieurs à la célébration de l'union devant les autorités étrangères ou consulaires. Ainsi, l'obtention, par les ressortissantes françaises ou binationales, du certificat de capacité à mariage, qui conditionne la transcription de celui-ci sur les registres de l'état civil français, est subordonnée à l'audition - obligatoire - des intéressées. Or, même si les jeunes filles craignent de parler, commente Christine Jama, certains signaux - par exemple, leur silence ou la présence à leur côté d'un oncle qui répond à leur place - peuvent alerter les autorités consulaires ou diplomatiques. Détectant le défaut de consentement de la jeune femme, ces dernières ont alors la possibilité de saisir le procureur du tribunal de grande instance de Nantes pour qu'il s'oppose au mariage. Dans le cas où l'union a déjà été célébrée par l'autorité locale, le procureur peut non seulement en refuser la transcription, mais aussi intenter une action destinée à la faire annuler. Cependant, reconnaît Marie-Thérèse Coulon, « on a d'énormes difficultés à intervenir pour les jeunes filles binationales et, plus encore, pour celles qui n'ont pas la nationalité française, en particulier lorsqu'il s'agit de les rapatrier si elles sont maintenues contre leur gré dans le pays de célébration du mariage ».

Précisément, les femmes exposées à ces violences sont souvent mariées à l'étranger. Or les jeunes mariées binationales ou étrangères sont soumises aux codes de statut personnel ou de la famille de leur pays d'origine. En vertu de ces codes ou de conventions bilatérales, des règles spécifiques de droit international privé s'appliquent à leur situation et font obstacle à leur protection. Aussi, le Conseil de l'Europe a engagé un travail pour lutter plus efficacement contre les mariages forcés qui ont lieu dans le cadre d'enlèvements et de séquestrations dans les pays d'origine. Antigoni Papadopoulos, députée chypriote a réalisé un rapport sur cette question, qui a été validé le 5 décembre dernier par la commission sur l'égalité des chances pour les femmes et les hommes de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe. Il sera soumis à cette assemblée courant 2009 pour adoption.

La France ne reste pas non plus inerte. La direction de l'accueil, de l'intégration et de la citoyenneté du ministère de l'Immigration, de l'Intégration, de l'Identité nationale et du Développement solidaire soutient l'association Voix de femmes pour qu'elle mène à bien une étude de faisabilité sur la création d'une cellule d'alerte, de veille et d'intervention (CAVI). Outil de coordination interministérielle chargé de traiter les situations d'urgence, quelle que soit la nationalité des victimes, la CAVI aurait pour mission de signaler les non-retours à l'école de jeunes filles scolarisées, ainsi que les disparitions de celles qui ne suivent pas d'études. Il lui appartiendrait aussi de recueillir et de centraliser les signalements de femmes en danger imminent de départ forcé, de celles qui ont été envoyées de force au pays et ne sont pas revenues en France, ainsi que de celles qui, tout en craignant de ne pas revenir, ont néanmoins décidé de partir, mais souhaitent laisser une trace de leurs appréhensions (14). Enfin, selon les cas, la CAVI garantirait les interdictions de sortie du territoire ou réglerait les difficultés de rapatriement, en particulier celles des jeunes femmes étrangères qui résident habituellement en France, l'Etat gérant exclusivement le rapatriement des Françaises et des binationales.

Notes

(1) Résolution 1468 adoptée le 5 octobre 2005 par l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe. Enfonçant le clou, l'Assemblée parlementaire a demandé à l'unanimité au Conseil de l'Europe, le 3 octobre dernier, de rédiger une convention - c'est-à-dire un instrument juridique contraignant - afin de protéger les victimes de mariages forcés.

(2) Même si les jeunes gens d'origine turque sont également concernés par l'obligation de se marier avec des épouses « importées » de Turquie, il n'est pas abusif de parler au féminin parce que ce sont essentiellement des jeunes filles qui font l'objet de mariages forcés.

(3) « Il y en a qui pensent que c'était pas forcé parce que j'ai pas dit non. Bon d'accord, c'était arrangé, mais quand t'as pas le droit de refuser, c'est forcé ! » , résume Ramata, 22 ans, dans Quel choix face à un mariage forcé ? , recueil de paroles réunies par l'association Voix de femmes - Ed. In Libro Veritas, 2008 - 5 € -Contact : www.inlibroveritas.net.

(4) Voix de femmes a organisé le 17 octobre à Paris une journée nationale d'étude intitulée « Quels réseaux, quels partenariats pour protéger et accompagner les femmes confrontées au mariage forcé en France ? » - Rens. : Voix de femmes - Maison de quartier des Linandes - Place des Linandes-Belges - 95000 Cergy - Tél. 01 30 31 55 76.

(5) Ces textes, évidemment, ne concernent pas les unions qui sont uniquement contractées de manière coutumière et/ou religieuse.

(6) Voir ASH n° 2402 du 8-04-05, p. 35.

(7) Voir ASH n° 2585 du 5-12-08, p. 16.

(8) Au total, les membres du réseau Agir avec elles prennent directement en charge chaque année environ un millier de femmes de 13 à 30 ans.

(9) Voir ASH n° 2242 du 21-12-01, p. 31.

(10) En 2006, sur 35 situations de mineures ou de jeunes majeures signalées en risque de mariage forcé, 33 l'ont été par l'Education nationale.

(11) Etant donné le jeune âge des enquêtées, rien ne dit qu'à l'avenir, elles ne subiront pas de nouvelles pressions familiales pour se marier.

(12) Voir ASH n° 2449 du 31-03-06, p. 17.

(13) Voir ASH n° 2442 du 10-02-06, p. 21.

(14) A l'instar de la lettre-type à remettre à une personne de confiance, que les autorités allemandes ont diffusée, avant l'été, dans les foyers de jeunes filles et les écoles de Berlin.

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