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Placement... à domicile Un suivi éducatif renforcé avec maintien dans la famille

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Depuis 2004, dans le Vaucluse, le Service d'accueil, de protection, de soutien et d'accompagnement à domicile (Sapsad) fournit aux magistrats et aux professionnels de l'enfance une procédure alternative au placement de mineurs en hébergement spécialisé, souvent vécu par les familles comme un traumatisme.

Fouzia Ziri accueille Renée Brouet, éducatrice spécialisée, dans l'entrée, très abîmée par une fuite d'eau, de son appartement avignonnais. Elle raconte comment elle tente, tant bien que mal, de réparer les dégâts avec l'un de ses fils. Très vite, elle en vient à évoquer ses difficultés à s'occuper seule de ses cinq enfants. Problèmes scolaires importants pour certains, comportements violents pour d'autres, relations familiales conflictuelles... Cette jeune mère avoue s'être rapidement sentie dépassée. « Ils ne m'écoutaient pas, se disputaient tout le temps, et à chaque fois que j'allais les chercher à l'école je revenais en pleurant. A la maison, ils se bagarraient en permanence pour regarder la télévision. C'était très dur, mais je ne voulais pas être séparée de mes enfants. » Plusieurs mesures de suivi éducatif et de placement ont dû être mises en place à l'intention de ses enfants. Pour le dernier, Rayan, c'est l'équipe du Service d'accueil, de protection, de soutien et d'accompagnement à domicile (Sapsad) qui intervient. Elle avait déjà accompagné deux des enfants de la famille.

Aujourd'hui, cela s'est mal passé à l'école, et sa mère s'emporte à plusieurs reprises contre Rayan, excédée parce qu'il « s'est fait remarquer par son professeur ». L'éducatrice tente d'apaiser la situation et essaie de comprendre avec l'enfant pourquoi il a été agité durant la journée. « Il est important que la famille se sente à l'aise avec l'éducateur qui vient à domicile, explique-t-elle une fois la visite terminée. La parole est notre outil, et nous devons veiller à toujours être dans le respect. De cette manière, on arrive à faire accepter les choses. »

Créé en avril 2004 à Avignon par l'Accueil départemental enfance et famille (ADEF) (1), à la demande de magistrats et de professionnels de l'enfance, le Sapsad se veut une réponse alternative au placement traditionnel des mineurs en hébergement. L'objectif étant d'éviter autant que possible de séparer les enfants de leur famille et de préserver au maximum les liens affectifs existants. La prise en charge, pour un prix de journée de 45 euros, s'effectue dans le cadre d'une mesure de placement de l'aide sociale à l'enfance (ASE) avec autorisation du maintien de l'hébergement à domicile. Elle se distingue d'une mesure d'action éducative en milieu ouvert par le soutien très renforcé qu'elle apporte au sein même de la famille. Ils sont sept assistants socio-éducatifs - éducatrices et éducateurs spécialisés et de jeunes enfants, assistants de service social et une auxiliaire de puériculture - pour s'occuper de la quarantaine d'enfants accueillis. Deux psychologues du Sapsad, à mi-temps, interviennent également auprès des familles pour faire une évaluation au moment de l'admission dans le service et apporter un soutien à des parents qui, submergés par les difficultés quotidiennes, sont sur le point de « craquer ». L'équipe s'appuie, en outre, sur un réseau de partenaires - assistants sociaux de secteur, conseillers d'éducation, animateurs d'associations sportives et de loisirs - afin d'aider les familles à cheminer progressivement vers l'autonomie.

Celles-ci sont orientées vers le Sapsad par l'ASE sur une zone de près de 30 kilomètres autour d'Avignon. Les professionnels interviennent en moyenne cinq à six heures par semaine au sein d'une même famille, les horaires s'étalant de 8 heures à 21 heures - y compris le week-end, durant lequel un travailleur social reste d'astreinte. En cas d'urgence de nuit, un cadre de l'ADEF est joignable de 21 heures à 8 heures le lendemain. Actuellement, le service gère 40 places, chaque professionnel assumant le rôle de référent de cinq enfants et de coréférent de cinq autres.

Un soutien fondé sur le principe de responsabilisation

Ce soutien intensif apporté aux parents dans leur fonction éducative passe par la participation active des familles et repose sur un principe de responsabilisation, détaille Roland Monier, directeur de l'ADEF : « Lorsque des mesures de placement sont prises, beaucoup de familles se sentent stigmatisées comme étant «mauvaises», ne sachant pas faire. Nous préférons nous appuyer sur leurs compétences, en leur montrant qu'elles sont capables d'assurer certaines tâches, et travaillons sur celles pour lesquelles elles ressentent plus de difficultés. » Les éducateurs et les assistants sociaux doivent s'adapter à chaque situation pour ne pas intervenir à contretemps, par exemple à la place d'une mère qui s'occupe bien du suivi médical de ses enfants. En revanche, dans d'autres domaines - tels les rapports avec l'institution scolaire, qui effraie nombre de parents -, ils doivent souvent accompagner davantage les familles et se montrer plus directifs lorsqu'il s'agit de suppléer à de réelles carences parentales. L'action des travailleurs sociaux s'étend fréquemment au-delà du seul domaine éducatif. « Quand on va dans des familles où trois enfants vivent dans une même pièce, où il n'existe qu'un point d'eau pour cinq ou six personnes, où une mère n'a pas de quoi nourrir ses enfants de façon satisfaisante, vouloir aborder tout de suite de grands principes éducatifs s'avère illusoire. Cela nous amène à travailler avec les services sociaux du secteur pour que la famille bénéficie d'un minimum de sécurité matérielle », souligne Dominique Benoît, chef de service.

Selon Violaine Liogier, éducatrice spécialisée, cette forte présence auprès des familles, en particulier à domicile, change complètement le regard du professionnel et constitue « un outil précieux pour une appréhension plus globale et plus pertinente des fonctionnements et des problématiques de la famille ». Cette approche nouvelle ne va pourtant pas de soi, concède-t-elle : « Quand on n'est pas habitué, se retrouver seul avec des familles dans des moments de crise, de conflits, n'est pas évident. L'implication personnelle se révèle beaucoup plus importante qu'en internat, où l'on fait plus appel à la notion d'équipe, de relais. » Les deux psychologues du service ont d'ailleurs aussi pour mission d'aider les éducateurs et les assistantes sociales à prendre un peu de recul. Des groupes d'analyse de la pratique se réunissent deux heures par mois avec un psychologue, sans compter les trois heures de réunion d'équipe hebdomadaires au cours desquelles les situations sont étudiées. « Les éducateurs sont vraiment très présents. Ils peuvent se déplacer le soir ou le week-end si une crise apparaît, et se situent dans l'action, dans l'immédiat, rappelle Bérangère Topart, psychologue récemment arrivée au Sapsad. Pour ma part, je me positionne plutôt en arrière-plan et peux ainsi les aider à reprendre un peu de distance, à se décentrer en apportant des pistes de réflexion par rapport à des conflits, à des situations compliquées. » Comme la fois où une assistante sociale stagiaire s'est sentie mal à l'aise face au comportement manipulateur d'une mère. Peur de s'affirmer en raison de sa position de stagiaire, mal-être communiqué par la mère... Plusieurs hypothèses ont alors été abordées avec la psychologue avant que la jeune stagiaire réalise qu'elle avait tendance à se placer dans une position d'observation, de retrait, et que cette femme pouvait alors se sentir jugée et devenir du même coup très méfiante. Autre situation délicate, lorsqu'une éducatrice a éprouvé le sentiment désagréable d'être considérée comme une employée de maison par une mère qui lui demandait de réaliser de nombreuses tâches, en premier lieu de faire ses courses. Le travail de supervision a permis de s'apercevoir que cette dame nourrissait une peur intense de l'extérieur et que, finalement, l'éducatrice n'outrepassait pas ses fonctions si elle effectuait ce type de tâches pour l'aider à résoudre ses difficultés, et non à sa place.

Le positionnement délicat des éducateurs au sein des familles

Les pièges qui guettent l'équipe d'accompagnement sont nombreux. « On fait partie du système familial, il faut se montrer vigilant car on peut être manipulé par des parents qui vont, par exemple, vouloir régler leurs comptes par l'intermédiaire de l'éducatrice. A l'inverse, je me souviens d'une famille qui avait fini par me considérer comme une copine, et il m'était devenu impossible de la faire avancer dans sa réflexion », sourit Renée Brouet, éducatrice spécialisée. Parfois, il arrive aussi que des parents, déjà familiarisés avec les services de l'ASE, fassent preuve d'une certaine désinvolture à l'égard des travailleurs sociaux. « A un moment donné, on peut être placés dans une position d'infériorité, comme des invités, poursuit-elle. Les faire venir dans l'institution aide alors à retrouver une forme d'autorité. » De même, quand des situations deviennent trop compliquées, certains membres de l'équipe préfèrent se dégager momentanément du milieu familial et faire venir les parents dans leurs locaux, situés dans le bâtiment de l'ADEF.

Il est ainsi fréquent de croiser des familles au Sapsad. Dans une salle d'accueil parsemée de jouets, Muriel Dagdelen discute avec Michèle Dannenmuller, auxiliaire de puériculture, pendant que sa fille dessine ou s'amuse avec des figurines aux allures de dinosaures. Cette mère d'une petite fille de 6 ans et d'un garçon de 9 mois vient régulièrement ici. Elle a elle-même demandé à bénéficier d'un accompagnement. Son ancien mari la laissait très souvent seule et sans argent avec ses enfants, dans l'appartement envahi par les cafards. Aujourd'hui, la jeune femme reconnaît qu'elle était devenue instable et agressive. Avec l'aide de l'auxiliaire de puériculture et d'une éducatrice, elle a peu à peu retrouvé des repères éducatifs, entre autres des horaires de repas plus réguliers et une nourriture plus équilibrée. Elle évoque à présent en souriant le frigo « self-service » qui débordait de nourriture et de boissons sucrées à chaque rentrée d'argent. De même, elle a appris à noter les heures des biberons et les quantités prises par le plus jeune. Et sait qu'elle peut compter sur les deux professionnelles pour la soulager au quotidien, en l'accompagnant chez le pédiatre, en faisant manger la plus grande au Sapsad le mercredi, ou en l'assistant à l'heure des devoirs.

Placée sous tutelle, Muriel Dagdelen a entamé une formation pour apprendre à mieux gérer son argent et projette de passer son permis de conduire pour devenir plus autonome et trouver du travail. Elle espère bientôt déménager, afin de se rapprocher de sa famille. La jeune femme sait cependant qu'elle a encore besoin des conseils et du soutien de l'équipe pour affronter les difficultés quotidiennes et assumer son rôle de mère : « Ici, on m'a donné la chance de m'occuper de mes enfants à la maison. J'ai moi-même été placée dans une famille, et je n'aurais pas supporté qu'il arrive la même chose à mes enfants. »

En cas d'urgence, un hébergement momentané reste possible

Lorsqu'une crise survient, il est parfois nécessaire d'éloigner un temps le mineur de son milieu familial. Pour les plus grands, deux chambres ont été aménagées au premier étage de l'ADEF en cas d'hébergements d'urgence. Tonalités claires, lits simples ou superposés, sur lesquels traînent quelques animaux en peluche, les chambres destinées aux jeunes de 4 à 18 ans sont petites mais accueillantes... Et pour l'instant inoccupées. « L'an dernier, ces places d'hébergement n'ont servi que pour huit nuits, précise Dominique Benoît. Mais elles sont indispensables dans les moments de crise, pour pouvoir observer l'enfant en dehors de la présence des parents, sans qu'il soit dans la situation d'un accueil classique en établissement, avec d'autres enfants. Le fait de disposer de cet hébergement au Sapsad nous permet de proposer au mineur un accueil très individualisé et de maintenir le plus possible les liens avec les parents, avant qu'il puisse réintégrer sa famille. »

Lorsque le maintien de l'enfant à domicile se révèle impossible, l'équipe vise là encore l'objectif d'éviter les ruptures brutales avec la famille, tout en veillant à la protection de l'enfant. « Dans la mesure du possible, on essaie de mettre en place une distanciation et d'éviter une séparation qui aboutirait à déposséder les parents de leurs responsabilités », résume le chef de service. Au rez-de-chaussée, les unités de vie de la pouponnière de l'ADEF peuvent accueillir les tout-petits (0 à 4 ans) lorsque de gros problèmes se présentent avec les parents, ou encore dans le cadre d'un accueil séquentiel de jour, pour préparer progressivement le retour d'un enfant dans sa famille après un placement en internat. Auxiliaire de puériculture, Nelly Santin-Janin change un enfant tout en parlant à d'autres petits. Ici, on applique la méthode de Loczy (2), une approche destinée à instaurer des rituels et des tours de rôle pour donner des repères rassurants aux enfants. « Cela permet aussi aux enfants de retranscrire ces rythmes à la maison, en réclamant par exemple un biberon, alors qu'ils ne le faisaient jamais avant de venir ici », explique Nelly Santin-Janin.

Alexis, 9 mois et demi, ne vient plus qu'une fois par semaine à la pouponnière. C'est un « bébé secoué » qui est arrivé ici après son hospitalisation et que l'équipe accompagne dans son retour en famille, le Sapsad ne prenant en charge les situations de maltraitance que dans la mesure où elles ont déjà été travaillées avec la famille. Comme tous les jeudis après-midi, les parents d'Alexis, jeunes et un peu intimidés, sont venus le chercher. Ils ne peuvent pas entrer dans la pouponnière et doivent attendre dans le hall réservé à cet effet pour qu'il n'y ait pas de confusion entre l'accueil mis en place pour l'enfant et le travail de soutien à la parentalité mené à domicile par d'autres professionnels du service. « Pour le petit Alexis, l'accueil devient de plus en plus léger et on s'achemine vers un accueil classique en halte-garderie. Mais parallèlement l'équipe essaie d'inciter les parents à évoquer ce qui s'est passé, à comprendre pourquoi ce passage à l'acte s'est produit. Elle leur apporte également une aide très concrète, en montrant par l'exemple comment faire un biberon, comment parler à leur enfant, etc. Parce qu'être parent n'est pas inné », explique Dominique Benoît.

Une expérimentation probante dans 75 % des situations

Quatre ans après le lancement du Sapsad, une centaine de places du même type ont été ouvertes dans le département, 60 étant gérées par d'autres organismes que l'ADEF. A l'issue de la première année d'expérimentation du service, magistrats et responsables de l'ASE avaient conclu que, sans cette action, la totalité des situations aurait dû nécessiter le placement des mineurs en hébergement. Aujourd'hui, pour les trois quarts des familles suivies par le service, des mesures de placement classiques ont pu être évitées. Quant aux 25 % des mineurs restants, finalement orientés vers des placements traditionnels tels que des maisons d'enfants à caractère social, ils ne doivent pas être considérés comme des échecs, estime Denis Benoît : « Dans ces cas-là, le Sapsad a favorisé la mise en oeuvre d'un travail de requalification des parents en amont du placement avec hébergement. Nous essayons de leur faire comprendre que, s'ils ne peuvent pas faire certaines choses, ils savent en faire d'autres, et que ce placement ne leur enlève pas ces capacités. »

MISE EN OEUVRE
La participation des usagers constitue un facteur indispensable

L'action menée par le Sapsad s'inscrit dans les orientations de la loi 2002-2 en associant étroitement les familles à l'application du dispositif. « Cette action innovante repose sur une prise de risque, et celle-ci ne peut intervenir sans un engagement commun de tous les partenaires », souligne Roland Monier, le directeur de l'Accueil départemental enfance et famille (ADEF). Lors de l'admission, un processus d'évaluation approfondie autorise les familles à donner leur avis sur la mesure mise en place, à analyser leurs domaines de compétence et à formuler leurs attentes. Tout au long de l'action menée par le Sapsad, les comptes rendus sont systématiquement lus aux familles, afin qu'elles puissent prendre connaissance des avis de l'équipe et des grandes orientations de la prise en charge. « Au-delà de la confiance, cette transparence a pour but de responsabiliser les familles en faisant en sorte qu'elles soient parties prenantes du travail réalisé », conclut Roland Monier.

Notes

(1) L'ADEF est un établissement public autonome financé par le conseil général du Vaucluse.

(2) Créée par une pédiatre hongroise, la méthode Loczy se fonde sur le respect de l'activité autonome de l'enfant et sur le rythme de ses acquisitions motrices. Elle met aussi l'accent sur la stabilité des repères et des rapports entre enfants et adultes.

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