Malgré la bronca associative, le gouvernement n'a pas enterré sa volonté de contraindre les personnes sans abri à rejoindre un centre d'hébergement en cas de grand froid. La polémique a enflé fin novembre, après les déclarations de Christine Boutin, ministre du Logement, sur sa décision de lancer une étude sur l'hébergement obligatoire quand la température devient trop froide. Une logique coercitive impensable et incohérente, se sont à l'unisson insurgées les associations de lutte contre l'exclusion, opposées au retour d'une forme de criminalisation de l'errance. La démarche, « un aveu implicite que les moyens ne correspondent pas aux besoins », selon Olivier Brès, président du collectif Alerte, risquerait de surcroît de rendre le travail des intervenants sociaux encore plus difficile.
Même si Nicolas Sarkozy, ainsi que François Fillon et Christine Boutin, ont tenté de nuancer la proposition en évoquant « la recherche d'un équilibre » entre respect des libertés et non-assistance à personne en danger, l'idée continue de faire son chemin, tout du moins dans l'esprit du gouvernement. A la demande du conseiller social du Premier ministre, Alain Régnier, préfet délégué général pour la coordination de l'hébergement et de l'accès au logement des personnes sans abri ou mal logées, a, le 18 décembre, réuni une dizaine d'associations. Sujet de la discussion : le protocole élaboré en 2003 à l'initiative de Dominique Versini, alors secrétaire d'Etat à la lutte contre la pauvreté et l'exclusion. D'après ce texte, repris en annexe des circulaires hivernales, il appartient au SAMU de réaliser une évaluation médicale des personnes refusant d'être hébergées. « L'obligation d'assistance à personne en danger sera appréciée par les acteurs de terrain en lien avec le médecin régulateur du SAMU 15 », précise-t-il. Selon Alain Régnier, les associations devraient être de nouveau conviées en janvier pour en étudier la portée, à partir des pratiques du terrain. « Ce protocole est-il connu ?, Appliqué ? Est-on en état de l'appliquer ? Il s'agit également de revenir sur des cas concrets de décès. » Le mandat qui a été confié au préfet délégué est clair : « Entre le constat effectué par le médecin et la décision d'emmener la personne, il s'agit d'aller le plus loin possible dans les actuelles «zones grises», dans le cadre d'une discussion partenariale. » Pas sûr néanmoins que les associations, qui refusent l'idée d'un hébergement obligatoire, acceptent de prolonger la réflexion.
« Au lieu de répondre par des mesures simples et fortes en termes d'hébergement et de logement, le gouvernement veut prendre des mesures sécuritaires, qui reviendraient à la négation du travail social », fustige Christophe Louis, président du collectif Les morts de la rue, qui déplore 361 décès de personnes sans domicile en 2008. Un constat d'échec, commente-t-il, de la promesse de campagne du chef de l'Etat. Dans une lettre adressée à Christine Boutin le 30 décembre, Christophe Louis lui demande de prendre « les moyens d'un plan ambitieux » reposant sur trois axes : « des lieux de vie de taille modeste avec chambres individuelles, un fonctionnement respectueux de la personne et des durées de séjour longues », un accompagnement adapté et la possibilité pour tous d'accéder à un logement social. « Il faut résolument changer de méthode et dépenser autrement beaucoup d'argent actuellement gaspillé. » Les associations dénoncent la stratégie du « coup par coup » du ministère, qui annonce avoir renforcé les maraudes et ouvert 10 714 places supplémentaires pour le dispositif hivernal. Avec cette mise à l'abri pour la nuit, l'Etat ne se met-il pas hors la loi, la loi DALO instaurant le principe de non-remise à la rue ?, interroge Christophe Louis. « On répond une fois de plus dans l'urgence à une situation d'urgence », peste Christophe Robert, directeur des études à la Fondation Abbé-Pierre. Nicole Maestracci, présidente de la FNARS (Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale), déplore elle aussi « beaucoup de gesticulation » en dépit des pistes issues des travaux de la conférence de consensus organisée par l'association fin 2007 et des propositions du rapport du député Etienne Pinte, en janvier 2008, sur lesquelles le gouvernement s'était globalement engagé. « Malgré tout le travail réalisé, on gère la situation exactement comme il y a deux ans ! », estime-t-elle.
La ministre a beau répéter que la capacité d'accueil pérenne a considérablement augmenté pour atteindre 99 600 places, ce qui, selon elle, correspond au nombre de sans-abri (estimé à environ 100 000), les associations jugent que le compte n'y est pas. Ce volume met dans le même panier tous les types d'hébergement, de l'urgence aux maisons-relais, en passant par le dispositif d'accueil des demandeurs d'asile. Le nombre de places d'urgence a augmenté, mais la transformation d'une grande partie en places de réinsertion et la mise en oeuvre du principe de la « stabilisation » tend à engorger le dispositif. Pour Didier Cusserne, délégué général de l'association Emmaüs, le mot d'ordre de « zéro refus d'hébergement », lancé par François Fillon le 30 décembre, apparaît pour une fois comme une manière intéressante d'aborder le problème. Seul souci : « Il y a un grand décalage entre cette déclaration politique et la réalité. Ce n'est pas parce que le 115 ne refuse plus de demandes parce que l'on a ouvert des places de mise à l'abri dans les gymnases, qu'il y a assez de places d'hébergement ! A Paris, 855 places précaires ont été ouvertes pour l'hiver. Ce qui signifie qu'il manque environ un millier de places d'hébergement. » Et malgré les circulaires sur la veille sociale dont la première remonte à 1998, les moyens sont toujours mal coordonnés. Le document d'information de coordination réciproque qui devrait être signé mi-janvier entre les huit SAMU sociaux d'Ile-de-France et la FNARS régionale permettra-t-il une avancée ?
Alain Régnier, nommé en février 2008 pour piloter la politique en faveur des sans-abri, juge ces récriminations un peu sévères. L'idéal serait, selon lui, de cesser de raisonner par nombre de places disponibles et de proposer du « sur-mesure » selon les besoins des personnes, d'améliorer la gouvernance des dispositifs et de décloisonner le travail des acteurs associatifs. Mais « il faut arrêter de voir le verre à moitié vide, défend-il. Le rapport Pinte préconisait un budget de 1,250 milliard d'euros, on arrive a 1,239 milliard en ajoutant les 160 millions d'euros du plan de relance au budget 2009. Il n'y a jamais eu autant de places et l'humanisation des centres ne peut pas se faire du jour au lendemain. » 50 millions d'euros avaient été consentis à ce volet en janvier 2008, auxquels viennent s'ajouter 110 millions d'euros (30 millions d'euros prévus dans le budget 2009 et 80 millions dans le plan de relance). Selon le préfet délégué, 400 projets ont été recensés, dont 10 % ont été engagés. Reste à faire valider par le ministère un cahier des charges afin de disposer d'« une doctrine nationale ».
Pour tenter d'adapter l'offre aux besoins, les diagnostics locaux des dispositifs d'hébergement et d'accès au logement demandés aux DRASS et aux DDASS (directions régionales et départementales des affaires sanitaires et sociales) en mai dernier devraient être analysés d'ici à fin février et se « transformer en objectifs territoire par territoire ». C'est dans ce cadre qu'une « enquête flash » a été réalisée le 9 juin dernier auprès des « 115 » et des centres d'hébergement. Elle indique notamment que 47 % des demandes effectuées auprès des structures ont été refusées, dans la plupart des cas faute de place, et que 35 % des ménages accueillis ne le sont pas dans un hébergement adapté à leur situation. Un bilan des sorties de 2007 montre que seulement 10 % des hébergés ayant quitté la structure ont obtenu un logement durable.
Le manque de fluidité des dispositifs, justement, grippe toujours les systèmes d'insertion. Selon Alain Régnier, la circulaire du 21 octobre imposant aux préfets un délai de deux mois pour faire sortir au moins 15 % des personnes accueillies en centre d'hébergement et de réinsertion sociale vers des logements a eu des effets positifs. Mais en Ile-de-France, où la situation est particulièrement tendue, seulement 50 % de l'objectif a été réalisé... Le contexte et l'inquiétude qui pèse sur la construction insuffisante de logements sociaux n'incitent guère à l'optimisme sur l'application de la loi DALO (moins de 3 500 personnes relogées sur 50 000 recours au 1er novembre 2008). « Le projet de loi de mobilisation pour le logement, qui prévoit que 25 % des droits à réservation des collecteurs du 1 % logement seront utilisés pour les publics du DALO devrait desserrer l'étau du contingent préfectoral », rassure Alain Régnier.
Le chantier national prioritaire en faveur des sans-abri et des mal-logés doit durer jusqu'en 2012. Mais pour les personnes à la rue, il est urgent de ne plus attendre. Les associations réclament toujours une politique publique d'ensemble qui prévienne l'exclusion et permette d'en sortir durablement. Et des signaux politiques forts, comme l'auraient été des obligations contraignantes pour les maires qui ne respectent pas la loi SRU (solidarité et renouvellement urbains). « Cela fait longtemps que l'on nous dit que cette politique prend du temps », se désole Didier Cusserne. Et à force, la crédibilité des ambitions affichées en pâtit.