Après avoir épinglé un local de rétention dans ses premières recommandations, le contrôleur général des lieux de privation de liberté, Jean-Marie Delarue, met le doigt, avec de nouvelles observations publiées au Journal officiel, sur les dysfonctionnements d'un établissement pénitentiaire de 600 places - la maison d'arrêt de Villefranche-sur-Saône -, qu'il a visité du 23 au 25 septembre dernier en compagnie de cinq autres contrôleurs (1). Des observations dont le « caractère général » dépasse le cadre de cette seule prison, a insisté le contrôleur au cours d'une conférence de presse.
L'attention de Jean-Marie Delarue a été notamment attirée par les conditions de travail difficiles des personnels et en particulier par le découragement des conseillers d'insertion et de probation (CIP), « symétrique du vif mécontentement des détenus à leur endroit ».
« Surchargés de tâches bureaucratiques et de cas à traiter », les conseillers d'insertion et de probation sont en effet contraints de délaisser « deux actions majeures en maison d'arrêt », déplore le contrôleur : l'écoute et la prise en considération des préoccupations des condamnés d'une part, « notamment de ceux condamnés à des peines courtes et de ceux en situation de précarité, dont les demandes restent sans réponse dans des délais raisonnables et dont la personnalité est, par conséquent, de moins en moins réellement connue » ; et, d'autre part, les actions en faveur des prévenus, lesquels restent « à l'écart [...] de toute intervention sociale efficace » (sauf dans l'hypothèse d'une procédure « arrivants », lorsqu'elle existe). Tant et si bien que « la prise en charge sociale de la plupart des détenus est défaillante aujourd'hui ».
En conséquence, Jean-Marie Delarue recommande de « restaurer » la qualité de la prise en charge sociale des détenus par des effectifs renforcés ainsi que, plus globalement, par « un effort constant d'écoute en détention », « par une meilleure prise en considération des facteurs personnels dans les commissions d'application des peines », ou encore « par la réponse aux préoccupations quotidiennes de tous les détenus sans exception ». Le contrôleur plaide également pour que le personnel de direction et les conseillers d'insertion et de probation « soient plus présents en détention, pour pouvoir tout à la fois répondre aux sollicitations et mettre en oeuvre (tout autant que suivre) des activités socio-éducatives et culturelles intéressant le plus grand nombre possible de détenus ».
Autre sujet d'inquiétude pour Jean-Marie Delarue : les cours de promenade, devenues « les lieux de tous les dangers » (menaces, rackets, violences, jets de projectiles, trafics...). « Réceptacle de toutes les tensions et de toutes les frustrations » de détenus « massivement privés d'activités », « espace dépourvu de règles » dans lequel « le personnel ne [s']introduit jamais », « elles sont, en quelque sorte, abandonnées aux détenus, qui considèrent volontiers la cour comme un exutoire au confinement en cellule et comme un marché, substitut aux privations ». Avec pour conséquences « des blessures graves fréquemment constatées », des coupables d'infractions « loin d'être toujours sanctionnés » et des détenus qui refusent d'aller en promenade, « de peur des agressions ». « Cette situation doit évoluer », estime le contrôleur, appelant à une « reconquête des cours de promenade » par l'administration pénitentiaire. Une préconisation qui, dans son esprit, est indissociable de deux autres.
Ainsi, des « efforts substantiels » doivent aussi être réalisés selon lui pour améliorer les rapports entre les détenus et l'encadrement. Et en particulier pour développer la possibilité de recours des détenus contre les décisions qui leur sont applicables. Jean-Marie Delarue déplore à cet égard que les lettres en la matière puissent être ouvertes par celui dont on se plaint. « Leur acheminement n'est pas garanti » et « elles peuvent demeurer sans réponse », constate-t-il encore. Cela alors que « même maladroite ou erronée, la demande du détenu ne saurait être ignorée », au risque sinon d'entraîner un recours « inévitable » à « la protestation désordonnée, violente » et justifiée, aux yeux des intéressés, par l'absence d'écoute.
Le contrôleur s'est encore penché sur le « parcours individualisé » des détenus mis en oeuvre par la maison d'arrêt de Villefranche-sur-Saône. Une initiative « à première vue positive » et qui se rapproche du « parcours d'exécution des peines » prévu dans le projet de loi pénitentiaire (2). Mais pour Jean-Marie Delarue, elle se solde en réalité par « une pure et simple ségrégation entre les différents bâtiments ou étages de l'établissement » avec, d'un côté, « les détenus susceptibles d'évolution au cours de leur incarcération » et, de l'autre, « ceux qui seront laissés pour compte de manière souvent irréversible durant tout leur temps de détention, dans une coursive réputée difficile pour eux comme pour le personnel pénitentiaire ».
(1) Recommandation du 24 décembre 2008, J.O. du 6-01-09.
(2) Un texte qui devrait être soumis au Parlement dans le courant du premier trimestre - Voir ASH n° 2572 du 12-09-08, p. 31 et n° 2574 du 26-09-08, p. 15.