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Les parents s'associent pour assurer « l'Envol » de leurs enfants handicapés

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Pour favoriser l'autonomie de leurs enfants et assurer leur avenir, 12 parents d'adultes handicapés déficients intellectuels ont imaginé un mode d'hébergement innovant, en lien avec l'Adapei-Papillons blancs et le conseil général du Morbihan. Les résidents sont collectivement propriétaires des murs et bénéficient d'un accompagnement à domicile.

La résidence est installée dans un coquet lotissement d'Hennebont (Morbihan), à quelques encablures de Lorient. Ce bâtiment tout en longueur abrite 12 adultes handicapés déficients intellectuels, âgés de 37 à 55 ans. Chacun d'eux dispose d'un studio de 33 mètres carrés et de plusieurs salles communes : cuisine, salle à manger, buanderie... Signe particulier de cette résidence non médicalisée ? Elle appartient à une société civile immobilière (SCI) (1), dont les porteurs de parts ne sont autres que les résidents. Cette formule d'hébergement innovante a été retenue en 2002. A cette époque, une vingtaine de parents d'adultes handicapés mentaux travaillant dans un établissement et service d'aide par le travail (ESAT) d'Hennebont s'inquiètent pour le devenir de leurs enfants. « Tous vivaient chez leurs parents, rappelle Jean-Pierre Le Martelot, gérant de la SCI L'Envol et père de Carole, la plus jeune des résidentes. On cherchait une solution pour le moment où nous ne serions plus là. Or il y avait peu de places en foyer dans la région. » Les familles s'orientent d'abord vers un projet classique d'accession à la propriété pour loger leurs enfants. « Mais c'était le plein boom du bâtiment, poursuit Jean-Pierre Le Martelot. Cela n'était pas viable financièrement. » Une partie des familles s'engage alors dans un projet innovant : monter une société civile immobilière, sur le modèle d'une structure pionnière de Dives-sur-Mer (Calvados). Elles parviennent à réunir plus d'un million d'euros pour la construction du bâtiment, qui démarre en septembre 2003, à Hennebont (2). Une somme rassemblée grâce à l'apport financier des résidents, des subventions publiques (conseil général, communauté d'agglomération de Lorient, ville d'Hennebont) et un emprunt souscrit auprès de la Caisse d'Epargne de Bretagne. La résidence, baptisée « SCI L'Envol », ouvre finalement ses portes en janvier 2005.

Parallèlement à la question immobilière, un service d'accompagnement à domicile (SAD) a pu être mis en place pour les résidents. Géré par l'association Adapei-Papillons blancs, qui représente les familles, il est entièrement financé par le conseil général du Morbihan, favorable à de nouveaux modes de prise en charge des personnes handicapées (3). La formule est la suivante : tous les jours de la semaine, les 12 adultes handicapés travaillent dans l'ESAT Alter-Ego d'Hennebont. Le matin, le soir et la nuit, trois travailleurs sociaux - une auxiliaire de vie et deux aides médico-psychologiques - et trois veilleurs de nuit se relaient auprès d'eux pour assurer un accompagnement continu. Ce service a commencé par être opérationnel uniquement en semaine, puis un week-end sur deux, puis tous les week-ends. Objectif : favoriser l'autonomie progressive des adultes handicapés. Pour Bernard Jaïn, directeur général des interventions sanitaires et sociales au conseil général, cette solution innovante s'inscrit pleinement dans l'esprit de la loi « handicap » du 11 février 2005 sur le handicap. « On considère d'abord la personne handicapée comme un citoyen, explique-t-il. Comme tout un chacun, elle aspire à rester à domicile. A nous de trouver des moyens de compensation pour rendre cela possible. » La résidence n'a rien d'un nouveau foyer d'hébergement : « Il ne s'agit pas de chambres mais bien d'appartements, ajoute le responsable. On souhaite que les résidents soient autonomes et intégrés dans la cité. D'ailleurs, d'un point de vue architectural, le bâtiment se fond dans le paysage. »

« Ils sont ici chez eux »

De fait, la notion de domicile est centrale dans le projet. « Ils sont ici chez eux, souligne Jean-Pierre Le Martelot. L'objectif de la SCI est d'en faire une structure pérenne pour quand les parents ne seront plus là. » L'accompagnement des résidents se situe ainsi à mi-chemin entre l'individuel et le collectif. « Il s'agit d'une intervention au domicile des personnes, renchérit Bernard Lozahic, directeur du service de proximité de l'Adapei-Papillons blancs, qui gère le SAD. C'est un fonctionnement très différent d'un foyer classique. D'autant que les résidents sont assez âgés et n'ont jamais vécu en institution. » Les travailleurs sociaux ont ainsi dû ajuster leur pratique. « Au départ, j'ai tâtonné pour trouver ma place car il n'y avait pas de projet d'établissement bien défini, témoigne Marie-Renée Fournier, auxiliaire de vie présente depuis l'ouverture. Je ne savais pas toujours où étaient mes limites vis-à-vis des résidents. Mais c'est un projet très enrichissant, qui oblige à se remettre en question. »

En semaine, l'accompagnement démarre au lever, de 7 heures à 10 h 30, puis reprend vers 17 heures, après la journée de travail en ESAT (4). Le repas, prévu à 19 heures, est préparé par les travailleurs sociaux et un groupe de résidents. « Le dîner est un moment d'échanges entre eux et avec nous, poursuit l'auxiliaire de vie. C'est l'occasion de repérer si certains ne vont pas bien. On a dû gérer trois décès de parents depuis 2005. Cela a été difficile. » Après le repas, la plupart d'entre eux regagnent leur appartement et quelques-uns restent en salle collective. Les travailleurs sociaux passent le relais au veilleur de nuit vers 22 heures. Le week-end, l'accompagnement dure toute la journée et les résidents sont encouragés à participer à divers loisirs. Mais favoriser leur prise d'autonomie nécessite un travail d'équilibriste : il s'agit de faire naître des projets chez les adultes handicapés sans pour autant bousculer leurs parents, qui restent très présents au sein de la résidence. « Ce n'est pas évident pour ceux qui ont vécu avec leurs parents jusqu'à l'âge de 50 ans de se retrouver dans une structure collective. Il y avait beaucoup d'appréhension au départ, voire de l'angoisse », souligne l'auxiliaire de vie. « Pour un certain nombre de parents, cette séparation a été un véritable déchirement, ajoute Jean-Pierre Le Martelot. Ils y sont allés à reculons. »

Après trois années de fonctionnement, les résidents ont pris leurs marques. « Au départ, ils venaient passer la nuit ici comme dans un internat, remarque Bernard Lozahic. Au fil du temps, ils se sont approprié le site et le considèrent comme leur lieu d'habitation. » La plupart commencent également à s'ouvrir à l'extérieur : inscription à la médiathèque ou à des cours d'informatique, sorties le week-end, etc. « D'autres prennent eux-mêmes en charge leur linge », ajoute l'auxiliaire de vie (5). Une évolution qui n'a rien d'anecdotique : « en vivant chez leurs parents, ils avaient l'habitude d'être assistés », indique le gérant de la SCI. Les résidents tissent également des liens entre eux, s'invitant régulièrement à dîner dans leurs studios.

Pour autant, il existe encore une marge de progression. « Il faut cheminer avec les parents, précise Bernard Lozahic. On ne peut pas précipiter les choses. » Jean-Pierre Le Martelot reconnaît qu'il reste du chemin à parcourir : « le week-end, seule la moitié des résidents préfère rester à Hennebont. Les autres rentrent chez leurs parents. Mais ils restent tous au moins un week-end par mois. » Pour Marie-Renée Fournier, le fait que l'accompagnement soit découpé entre plusieurs moments de la journée constitue une difficulté. « En dehors des repas, on passe peu de temps avec eux pendant la semaine. Comme ils sont fatigués par leur journée de travail, ils sont peu demandeurs d'activités. Mais depuis que nous sommes là tous les week-ends, on peut prévoir davantage de sorties. » D'autre part, l'équipe des travailleurs sociaux est réduite. « L'accompagnement est parfois un peu léger pour 12 personnes, estime Jean-Pierre Le Martelot. Par exemple, le week-end, il n'y a qu'une seule personne pour tout gérer. »

Pour l'heure, les principales difficultés de la SCI L'Envol s'arrêtent là. Mais à l'avenir, plusieurs questions délicates risquent d'émerger. La première d'entre elles est celle de l'évolution des moyens accordés à l'accompagnement à domicile. « Pour l'instant, tous les résidents ont encore au moins un parent, signale Jean-Pierre Le Martelot. Mais il va falloir anticiper le moment où un résident se retrouvera seul. Car pour l'instant, aucun accueil n'est prévu dans la résidence durant les vacances. » Le conseil général est conscient du problème. « On organisera nécessairement un accompagnement, assure Bernard Jaïn. Reste à voir selon quelles modalités. » Du côté des familles, cette question des vacances est un point sensible : « Les parents s'opposeront farouchement au déplacement dans une autre structure pendant les vacances par commodité, prévient Jean-Pierre Le Martelot. Les problèmes d'organisation de service ne doivent pas passer avant le bien-être des résidents. »

Concernant la cession d'un appartement après le départ d'un résident, les familles ont tenté de se prémunir contre toute dérive. Ainsi, les adultes handicapés sont eux-mêmes porteurs des parts sociales de la SCI, de manière à éviter des problèmes de succession au moment du décès des parents. Par ailleurs, l'association Adapei-Papillons Blancs dispose d'une part au sein de la SCI, afin de veiller à la bonne attribution des studios. « La question ne s'est pas encore posée mais du fait du remboursement de l'emprunt, les parts sociales ont pris de la valeur, fait observer le gérant de la SCI. S'il fallait remplacer un résident, il faudrait une personne intéressée en capacité financière d'acquérir la part sociale. »

Enfin, cette formule non médicalisée ne convient pas à tous les adultes handicapés. « En cas de dépendance lourde ou de polyhandicap, un tel projet serait beaucoup plus compliqué », estime Bernard Jaïn. Reste que cette solution fait des émules dans le département. A Hennebont, une SCI réunissant 14 adultes handicapés travaillant dans deux ESAT de la ville est en train de voir le jour, et à Vannes, un projet rassemblant 12 autres personnes est en réflexion. « Ce sont toujours des démarches longues et laborieuses, conclut Jean-Pierre Le Martelot, qui a quitté son emploi pour s'occuper à plein temps du projet. Mais notre exemple prouve que c'est possible. On a semé des petites graines. »

EN VENDÉE, ENFANTS HANDICAPÉS ET PARENTS VIEILLISSANTS SOUS LE MÊME TOIT

L'association Handi-Espoir et le conseil général de Vendée ont inauguré en 2007 une maison familiale pouvant accueillir des personnes handicapées avec leurs parents vieillissants (6). Installée dans une aile d'un château, à proximité de la commune des Herbiers, elle répond à un besoin relativement récent. « L'espérance de vie des personnes handicapées a beaucoup augmenté, remarque Jean-Yves Poulailleau, président de l'association Handi-Espoir. Quand leurs parents vieillissent, ils ont du mal à s'occuper d'eux et sont très angoissés pour leur avenir. » Cette résidence non médicalisée, qui dispose d'un agrément pour les deux publics, permet à ces familles de vivre ensemble. Elle continue également à accueillir les adultes handicapés après le décès des parents. La maison reçoit actuellement 20 personnes âgées et 16 adultes handicapés (infirmes moteur cérébraux, déficients intellectuels et personnes ayant des troubles psychiques), entourés par une équipe de 26 professionnels (administration, soins, aide médico-psychologique, animation).

Parents et enfants ne vivent pas dans le même appartement, mais évoluent dans une unité de vie commune, réunissant au maximum cinq familles. « Notre objectif est de travailler sur la séparation psychique entre parents et enfants, explique Corine Fayet, directrice adjointe de l'établissement. Ce n'est pas simple car ils ont toujours vécu ensemble et ne sont pas préparés à une vie sociale élargie. Cela nécessite un ajustement permanent de notre part. » Au bout d'un an de fonctionnement, des évolutions sont néanmoins visibles. « Même les mères les plus fusionnelles commencent à nous faire confiance, notamment pour des gestes intimes comme la toilette, poursuit la responsable. Les parents s'autorisent aussi à partir seuls en vacances, à se libérer de leurs angoisses. »

Notes

(1) SCI L'Envol : 4, rue Yves-Leroy - 56700 Hennebont - Tél. 02 97 81 03 14. Les résidents ne sont pas propriétaires de la résidence mais d'une part sociale de la SCI.

(2) La mairie d'Hennebont, qui a proposé le terrain, a accepté de patienter plusieurs années avant d'être payée par la SCI.

(3) En 2008, le SAD de la SCI L'Envol a bénéficié d'un budget de 146 000 € . Le budget demandé pour 2009 s'élève à 169 000 € .

(4) Depuis un an, l'auxiliaire de vie ou les AMP restent le matin jusqu'à 10 h 30, au lieu de 9 heures. Cela permet aux cinq résidents qui travaillent à l'ESAT à mi-temps de se lever plus tard que les autres. Ceux qui travaillent à temps plein partent le matin à 8 h 30 et reviennent vers 17 h 30. Un bus les dépose devant le bâtiment.

(5) Les résidents qui le souhaitent peuvent faire appel à des services à la personne en plus de l'accompagnement social (aide-ménagère par exemple). Mais ce service est à leurs frais.

(6) Maison Marie-Claude Mignet : Le Bois-Tissandeau - 85500 Les Herbiers - Tél. 02 51 64 78 00.

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