Après deux années de réflexion, le Conseil d'orientation des retraites (COR) a rendu public, le 18 décembre, son rapport sur les droits familiaux et conjugaux en matière de retraite (1). L'« urgence d'une réflexion » s'imposait, explique-t-il, car « la France se trouve confrontée aux développements d'un droit et d'une jurisprudence [communautaire] qui mettent en oeuvre le principe d'égalité de traitement entre les hommes et les femmes, selon une logique assez profondément étrangère à la conception française traditionnelle ». Cette réflexion était aussi nécessaire du fait de la hausse de l'activité des femmes et des nouvelles formes de conjugalité, et de la charge que représente les droits familiaux et conjugaux pour les régimes de retraite : près de 45 milliards d'euros par an. Après avoir dressé un état des lieux de ces droits et analysé leurs perspectives d'évolution, le COR formule plusieurs pistes pour améliorer leur adéquation aux évolutions de la société, sans proposer toutefois des réformes clé en main. L'instance précise que « toutes les pistes d'évolution recensées en la matière n'ont d'ailleurs pas nécessairement donné lieu à accord en son sein ».
Il existe aujourd'hui, rappelle le conseil, de nombreux droits familiaux - majoration de durée d'assurance pour enfants, majoration de pension pour trois enfants et plus, assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF), majoration pour conjoint ou enfant à charge - et conjugaux (pensions de réversion). A l'exception de l'AVPF, les droits familiaux dépendent du régime d'affiliation des assurés, une diversité qui n'est « pas aujourd'hui sans incidence sur leur cohérence et peut conduire à des disparités de traitement, selon les régimes, de certaines situations familiales », souligne-t-il. Et si tous les régimes accordent des pensions de réversion, à un taux variant de 50 à 60 %, les conditions pour en bénéficier sont, là aussi, « loin d'être homogènes », constate le COR.
Ces droits familiaux et conjugaux devraient évoluer différemment dans les années à venir. Par exemple, parmi les nouveaux départs en retraite, le pourcentage de femmes bénéficiaires de la majoration de durée d'assurance pour enfants « resterait relativement stable jusqu'en 2050, entre 90 et 93 % », estime le COR, tout comme le nombre moyen de trimestres attribués par le régime général. En revanche, poursuit-il, « la part des prestations de réversion devrait diminuer constamment sur la période 2006-2050 : de 13 % en 2006, elle devrait passer à 11,4 % en 2020 puis à 9,8 % à l'horizon 2050 ». Une tendance qui s'explique par la « progression de l'activité féminine, particulièrement marquée pour les générations du « baby-boom » qui liquident leur retraite actuellement et dans les prochaines années », mais aussi par un contexte démographique favorable (2). Toutefois, prévient le conseil, ces projections doivent être considérées avec prudence, notamment « parce qu'il existe une grande incertitude liées aux comportements conjugaux futurs et que, à l'exception du régime général, les régimes ont effectué des projections sur la base d'un taux de conjugalité constant sur la période ».
Face aux écarts importants de pensions entre hommes et femmes - dus notamment au fait que les femmes interrompent plus fréquemment leur activité pour s'occuper de leurs enfants et perçoivent des salaires inférieurs -, le COR soutient avant tout que l'objectif majeur est de compenser les effets de la naissance des enfants sur les carrières des mères, « tout en soulignant qu'il est important de ne pas inciter les femmes à s'éloigner trop longtemps du marché du travail ». Il est donc essentiel, selon elle, de bien compenser les « interruptions courtes », par exemple en termes de durée d'assurance, ce qui pourrait « s'accompagner d'un report de salaires à [leur compte individuel], afin de prendre en compte l'effet possible d'une interruption sur le salaire annuel moyen » servant au calcul de la pension de vieillesse. Parallèlement, pour compenser les écarts de carrière et donc de salaires, qui ne résultent pas seulement des interruptions d'activité, le COR suggère la « mise en place d'une majoration du montant de pension dès le premier enfant, proportionnelle et réservée aux mères ».
Pour se rapprocher d'un tel système, le rapport préconise « une évolution progressive des dispositifs existants », et en particulier une « meilleure articulation de l'AVPF et de la majoration de durée d'assurance ». Une des pistes d'évolution de l'AVPF consisterait à en « faire un dispositif de compensation des interruptions d'activité », selon trois modalités possibles : « dans le cadre du dispositif existant, en réservant l'AVPF aux parents qui interrompent ou réduisent leur activité suite à l'arrivée de l'enfant » ; « en liant directement l'AVPF à l'interruption d'activité et en supprimant la condition de perception des prestations familiales pour [son] ouverture » ; « en liant l'AVPF au congé parental et au complément de libre choix d'activité » de la prestation d'accueil du jeune enfant. S'agissant de la majoration de durée d'assurance pour enfants, le COR considère, compte tenu de la jurisprudence communautaire et française récente, que son extension aux pères, réclamée par la Haute Autorité de lutte contres les discriminations et pour l'égalité (HALDE) (3), doit être étudiée. Toutefois, « outre son coût probablement très élevé », cette mesure « remettrait en cause l'objectif visé par le dispositif de compenser, au moins en partie, les écarts de pension entre les hommes et les femmes qui résultent des écarts de carrière », reconnaît-il. Le conseil recommande d'autres solutions, à commencer par celle qui consiste à « accorder la majoration de durée d'assurance aux pères qui ont élevé seuls un enfant », une solution qu'il n'affectionne pas particulièrement du fait de sa complexité de gestion notamment. Autres possibilités : « lier le bénéfice la majoration de durée d'assurance à l'accouchement », ce qui compenserait les désavantages de carrière qu'induit pour les femmes l'accouchement. Ou encore « lier le bénéfice de la majoration à une interruption d'activité d'une durée minimale de deux mois par exemple, suite à la naissance ou l'adoption d'un enfant ». Enfin, le rapport suggère de « transformer à terme une partie de la majoration en une majoration de montant de pension réservée aux femmes », qui pourrait être « proportionnelle, pour compenser les pertes de salaires, ou forfaitaire, dans un souci redistributif ».
Le COR s'est également penché sur les évolutions possibles des majorations de pension pour les parents de trois enfants et plus, qui ont un simple objectif de redistribution vers les parents de familles nombreuses. Il propose notamment de les intégrer dans l'assiette de l'impôt sur le revenu, à l'instar des pensions, ou encore, si on les considère comme des prestations familiales, de les rendre forfaitaires.
« La forte progression des divorces à partir des générations du «baby-boom», puis le développement de nouvelles formes d'unions hors mariage pour les générations plus jeunes » ont également amené le COR à s'interroger sur les évolutions des systèmes de pensions de réversion. Parmi les questions posées : l'extension des pensions de réversion aux couples ayant conclu un pacte civil de solidarité (PACS), également réclamée par la HALDE (4). Pour le conseil, elle ne pourrait être envisagée que « sous condition de durée minimum du PACS » et à condition « qu'il y ait, en contrepartie, un minimum de devoirs pour les bénéficiaires ». L'instance propose que ces derniers s'engagent « à des liens de solidarité financière proches de ceux du mariage et notamment au versement éventuel d'une prestation compensatoire en cas de rupture du PACS - ce qui impliquerait que la procédure de rupture d'union soit portée devant le juge ». En cas d'ouverture du droit à réversion à des couples non mariés, il conviendrait alors de « proratiser la réversion en fonction de la durée totale de l'union plutôt qu'en fonction de la durée de mariage, afin de ne pas pénaliser les couples qui se marient tardivement après une longue période de cohabitation hors mariage ».
L'instance aborde également la question du veuvage précoce, avant 55 ans. En 1999, parmi les 3,8 millions de personnes veuves, 240 000 avaient moins de 55 ans (360 000 si la définition du veuvage était entendue à toutes les personnes qui ont vu leur conjoint décéder, marié ou non). Sur ce dernier chiffre, quatre personnes sur cinq étaient des femmes et environ neuf sur dix avaient eu un ou plusieurs enfants avec le conjoint décédé. En outre, sur la période 2002-2005, le taux de précarité des veuves de moins de 55 ans était de 28 %, contre 12 % dans l'ensemble de la population française. Au vu de ces chiffres, le COR pose la question de savoir si la prise en charge du veuvage précoce n'a pas vocation à « être dissociée de l'assurance vieillesse, dans la mesure où elle s'adresse à un public plus jeune et a priori actif, pour lequel le retour sur le marché du travail doit être visé quand il est possible ». Aussi suggère-t-il d'« examiner une meilleure prise en charge du veuvage précoce, soit par des dispositifs publics, soit par une prise en charge complémentaire relevant de la prévoyance, soit par les deux ».
(1) Retraites : droits familiaux et conjugaux - Sixième rapport - Disp. sur
(2) En effet, explique le rapport, l'allongement de l'espérance de vie, la réduction de l'écart entre les espérances de vie masculine et féminine et la réduction des écarts d'âge au mariage contribuent à la diminution de la part des années de veuvage pendant la retraite.