Près de deux mois après l'annulation par le tribunal administratif de Paris de l'appel d'offres réorganisant la présence associative au sein des centres de rétention administrative (CRA) (1), le ministère de l'Immigration revient aujourd'hui à la charge avec une nouvelle version (2). L'objectif reste le même : « choisir les personnes morales qui assureront l'information, en vue de l'exercice de leurs droits, des étrangers maintenus dans les CRA », a résumé le ministère dans un communiqué du 19 décembre.
Jusqu'à présent, seule la Cimade dispose du droit d'entrer dans les CRA, mais Brice Hortefeux souhaite mettre fin à ce monopole. C'est dans cette optique qu'un décret du 22 août a ouvert la possibilité pour le gouvernement de « passer une convention avec une ou plusieurs personnes morales » pour assurer les missions conduites actuellement par la seule Cimade (3). Lancé dans la foulée, le premier appel d'offres visait précisément à trouver d'autres intervenants, répartissant au passage la trentaine de centres de rétention existants ou en cours de construction en huit lots. Mais c'était sans compter la levée de boucliers provoquée au sein du monde associatif, les détracteurs de la réforme reprochant notamment au gouvernement de contrarier « toute observation, analyse et réaction d'ensemble sur la situation prévalant dans les centres de rétention » par l'émiettement de l'intervention, critiquant « l'exigence de neutralité, de discrétion et de confidentialité » demandée aux prestataires, ou encore fustigeant l'ouverture de l'appel d'offres à des opérateurs autres que les associations spécialisées. Saisi d'une demande en annulation de l'appel d'offres par plusieurs associations, le tribunal administratif de Paris s'en est tenu pour sa part à reprocher au gouvernement de ne pas avoir suffisamment insisté sur les compétences juridiques exigées des candidats, l'obligeant tout de même à revoir sa copie.
Le nouvel appel d'offres tient compte de l'ordonnance du juge administratif en augmentant le niveau d'exigence pesant sur les équipes intervenant dans les CRA, tant en termes de compétences juridiques que de maîtrise confirmée des règles spécifiques du droit des étrangers. Le poids du critère des « compétences juridiques de l'équipe » parmi l'ensemble des critères d'attribution du marché passe en effet de moins de 15 % à 40 %. Dans le détail, le ministère appréciera dans ce cadre la « maîtrise confirmée des règles spécifiques du droit des étrangers pour tout ou partie des intervenants » proposés, au regard notamment de leurs diplômes, de leur expérience juridique, de la formation que la personne morale qui a fait une offre s'est engagée à leur fournir ou encore de la capacité de cette dernière à s'appuyer sur des assistants juridiques, précise le règlement de consultation de l'appel d'offres. Par ailleurs, « en toute hypothèse, pour chaque centre, la personne morale devra démontrer sa capacité à mobiliser au moins un intervenant justifiant du niveau minimum de connaissances juridiques correspondant à une licence en droit ou un diplôme équivalent ».
L'expérience dans le domaine juridique et humanitaire - tant pour les responsables que pour les salariés et les bénévoles - ainsi que la garantie d'une pratique suffisante, au sein des centres, des langues les plus utilisées par l'ensemble des retenus étaient également, dans le précédent appel d'offres, des sous-critères représentant ensemble moins de 15 % des critères d'attribution. Ils sont désormais appréciés au titre des « autres compétences de l'équipe », critère pondéré à 20 %. A l'inverse, le prix de la prestation, qui représentait 40 % des critères d'attribution du marché, est réduit à 15 %.
Dans son communiqué, le ministère de l'Immigration assure avoir répondu, avec le nouvel appel d'offres, « aux voeux exprimés par plusieurs associations de défense des droits des étrangers, [en permettant] notamment aux personnes morales qui le souhaiteraient de s'organiser pour présenter une offre conjointe ». De fait, le règlement de consultation indique effectivement noir sur blanc que l'offre peut être présentée par un groupement de personnes morales. Dans ce cas - et comme le décret du 22 août prévoit que les prestations d'information et d'aide aux étrangers retenus « sont assurées par une seule personne morale par centre » -, l'acte d'engagement du candidat devra désigner pour chaque centre d'un même lot la personne morale membre du groupement qui y assurera cette mission, ainsi que le mandataire du groupement, étant précisé que ce dernier peut assurer la mission d'information et d'aide directement dans un ou plusieurs centres du lot. A noter : contrairement au marché annulé, la sous-traitance est également dorénavant expressément prévue et organisée.
Le ministère de l'Immigration était encore attendu sur la question - très controversée - de l'obligation de discrétion imposée aux personnes morales intervenant dans les CRA, qui avait fait couler beaucoup d'encre lors de la publication du premier appel d'offres. Le ministère se veut désormais moins ambigu. La prestataire de service doit toujours s'engager - entre autres - à faire preuve de discrétion et à ne pas divulguer des faits ou des informations sur les situations individuelles qu'il aura à connaître. Toutefois, précise dorénavant le cahier des clauses techniques particulières, rien ne l'empêche, avec l'accord de l'intéressé, « d'avoir des communications avec les proches d'un étranger retenu afin d'assurer dans les meilleures conditions sa mission, de rendre publiques des informations sur la situation individuelle d'un étranger retenu » ou encore « d'échanger des informations avec les autres personnes morales responsables de la même mission dans d'autres centres de rétention administrative notamment pour assurer un suivi de certains dossiers individuels et/ou une coordination ». Par ailleurs, indique encore explicitement le document, rien n'empêche non plus le titulaire du marché « d'exprimer des opinions, critiques et propositions d'ordre général dans ses publications et ses communications ou dans des publications ou des communications communes avec d'autres personnes morales responsables de la même mission dans d'autres [CRA] ».
Les personnes morales qui le souhaitent ont jusqu'au 10 février 2009 pour déposer une offre. En attendant, afin d'éviter un vide juridique, la Cimade va conserver ses prérogatives dans les CRA. La convention qui lie l'association à l'Etat arrivant à échéance le 31 décembre 2008, un avenant prolongeant sa mission jusqu'au mois de mai devrait très prochainement être signé. Parallèlement, la Cimade n'entend pas pour autant déposer les armes dans la bataille qui l'oppose au ministère depuis le 22 août. Dans un communiqué du 22 décembre, elle indique ainsi qu'elle étudie avec ses partenaires les moyens de contester le nouvel appel d'offres, qu'elle qualifie de « simulacre » (4).
(2) Annonce n° 186 publiée le 19 décembre 2008 au Bulletin officiel des annonces des marchés publics n° 246B.
(4) En effet, pour l'association, les corrections ajoutées au texte sont de « fausses concessions puisqu'il s'agit en réalité de simples rappels de ce que la loi ne lui permet pas d'interdire ». En outre, ce second appel d'offres confirme selon elle « le choix d'un marché et d'une logique libérale déplacés en matière de défense des droits de l'Homme, obligeant les associations à se poser en concurrentes ». Au passage, la Cimade déplore encore le maintien de l'éclatement en huit lots indépendants de la mission d'aide aux étrangers, qui interdit « toute possibilité de défense efficace et globale des personnes concernées » et annihile « toute action nationale cohérente des organisations non gouvernementales ».