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« La gratification des stages est inadaptée au secteur »

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Raréfaction des offres de stages, inégalité entre étudiants, entre établissements... Jean-Pierre Husson, directeur-adjoint de l'Ecole de formation psycho-pédagogique, à Paris, pointe les effets pervers de la gratification pour les stages de plus de trois mois des étudiants en travail social.

« Dans l'ensemble du secteur social et médico-social, la gratification des stages prévue par la loi sur l'égalité des chances n'entraîne, comme prévu, que des inégalités et pénalise ceux qui devaient en tirer bénéfice. Ainsi, pour la première fois depuis 25 ans dans notre centre de formation, après trois mois de recherche, tous nos étudiants n'ont pu trouver à temps, sur la région Ile-de-France, le premier stage de leur formation d'éducateur spécialisé. 15 autres recherchent encore le second stage qui débute le 5 janvier prochain. La cause principale invoquée par les établissements : la gratification des stages. Après des années d'efforts pour accroître les moyens de formation d'un secteur professionnel dont la pénurie de diplômés est annoncée, une conséquence indirecte mais réelle de cette loi est d'affaiblir l'offre et la diversité de stages et à terme la formation des professionnels de niveau III.

Dans le secteur non marchand, les établissements ne tirent pas de profit financier des stagiaires : ceux-ci contribuent à la dynamique des équipes en échange de l'encadrement dont ils bénéficient. Bien sûr, ils apportent un confort supplémentaire de prise en charge à ces équipes rarement en surnombre. Mais rien à voir avec des étudiants en entreprise, exploités avec un bac + 5, chargés de projets à la place de salariés. Le modèle de formation qui domine dans notre secteur d'activité est bien davantage celui d'une réelle alternance, avec des tuteurs de stage impliqués dans l'accompagnement de futurs professionnels. Les dernières réformes des diplômes d'Etat d'assistant de service social, d'éducateur de jeunes enfants, d'éducateur spécialisé, insistent encore davantage sur la reconnaissance des établissements comme partenaires de ces dispositifs !

La gratification n'est pas financée par les budgets des établissements : les déclarations des directions régionales des affaires sanitaires et sociales (DRASS) sur le sujet et leurs accords ponctuels se heurtent au réel. Paroles de directeurs : «Nous n'avons pas les moyens d'inscrire cette dépense supplémentaire sur notre budget, ni de nous projeter à deux ans, ou bien, au mieux, nous en limitons drastiquement le montant et donc le nombre de stagiaires.» Des dizaines de lettres reçues de chefs d'établissements confirment cet état de fait. Des conséquences dommageables en résultent :

une raréfaction des offres de stages, qui se concentrent sur les stages les plus longs ; «quitte à sauver un stage et payer un stagiaire, autant l'avoir un temps suffisant», avons-nous régulièrement entendu ;

un glissement, chez certains employeurs, de la notion de «gratifié» à «payé». La loi qui visait à corriger une situation d'exploitation pourrait bien en fait l'entraîner. Le calcul des heures réalisées et gratifiées mensuellement vient introduire une confusion nouvelle dans la façon dont on considère le stagiaire (même à un taux horaire dérisoire, on peut y voir à tort une rétribution salariale) ;

une inégalité flagrante entre les établissements publics, dispensés de l'obligation, et qui sont submergés par les demandes, et les établissements privés associatifs, étranglés financièrement ;

la tentation d'un raccourcissement de la durée des stages : limitation de la fréquence des retours en centre de formation pour réaliser des stages «denses», inférieurs à 12 semaines. Autre petit arrangement possible, le découpage d'un même stage en deux ou trois conventions inférieures à trois mois, habilement différentiées. Ces tentations ne résolvent rien. Elles détournent pour raison de carence financière une loi «formaticide» ;

une nouvelle inégalité entre étudiants : le statut d'ex-salarié, bénéficiaire d'allocations, exonère de l'obligation d'être gratifié et ouvre un choix de stages bien plus large que pour les «primo-arrivants en formation initiale» ;

enfin, comme souvent en cas de raréfaction d'une denrée, la tentation du chacun pour soi : réservation de stage plusieurs mois (voire années) à l'avance, au mépris du sens même d'une formation qui devrait être axée sur la capacité de découverte et de changement.

Ainsi, la gratification n'est pas la réponse à la question réelle des conditions de vie étudiante. Pour notre secteur, la loi a apporté une réponse parfaite... ment inadaptée. Quelle cause sert ce dispositif ? Pas celle des étudiants, qui ont à choisir entre renoncer à une gratification modeste et remettre en question leur formation par carence de stage. Et chacun de se renvoyer la responsabilité : c'est aux centres de formation de se mobiliser, aux fédérations employeurs, aux syndicats, aux DRASS, aux départements, aux régions, aux étudiants... Pourtant, c'est unies que toutes les parties prenantes du secteur doivent réaffirmer la nécessité et l'urgence d'une modification législative pour permettre la formation des travailleurs sociaux de demain. »

Contact : jp.husson@efpp.fr.

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