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L'IGAS somme l'Etat de choisir entre centralisation et décentralisation

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Dans un rapport très sévère, l'IGAS passe en revue les dysfonctionnements qui accompagnent la décentralisation. Faute pour l'Etat d'avoir clarifié son rôle, les politiques sociales ont été partagées entre différents acteurs sans schéma d'ensemble, tandis que l'administration centrale continuait à peser sur la gestion des dispositifs. Pour les inspecteurs, les leçons doivent être tirées.

Le rapport annuel de l'inspection générale des affaires sociales (IGAS), consacré à l'évaluation des politiques sociales décentralisées (1), ne pouvait mieux tomber pour les collectivités territoriales. Alors que le contexte économique actuel plombe leur horizon et que les appels de leurs représentants se multiplient pour exiger de l'Etat davantage de liberté de manoeuvre, la description que fait l'IGAS du paysage issu de 25 années de décentralisation ressemble à bien des égards à un plaidoyer pour une remise à plat de l'ensemble du dispositif.

Rendu public le 8 dé-cembre, ce rapport définit en effet un système d'une complexité inouïe, peu efficace, « inachevé », taraudé par le chevauchement des compétences d'une multitude d'acteurs. Etat, collectivités locales, organismes de sécurité sociale, associations se partagent les politiques sociales décentralisées selon une répartition des rôles difficilement compréhensible. « Chaque politique sociale met en jeu plusieurs de ces acteurs selon diverses configurations : plusieurs collectivités locales, une collectivité et l'Etat, ou encore une collectivité et un organisme de sécurité sociale et/ou une association, etc. » Par exemple, la mission de l'IGAS pointe les interactions entre les politiques d'emploi (dont l'Etat est responsable), de formation professionnelle (confiées aux régions), et d'insertion par l'emploi (qui relèvent des départements). Ou encore les conditions dans lesquelles est mise en oeuvre la protection maternelle et infantile, qui, bien que sous compétence du conseil général, dépend de l'offre sanitaire et de la politique de santé scolaire pilotée par l'Etat. Ces imbrications entre acteurs culminent dans les champs de la dépendance ou du handicap où les établissements sociaux et médico-sociaux peuvent faire l'objet d'un double, voire d'un triple financement. Sans compter que les caisses de sécurité sociale ne sont pas en reste, avec des fonds d'action sociale de l'ordre de 4,5 milliards d'euros dont la répartition peut être « redondante ou mal articulée » avec celle des collectivités locales. « Des évolutions récentes vont cependant dans le sens de la recherche d'une plus grande cohérence », reconnaissent tout de même les rapporteurs, citant la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, qui confie aux départements un rôle de coordination de l'action sociale, ou la mise en place « des guichets uniques », tels que les maisons départementales des personnes handicapées, qui « apportent une réponse à la multiplicité des intervenants en offrant aux bénéficiaires un seul point d'entrée ».

Dans cet environnement difficile, les collectivités territoriales ont néanmoins joué le jeu de la décentralisation, juge l'IGAS. « Les divers contrôles effectués montrent que les missions transférées ont été reprises par les départements et les régions sans rupture dans la mise en oeuvre du service public et sans qu'apparaissent de déficiences flagrantes, même si des exceptions existent. » Les collectivités semblent même plutôt bons élèves, comme en témoignent la progression du taux de contractualisation en matière de revenu minimum d'insertion (RMI), l'investissement massif sur l'allocation personnalisée d'autonomie, ou encore le renforcement des moyens humains affectés à l'exercice des mesures transférées par rapport aux effectifs qu'y consacrait l'Etat.

Des modes d'organisation non stabilisés

Toutefois, leur gestion est qualifiée de « perfectible ». En effet, pour assumer leurs nouvelles compétences, « les collec-tivités territoriales ont retenu des modes d'organisation très divers, qui n'apparaissent pas encore totalement stabilisés plus de 25 ans après les premiers transferts de compétences ». Si cette diversité traduit la persistance de « certaines interrogations quant à l'organisation la plus efficace », il reste que la tendance de fond, observée chez une majorité de conseils généraux, qui consiste à territorialiser les actions en les déléguant à des associations partenaires « multiplie les risques d'un accroissement des différences de pratiques, parfois d'une circonscription à l'autre ».

De plus, il est très difficile de porter une appréciation sur la qualité des prestations, faute de données de suivi sur l'activité des services. « Cette lacune trouve son explication dans l'inadaptation du système actuel de remontée d'informations et de partage de données, malgré les efforts de mutualisation réalisés dans certains domaines. Le système mis en place par les lois de décentralisation est essentiellement vertical (des collectivités territoriales vers l'Etat) et se trouve mis à mal par le développement de systèmes locaux d'observation, à l'initiative des collectivités territoriales, qui conduit à une dispersion de l'information » (voir encadré, page 32). Conséquence : en dépit des sommes importantes qui y sont affectées, les politiques sociales décentralisées restent « faiblement évaluées », et il est encore très difficile de mesurer « l'impact de la décentralisation » sur la situation des bénéficiaires. Pis, dans les départements qu'a visités l'IGAS, « la mise en place d'un système d'information fiable et performant, répondant tant aux besoins des gestionnaires qu'aux demandes de l'Etat, central comme déconcentré, ne semble pas être une priorité ». Avec le risque, présent dans tous les champs de l'action sociale, que les services ne disposent que de peu d'indications pour mettre en oeuvre des actions adaptées aux besoins du territoire, voire tombent dans « la routine administrative ». Pour preuve, les rapporteurs épinglent des inégalités dans les moyens affectés par les collectivités aux politiques sous leur contrôle, « sans relation avec les différences de besoins des populations ». En matière de formation des demandeurs d'emploi ou dans le cadre des politiques d'insertion, les dépenses par habitant peuvent ainsi varier du simple au double par le seul jeu des différences de politiques locales. Dans le champ de l'aide sociale à l'enfance, l'écart entre départements peut aller de 1 à 5 et des différences notables s'observent également au sein des circonscriptions d'un même département.

Mais c'est sur l'Etat que la mission de l'IGAS concentre l'essentiel de ses critiques. Pour les rapporteurs, un « désengagement réel » des politiques sociales a bien eu lieu. L'Etat a tiré profit de la décentralisation en se défaussant à deux niveaux des tâches de gestion qui lui incombaient auparavant : d'une part, par le jeu des transferts de compétences aux collectivités, d'autre part, « par l'évolution de ses modes opératoires ». Dans le domaine de l'emploi et de la formation professionnelle, « le transfert des compétences sur les régions s'est conjugué avec l'évolution ou l'abandon de certains dispositifs », comme la suppression des contrats emploi-solidarité, et avec l'externalisation de la gestion des nouveaux contrats (contrats d'avenir, contrat d'insertion, RMI, contrat initiative emploi). Dans le même temps, l'Etat s'est engagé dans une politique « de recours à des opérateurs techniques ». A l'image de la gestion des aides à l'emploi des personnes en difficulté, prévues dans la loi de cohésion sociale, qui a été confiée à l'ANPE et au Cnasea (Centre national pour l'aménagement des structures des exploitations agricoles). Résultat : tous secteurs d'activités confondus, « l'activité de gestion directe assurée par les services de l'Etat ne se limite plus aujourd'hui qu'à quelques dispositifs d'ampleur limitée », tels que la validation des acquis de l'expérience, le fonds d'urgence sociale ou les tutelles.

L'Etat brouille les cartes

Pour autant - et le paradoxe est de taille - l'Etat n'a jamais renoncé à intervenir dans les domaines de compétences transférés aux collectivités. Bien au contraire. Dans la formation professionnelle, il a maintenu ponctuellement son intervention au nom de sa compétence sur l'emploi, « au risque de déstabiliser la mise en oeuvre des politiques locales, au moment même où celles-ci doivent s'adapter au nouvel équilibre défini par les dernières décentralisations ». Dans le secteur médico-social, la compétence de l'Etat sur l'autorisation, la tarification et le financement des établissements, se voit de plus renforcée par le truchement du préfet de département, qui détient l'autorité tarifaire pour les crédits relevant de l'assurance maladie. « Au-delà des dispositifs qui restent de sa compétence, l'Etat intervient par ailleurs pour recréer des dispositifs au coeur même des politiques décentralisées », ajoute l'IGAS. Que cette intervention soit faite par souci de s'occuper de publics mal pris en charge ou qu'elle se situe dans une volonté de répondre à une nouvelle demande des citoyens, « elle conduit incontestablement à brouiller la lisibilité des compétences ». Que penser à ce titre de l'imbroglio des aides aux jeunes en difficulté, normalement sous l'entière responsabilité des départements ? Alors que la loi du 13 août 2004 confiait aux conseil généraux la mise en place d'un fonds départemental d'aide aux jeunes (FAJ), destiné à remplacer celui qui était initialement copiloté par l'Etat (2), « immédiatement après ce transfert, la loi de finance pour 2005 créait un fonds d'insertion professionnelle des jeunes, concurrent du FAJ décentralisé et doté de 75 millions d'euros », ironisent les rapporteurs.

Les raisons de ce chassé-croisé ? Un Etat resté jacobin - « unitaire », pour l'IGAS - où la responsabilité de la loi appartient au pouvoir central. De ce fait, « le maintien des interventions de l'Etat traduit sa difficulté [...] à redéfinir son rôle et ses missions dans un contexte renouvelé par la décentralisation ». C'est ainsi que les services de l'administration restent organisés autour de « la gestion des dispositifs », quand chacun les attend sur l'articulation entre compétences décentralisées et compétences étatiques. Au niveau déconcentré, « l'absence de consigne claire sur le nouveau positionnement à adopter conduit les services à adopter des stratégies d'intervention différentes. Ce qui se traduit soit par un retrait excessif des politiques concernées, soit par une intervention trop grande dans les dispositifs, soit encore par des tentatives de coordination pas toujours réussies. »

Les modalités de compensation des transferts de compétences mettent en évidence cette ambiguïté. Dès l'origine, le ver était dans le fruit. En effet, alors que les premières lois de décentralisation posaient le principe de la compensation financière des charges transférées, ces mêmes lois affirmaient que ces ressources étaient équivalentes aux dépenses effectuées par l'Etat « à la date du transfert ». Problème : les dépenses sociales, notamment celles liées à l'insertion et à la dépendance, se sont toutes envolées par la suite... Sur la gestion du RMI, l'écart entre dépenses et recettes de compensation peut atteindre 25 % dans des départements à fort taux de précarisation, comme la Seine-Saint-Denis, en dépit des différentes mesures de rattrapage budgétaire mises en place. A cela s'ajoute les « charges imprévues », ou encore celles « imposées » aux collectivités par les modifications réglementaires postérieures aux transferts. Sitôt après le transfert aux régions des formations sanitaires et sociales, les rapporteurs notent, par exemple, que « des mesures nouvelles avaient été prises affectant l'organisation administrative et pédagogique des formations ». Pis, faute d'une préparation suffisante des services de l'Etat, le périmètre des formations concernées restait ambigu et les dépenses réelles mal connues. Au point, révèle l'IGAS, que lorsque des agences régionales de l'hospitalisation et des DRASS ont voulu solliciter des informations complémentaires, par-delà le flou des circulaires, c'est souvent par de simples courriels émanant de leur administration centrale qu'elles ont pu obtenir une réponse à leurs interrogations, « sans que l'information soit systématiquement généralisée ».

C'est donc à une remise à plat des rouages de la décentralisation qu'invite la mission de l'IGAS. En effet, afin d'enrayer l'imbrication des interventions entre acteurs différents, les politiques transférées ont été pensées par le législateur selon le modèle, implicite ou non, de « blocs de compétences homogènes et étanches » répartis entre institutions. « Or ce principe s'avère inopérant dans le champ social où les publics sont concernés par des politiques diverses, et où la tendance est à la personnalisation des prestations. » Un découpage des compétences en fonction des thématiques d'intervention, des publics ou des techniques d'intervention ne semble pas plus efficace. En réalité, c'est l'idée même de ces blocs de compétences aux frontières stables, à laquelle se réfère encore l'Etat, qui doit être abandonnée. « Il semble plus opportun de concentrer les efforts sur un système reposant [...], d'une part, sur une accessibilité aisée pour l'usager et, d'autre part, sur une détermination claire des responsabilités des décideurs. »

Le législateur n'a pas choisi

Quant aux modes de relations entre l'Etat et les collectivités, deux conceptions de la décentralisation continuent de s'affronter, « entre lesquelles le législateur n'a pas jusqu'à présent véritablement tranché ». La première, qui repose sur le principe d'un Etat tutélaire, revient à faire des collectivités territoriales de simples opérateurs des politiques décentralisées. Dans cette logique, l'Etat reste le grand ordonnateur qui fixe les objectifs à atteindre et en vérifie l'application par les collectivités, quitte à user de son pouvoir de substitution ou de sanction en cas de défaillance. « Cette conception renvoie à un contrôle par l'Etat des collectivités systématique et beaucoup plus étendu qu'actuellement », juge l'IGAS. A l'inverse, une seconde logique revient à considérer que, dans un Etat véritablement décentralisé, il appartient aux collectivités territoriales de définir leurs politiques sociales en toute autonomie. Auquel cas « il n'y a pas à proprement parler de politique nationale, mais des politiques sociales décentralisées, l'intervention de l'Etat étant fixée a minima ».

Refusant de choisir entre les deux options, la mission fait néanmoins quelques recommandations fondées sur « une approche pragmatique » afin de faire bouger les lignes. A minima, elle propose qu'une concertation sur les projets de loi soit réalisée « en amont » avec les collectivités, « notamment lorsque l'adoption d'un texte est susceptible de produire une incidence financière ». A cet effet, des études d'impact pourraient être systématiquement effectuées pour apprécier les conséquences sur les charges des collectivités. De même, l'IGAS se demande si cette concertation en amont ne pourrait pas aller jusqu'à une « définition conjointe des objectifs des politiques décentralisées », tout en reconnaissant qu'une telle démarche supposerait « une réelle évolution dans les modes de préparation de la décision publique ».

Afin de renforcer la cohésion sur le terrain, la tenue de « conférences annuelles, organisées au niveau départemental puis national » est également préconisée. La généralisation de cet outil permettrait aux partenaires de la décentralisation « à la fois de développer le dialogue sur des sujets relatifs à l'intervention sociale [...] et de diffuser les réflexions et les expériences ». L'IGAS observe que l'Etat a déjà commencé à adopter cette démarche avec la création de la CNSA (caisse nationale de solidarité pour l'autonomie) qui, outre sa mission de répartition de crédits dans les secteurs du handicap et des personnes âgées, s'oriente vers des missions d'appui technique et d'expertise. Prudents, les rapporteurs considèrent toutefois que la multiplication de ce type de structures sur les différentes politiques sociales décentralisées « n'est pas nécessairement optimale », et que, faute d'une réflexion globale sur la gouvernance des politiques décentralisées, elle pourrait aboutir à la construction de systèmes d'information « cloisonnés par politique ». Ce qui représenterait l'inverse du but escompté.

Avant tout, une « clarification du rôle de l'Etat dans les politiques sociales décentralisées » est nécessaire. Celui-ci doit trancher plus clairement « entre centralisation et décentralisation » dans des domaines où il conserve encore des interventions résiduelles. Les rapporteurs suggèrent par exemple de transférer aux régions l'intégralité des dispositifs de formation professionnelle, voire encore d'abandonner toute intervention de l'Etat dans des domaines comme l'insertion professionnelle des jeunes ou l'apprentissage, ou, tout aussi symbolique, de mettre fin à la procédure de déclaration préalable à l'Etat des établissements de formation en travail social.

Dans la foulée, l'IGAS propose de renforcer le rôle des collectivités territoriales comme « chef de file » des politiques décentralisées. Un des instruments de ce renforcement pourrait consister en une réévaluation du rôle des schémas départementaux. Pouvant être juridiquement opposables, ces schémas consolidés permettraient « l'émergence de véritables stratégies locales », en définissant avec précision le rôle des différents acteurs qui concourent directement ou indirectement à l'action sociale, et en organisant les partenariats entre eux. Dans ce nouveau contexte, l'inspection attire également l'attention sur « l'enjeu essentiel » que revêt la mise en place d'outils d'évaluation objectifs. Elle suggère de confier à « une structure mixte regroupant les services déconcentrés de l'Etat et les collectivités » le soin de déterminer et de mettre en oeuvre les modalités d'organisation des évaluations, afin « d'améliorer la connaissance sur les dépenses sociales des collectivités et [de] mieux mesurer la performance des politiques décentralisées ».

Enfin, l'IGAS demande à l'Etat de tirer toutes les « conséquences de la décentralisation » en s'engageant dans « une profonde réorganisation » de son administration centrale et de ses services déconcentrés. A ce titre, la mission, après avoir épinglé l'Etat, est moins sévère : elle prend acte du large mouvement de recomposition de l'administration engagé avec la révision générale des politiques publiques. En particulier, la prochaine création d'une direction générale de la cohésion sociale, intégrant la DGAS (direction générale de l'action sociale) et les autres services intervenant sur ce champ, semble susceptible de « permettre un pilotage de la politique des solidarités adapté au nouveau contexte de la décentralisation ». La constitution de « nouveaux opérateurs », comme les agences régionales de santé, trouve également grâce à ses yeux, en incarnant « une logique de distinction des fonctions de pilotage des politiques (qui reste sous responsabilité de l'administration centrale) de celles de gestion et de suivi (confiées aux agences) ». Au final, l'IGAS voit dans la réorganisation en cours l'amorce d'une réforme « d'ampleur » des services déconcentrés « qui conduit à conforter le niveau régional ». Un mouvement qui pourrait aboutir, selon elle, à « repositionner » ces fonctionnaires sur des missions de veille et de contrôle, tout en déléguant les fonctions de « gestion opérationnelle » qui semblaient indéfectiblement rattachées à leur identité.

L'information : la grande oubliée de la décentralisation

Quel que soit le champ de l'action sociale étudié, le constat que dresse l'IGAS est le même. Les sources d'information autorisant la mesure de l'efficacité des politiques publiques manquent, ou lorsqu'elles existent, ne sont que parcellaires. Une réalité têtue qui peut conduire à des extrêmités inquiétantes. Lors d'une mission sur l'accueil d'urgence de l'aide sociale à l'enfance (ASE), effectuée en 2008 (3), l'IGAS a établi que cette problématique n'était simplement pas chiffrée par les acteurs. « Faute d'un outil fiable pour comptabiliser le nombre d'accueils réalisés, la question de l'urgence, qui fait pourtant l'objet de discussions récurrentes dans les services de l'ASE, n'est pas analysée a posteriori », s'étonnaient les inspecteurs. Notamment, « les causes de l'urgence et son éventuelle anticipation, l'importance réelle du phénomène, son évolution dans le temps » restaient inconnus. Mais les acteurs de terrain ne sont pas les seuls fautifs. Dans une autre mission portant sur la coordination du financement de la formation des demandeurs d'emploi, les inspecteurs se sont heurtés à de grandes difficultés pour disposer de données fiables sur plusieurs années consécutives, tant au plan régional que national. S'agissant par exemple de l'assurance chômage, les informations nationales fournies aux enquêteurs par l'Unedic n'étaient simplement pas « cohérentes » avec celles données par les Assedic au niveau régional, « sans qu'il soit toujours possible de comprendre les écarts constatés ».

La raison ? L'inadaptation du système actuel de remontées d'informations et de partage des données utilisé entre les différents acteurs sociaux. Bien qu'encadrées par de multiples textes, qui précisent les statistiques concernées et les modalités de leur transmission, les remontées d'information continuent de souffrir « du manque de généralisation des échanges informatisés », quand ce n'est pas d'un défaut d'actualisation. « Les obligations à la charge de l'Etat sont de plus imparfaitement définies et déséquilibrées par rapport à celles des collectivités locales », et les engagements réciproques ne sont qu'inégalement remplis. « En définitive, analyse l'IGAS, le système se révèle trop vertical, selon une organisation calquée sur le modèle relationnel prévalent entre l'Etat central et les services déconcentrés, et mal adapté à l'échange. » Conséquences : le besoin d'information a conduit, dans le même temps, à une multiplication des structures d'observation locales qui sont venues renforcer à leur tour l'éclatement des sources disponibles. « Du côté de l'Etat comme des collectivités, des politiques pourtant complémentaires sont ainsi appréhendées de façon scindées les unes par rapport aux autres, sans prendre en compte l'identité des publics ni le caractère essentiel des parcours ».

Pour l'IGAS, une connaissance partagée des politiques sociales décentralisées passe nécessairement par « la construction d'un système d'information » facilitant l'échange des données.

Reste que la mise en oeuvre d'un tel système représente un véritable casse-tête nécessitant d'ouvrir les différents outils informatiques les uns aux autres. Face à cette difficulté, l'IGAS recommande de s'appuyer sur le « référentiel général d'interopérabilité » (RGI) commun à l'ensemble de la sphère administrative, dont les bases ont été posées par une ordonnance du 8 décembre 2005 (4). Avantage du RGI : conçu dans un objectif de standardisation des données, et non des logiciels, il sauterait par-dessus les différences de systèmes déployés dans les diverses administrations, qu'elles soient d'Etat ou territoriales. Compte tenu des blocages éventuels qui pourraient être engendrés par « l'insuffisance de dialogue », l'IGAS préconise que l'association des collectivités locales à ce système se fasse, le cas échéant, « sur la base d'expérimentations ».

L'enjeu est aussi financier. Faute de données fiables, l'Inspection générale des affaires sociales s'estime en effet « souvent dans l'incapacité de juger de l'adéquation des missions aux moyens disponibles dans les collectivités contrôlées ». Renforcer les outils de connaissance sur les dépenses sociales des collectivités permettrait, anticipe-t-elle, de « mieux connaître [...] l'effet des transferts reçus de l'Etat et des mécanismes de responsabilisation mis en place dans ce cadre ».

Notes

(1) Rapport 2007-2008 de l'IGAS sur les politiques sociales décentralisées - La Documentation française, novembre 2008 - 14 € .

(2) Institué par la loi du 1er décembre 1988 sur le RMI, ce premier fonds départemental d'aide aux jeunes en difficulté faisait en effet l'objet d'une convention entre l'Etat, le département et, le cas échéant, les collectivités ou organismes participant à son financement. Avec la loi du 13 août 2004, le FAJ passait sous seule compétence du département.

(3) Contrôle du dispositif d'accueil d'urgence de l'aide sociale à l'enfance - Rapport de synthèse - IGAS, février 2008.

(4) L'ordonnance du 8 décembre 2005 relative « aux échanges électroniques entre les usagers et les autorités administratives et entre les autorités administratives » détermine les répertoires de données, les normes et les standards qui doivent être utilisés par les administrations, et pose un cadre juridique aux échanges électroniques.

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