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Rapport Varinard : vers une justice des mineurs « centrée sur l'acte » ?

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Modification du regard porté sur la jeunesse, désaveu du travail éducatif, complexification des procédures... Les professionnels de la justice des mineurs et les spécialistes de l'enfance continuent d'opposer leurs arguments - à la fois politiques et techniques - aux propositions de la commission Varinard pour réformer l'ordonnance du 2 février 1945, remises le 3 décembre à la garde des Sceaux (1). Des propositions, critiquent-ils à l'unisson, en contradiction avec l'objectif affiché de préserver la spécificité de la justice des mineurs.

Nombre d'entre elles, note la défenseure des enfants, ne respectent pas la Convention internationale des droits de l'enfant. L'âge de responsabilité pénale fixé à 12 ans, tel que retenu par le rapport, est considéré par les experts de l'ONU comme un « minimum absolu que les Etats sont invités à augmenter progressivement », beaucoup ayant d'ailleurs choisi de le porter à 14 ans. La convention stipule, souligne également Dominique Versini, que l'incarcération des mineurs doit être exceptionnelle, alors que le rapport la rend possible dès 12 ans en matière criminelle. Cette préconisation a toutefois été écartée par le Premier ministre.

En proposant de créer un « code de la justice pénale des mineurs », critique encore la défenseure, « la commission Varinard réduit clairement la perception et le traitement des mineurs au champ de la délinquance ». Elle avait, pour sa part, proposé un « code des mineurs » rassemblant l'ensemble des dispositions civiles et pénales les concernant, pour assurer leur cohérence et « unifier le traitement des enfants en matière de prévention, de protection et de répression » (2). L'Uniopss, qui, à l'instar de l'Unicef-France, déplore qu'aux yeux des rapporteurs « seule demeure la vision juridique abstraite » du mineur, avait formulé le même voeu. « La justice des mineurs tire sa légitimité d'une approche globale de l'enfance en difficulté », défend-elle.

Défense des enfants International (DEI)-France dénonce tout autant le « double langage » de la commission Varinard et estime que l'institution judiciaire ressortirait « déséquilibrée » de ces mesures. Le rapport « emporte un désaveu idéologique majeur de l'action sociale et judiciaire développée ces 20 dernières années sans le moindre fondement concret ». La sanction, fait-elle valoir, peut être un temps dans la prise en charge, mais en aucun cas une fin en soi. DEI-France s'insurge également contre le renvoi du traitement des infractions commises par des moins de 12 ans aux conseils locaux de prévention de la délinquance, qui « pourraient vite devenir une sorte de tribunal civil sous l'autorité des maires, privant ainsi les enfants des garanties judiciaires auxquelles a droit tout citoyen ».

L'accélération des procédures, l'application de la composition pénale et des peines planchers aux mineurs, la possibilité de faire comparaître un mineur de 16 ans devant un tribunal correctionnel sont autant de préconisations, relève l'Uniopss (Union nationale interfédérale des oeuvres et organismes privés sanitaires et sociaux), qui traduisent un « glissement du droit pénal des mineurs vers le droit commun ». « Un pas supplémentaire dans son rapprochement avec la justice des majeurs », a commenté Olivier Boudier, secrétaire général du Syndicat national de l'ensemble des personnels de l'administration pénitentiaire (Snepap)-FSU, en s'exprimant au sein du Collectif libertés, égalité, justice (CLEJ) avec la Ligue des droits de l'Homme, le Syndicat de la magistrature, l'AFMJF (Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille), le Syndicat des avocats de France, le Syndicat national des personnels de l'éducation et du social (SNPES)-PJJ-FSU, le SNUCLIAS-FSU, la CGT-Pénitentiaire et des partis de gauche. « Les rédacteurs du rapport sont persuadés, ajoute Olivier Boudier, que le durcissement des peines va permettre de lutter contre la délinquance. Ce qui est contestable pour les majeurs l'est en encore plus pour les mineurs, dont le passage à l'acte est lié à un problème profond qu'il serait illusoire de vouloir traiter par la seule sanction. »

L'AFMJF, qui ne nie pas les points positifs du rapport - maintien de la double compétence des juges des enfants, souci de la formation des intervenants, de l'information des parents à tous les stades de la procédure, césure du procès pénal ou encore mise en avant de la réparation pénale -, estime aussi que les propositions, dans leur globalité, remettent en cause la spécificité de la justice des mineurs. L'idée de structures contenantes pour les 10-12 ans, la mise en détention provisoire directe pour les jeunes de 14 ans, tout comme l'instauration d'un tribunal correctionnel pour les 16-18 ans illustrent également cette orientation, souligne Muriel Eglin, sa secretaire générale. Quant à l'emprisonnement de fin de semaine, « c'est un moyen de moins hésiter à incarcérer ». Au lieu d'être simplifiée, l'organisation judiciaire est complexifiée avec l'instauration d'une audience, selon les cas, à juge unique, avec deux assesseurs ou devant le tribunal correctionnel. « On multiplie les structures de jugement, les passerelles entre procédures, on crée des sanctions de sanctions... »

Fait non moins grave, la commission « casse les mesures existantes », notamment en diminuant la durée de la mesure d'investigation et orientation éducative (IOE) de six mois renouvelables à trois mois renouvelables une fois, ce qui, selon les professionnels, ne permettrait plus de travailler suffisamment sur la situation des mineurs. « Le placement, poursuit Muriel Eglin, est présenté comme une sanction. Compte tenu de la difficulté à convaincre un jeune de cette mesure comme action éducative, cela ferme la porte à toute posssibilité d'avancée. » Au total, regrette l'AFMJF, les propositions de la commission Varinard constituent un projet de justice centré sur l'acte, ce qui aboutira à plus d'enfermement et moins de protection.

Cette perspective va dans le sens contraire de l'action éducative, s'indigne le SNPES. « Toutes les mesures éducatives seraient regroupées dans les sanctions éducatives, sur le modèle des mesures de probation pour les majeurs, analyse Maria Inès, secrétaire nationale. Ces préconisations instaurent une vision très mécanique de l'approche de l'adolescent en difficulté, sous prétexte de graduer les sanctions. Elles proposent une justice qui distribue des sanctions et pas une justice qui permet un espace où les jeunes peuvent se transformer, connaître une évolution lente, mais certaine, si on s'en donne les moyens. » Pour le SNPES, le rapport s'incrit dans la continuité des orientations de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse, qui recentre son activité sur le pénal. « Avec un saut qualititatif important : la PJJ devient une administration de gestion des peines. » Au lieu de favoriser l'incarcération des mineurs, « facteur de désocialisation », ne vaut-il pas mieux favoriser le milieu ouvert et l'action éducative en créant des passerelles entre l'Education et la Justice ?, s'interrogent la CGT- Pénitentiaire, la CGT-PJJ et la CGT Educ'action.

Le CLEJ a prévu d'organiser en janvier une mobilisation « pour l'éducation et contre l'enfermement des jeunes » et sollicité l'Assemblée des départements de France sur la question du transfert des mesures civiles vers les conseils généraux.

Notes

(1) Voir ASH n° 2585 du 5-12-08, p. 5 et 37.

(2) Sur les propositions des différents acteurs auditionnés par la commision Varinard, voir ASH n° 2565 du 4-07-08, p. 21.

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