Les premières réactions d'éducateurs et de magistrats au rapport de la commission Varinard, chargée de préparer la réforme de l'ordonnance de 1945 (voir ce numéro, page 5), sont à la mesure des craintes qu'il a alimentées pendant huit mois. Et en profond décalage avec l'ambition affichée dans le document : formuler des propositions « raisonnables » et respectueuses de la spécificité de la justice des mineurs.
Malgré certaines préconisations visant à améliorer la cohérence et la progressivité des réponses pénales, les professionnels dénoncent, dans l'architecture générale du texte, une attaque des fondements de la justice des mineurs : la primauté des réponses éducatives, la spécialisation des juridictions et l'atténuation des peines. Contrairement à la volonté de concertation affichée par la commission, ils ont le sentiment de ne pas avoir été écoutés. Particulièrement critiquées : la définition de l'âge de la responsabilité pénale à 12 ans (14 ans dans la majorité des pays européens), la possibilité d'incarcérer un mineur de 12 ans en matière criminelle, la création d'un tribunal correctionnel spécialisé, d'un tribunal des mineurs à juge unique, l'instauration de nouvelles mesures privatives de liberté, comme « l'emprisonnement de fin de semaine ».
« Même exceptionnelle, une incarcération prononcée dès 12 ans est inacceptable, sauf à vider totalement de sa substance l'ordonnance de 1945 », s'indigne la CFDT-Interco. « Les enfants méritent une attention éducative qui peut être contrainte mais qui n'a pas de sens en milieu carcéral, dont l'actualité nous rappelle chaque jour les effets délétères sur les personnes détenues, notamment sur les mineurs. » Le Syndicat de la magistrature, qui estime que « de telles orientations n'ont manifestement pas été évaluées », dénonce « une vision réactionnaire et répressive de l'enfance », au mépris de l'éducation, ce qui répond « à la commande publique exprimée sans fard par la garde des Sceaux ». L'UNSA-SPJJ (Syndicat de la protection judiciaire de la jeunesse) et l'Union syndicale des magistrats, sans éluder certaines « propositions positives », comme l'élaboration d'un code dédié et d'un dossier unique de personnalité, ou des mesures qui « apparaissent comme la reprise de pratiques déjà mises en oeuvre à l'initiative d'éducateurs et de magistrats », considèrent également comme « inacceptables » certaines préconisations. Il en va ainsi de l'idée de faire juger certains mineurs par le juge des enfants seul, hors de la présence des assesseurs, ce qui témoigne, selon eux, d'une défiance à l'égard du tribunal pour enfants. De la même manière, les deux syndicats désapprouvent la proposition de juger des mineurs « comme des adultes, par le tribunal correctionnel, ce qui est douteux sur le plan constitutionnel et contraire à tous les engagements internationaux de la France ». La délinquance des mineurs ne peut être combattue efficacement « que par le développement effectif des mesures alternatives à l'incarcération et la mise en place effective de mesures éducatives », ajoutent les deux organisations.
Ces réactions sont d'autant plus vives que le secteur est déjà en alerte depuis le recentrage du secteur public de la protection judiciaire de la jeunesse sur les affaires pénales. Pour s'opposer au « désengagement de l'Etat de ses missions de protection » et à la « liquidation de l'ordonnance de 1945 et de l'ambition éducative dont elle était porteuse », le SNPES (Syndicat national des personnels de l'éducation et du social)-PJJ-FSU a appelé les personnels à déposer un préavis de grève reconductible dès le 3 décembre. Avec l'objectif de démarrer les interruptions de travail dès le jour où la chancellerie fera connaître ses décisions.