Depuis la loi 2002-2, les références au recueil de l'expression des usagers et à leur participation dans les dispositifs sociaux et médico-sociaux sont devenues innombrables. Pas une circulaire, pas une recommandation de « bonnes pratiques », qui ne vienne réaffirmer l'impérieuse nécessité de rapprocher l'accompagnement des personnes de la réalité de leurs attentes. Dans cette logi-que, l'évaluation est prônée comme l'outil de cette réconciliation.
Le premier guide de l'évaluation interne, publié en septembre 2006 (1), affirme que « l'évaluation favorise une qualité du dialogue et des relations entre les différentes composantes de l'établissement ou du service : usagers, familles, proches, aidants et/ou représentants légaux » et professionnels. S'agissant du recueil de l'expression des usagers, le guide précise que ceux-ci doivent être « impérativement » impliqués « à travers leurs histoires singulières, leur projet de vie, leurs besoins, mais aussi leurs attentes à l'égard de l'établissement ou du service ». En mars 2007, une recommandation de l'Agence nationale de l'évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ANESM) enfonce le clou : « La participation des usagers à l'évaluation constitue un levier puissant d'amélioration des pratiques. Il est recommandé de mener une réflexion préalable approfondie sur les conditions les plus propices à l'expression de leur parole dans ce cadre et de les associer le plus étroitement possible à tous les stades de la démarche » (2).
L'existence d'un « référentiel implicite de la participation des usagers », ainsi que le définit Michel Legros, président du conseil scientifique de l'ANESM, n'a pourtant pas levé tous les obstacles. « On peut penser que si nous n'avançons pas plus vite, c'est que nous n'avons pas encore la réponse à plusieurs questions, notamment sur les modalités d'association des usagers aux dé-marches d'évaluation et sur les recompositions que cela induit chez les acteurs du médico-social. »
De fait, la nature très particulière de l'usager du secteur social et médico-social l'enferme dans un statut dont il peine à sortir. A la différence d'un citoyen qui achète un service, son arrivée dans une institution est liée à l'existence d'une vulnérabilité, qu'elle soit sociale ou de santé. D'où un déséquilibre dans la relation avec les professionnels. « Dans certains établissements, les durées très courtes de séjour, la barrière des langues, la crainte du rejet semblent limiter sa participation. Cette limitation apparaît d'autant plus importante avec l'évaluation que la participation de l'usager ne porte pas sur l'immédiat des conditions de vie, mais sur la procédure », observe Michel Legros. Sans compter que les professionnels sont en porte-à-faux. En effet, « en reliant la mise en oeuvre du projet d'établissement à la relation à l'usager, la loi 2002-2 réinvestit les directeurs des établissements et services d'une fonction quasi pédagogique et éducative. Ce mouvement est d'autant plus paradoxal qu'il s'opère au moment où ces responsables s'affirment de plus en plus comme des managers », analyse le président du conseil scientifique de l'ANESM.
Résultat ? Un puissant décalage entre les pratiques et les intentions de la loi. « Certes, l'usager est «parlé», ses évolutions sont «transcrites», ses demandes et besoins sont «consignés» dans des projets de vie, mais qu'en est-il de sa parole et de son expertise participante dans les nombreuses procédures censées améliorer sa prise en charge ? », se demande Vincent Meyer, professeur en sciences de l'information et de la communication à l'université Paul-Verlaine-Metz (3). Dans beaucoup d'institutions pour personnes lourdement handicapées, un grand nombre d'usagers n'ont pas « accès à la parole », souligne-t-il, et la variété de leurs expressions n'est pas prise en compte dans les démarches d'évaluation, aujourd'hui très standardisées. « Pourtant, nul besoin de grandes théories pour se convaincre que, par ses expressions, la personne nous livre des informations essentielles sur sa situation ou sa façon d'être. »
A la décharge des professionnels, reconnaît toutefois le chercheur, cette communication corporelle est souvent déroutante, les formes qu'elle adopte sont parfois difficilement décelables (repli, isolement), parfois violentes (hurlements, automutilations), et provoquent, dans les équipes, des réactions très diverses, ce qui ne leur permet pas d'en rendre compte aisément. « Mais peut-être faut-il chercher des raisons plus profondes qui tiennent, dans un premier temps, aux conditions de la réception par les professionnels de ces formes d'expression qu'ils perçoivent comme plus ou moins légitimes et, dans un second temps, aux effets de la restitution de ces manifestations qui peuvent paraître remettre en cause leurs compétences professionnelles. »
Un constat qu'illustre Pierre Delcambre, professeur en sciences de l'information et de la communication, à l'université de Lille-3. Il s'est penché sur les conditions du recueil des informations, qui vont finalement bâtir l'évaluation. Techniquement, remarque-t-il, l'outil informatique a pris une place centrale dans le traitement des données, individuelles ou collectives, qui pourrait constituer une « mémoire » sur laquelle reposerait l'évaluation. Cepen-dant, « ce marquage des informations et leur mise en texte deviennent des éléments de«routinisation» et de désinvestissement du sens, observe Pierre Delcambre. Par exemple, un tableau de bord doit être systématisé si l'on veut qu'il serve à quelque chose, et tout ne sert pas : alors où noter les éléments dont on a seulement l'intuition qu'ils sont pertinents ? »
Cette déperdition des observations relevées au quotidien par l'équipe, dans lesquelles se retrouvent les réactions des usagers, traduit bien la difficulté pour les institutions de parvenir à une « clinique collective » mêlant professionnels et usagers. Ce phénomène se voit, de plus, amplifié par la mise en compatibilité des systèmes d'informations et les demandes de données adressées par les tutelles sur un certain nombre d'indicateurs, qui sont devenus « des phénomènes centraux » d'une tendance au nivellement des établissements. A cela s'ajoute, enfin, l'auto-censure plus ou moins consciente. « Evaluer une pratique, explique Pierre Delcambre, est un acte de communication, qui signifie, pour toute organisation, articuler la déclaration des données recueillies avec une argumentation susceptible d'orienter les actions. » Or, s'agissant d'institutions sous tutelle financière, cette argumentation ne peut être neutre car elle revêt une dimension stratégique. « Chercher à distinguer l'évaluation interne de l'audit ou du contrôle, comme le fait le guide de l'évaluation interne, minimise le fait que les données sont transmises sous le régime de la déclaration et sont donc contrôlables. Il peut y avoir des enjeux à ne pas déclarer avec exactitude des éléments dont on sait qu'ils pourraient in-duire une interprétation qui ne serait pas favorable. »
Pour autant, les appels répétés du législateur maintiennent la participation des usagers au rang des priorités du travail social. Dans son Guide des outils et méthodes de participation des personnes en difficultés, l'Uniopss (Union nationale interfédérale des oeuvres et organismes privés sanitaires et sociaux) estimait, en 2003, qu'elle relève « d'une exigence démocratique et d'un souci d'efficacité sociale ». S'agissant de personnes en situation d'exclusion, elle rappelle que « la participation apparaît fondamentale dans un processus d'insertion et dans l'accès à la citoyenneté, car elle permet d'articuler dignité et efficacité ». A un niveau individuel, la participation sert également à rééquilibrer la relation d'inégalité entre l'aidant et l'aidé : « La relation se trouve alors fondée sur les capacités, les besoins et les souhaits de la personne [...]. Celle-ci redevient sujet et acteur de sa propre vie, tout en bénéficiant d'un accompagnement. »
Une approche à tonalité militante, voire « politique », que défend à son tour Yves Matho, directeur de l'Institut thérapeutique, éducatif et pédagogique (ITEP) Rive-Droite, à Saint-Loubès (Gironde), tout en regrettant la frilosité des acteurs sociaux. « Les travailleurs sociaux ont une responsabilité, dont ils n'ont pas forcément tous conscience, celle de pérenniser une certaine conception du lien social. Ils auraient dû revendiquer depuis longtemps la place maintenant exigée par l'Etat pour les usagers dans les établissements. Il convient maintenant de faire vivre cette nouvelle logique en s'engageant dans une conception démocratique de l'évaluation » (4).
Pour ce professionnel, le secteur social et médico-social s'est longtemps montré réticent à traiter des questions d'évaluation, craignant qu'elles ne soient qu'un instrument de normalisation des pratiques, voire un sésame ouvrant sur l'instauration de relations client-prestataire de services. « En conséquence, nous nous sommes vu contraints de mettre en place, de manière précipitée, des outils souvent empruntés au secteur marchand pour répondre aux exigences nouvellement définies par le législateur. » Ce processus a largement contribué, selon Yves Matho, à laisser au stade théorique les réflexions sur l'association des usagers au fonctionnement des institutions. C'est par conséquent un parcours à marche forcée qui attend les professionnels, d'autant plus ardu qu'il questionne la nature des relations établies au sein des établissements depuis des décennies. Exemple : si la loi 2002-2 demande aux institutions de mettre en place des instances de débats donnant aux usagers la possibilité de s'exprimer, « peut-on raisonnablement espérer qu'un usager devienne acteur critique des actions développées pour lui sans aller au-delà des strictes exigences légales, c'est-à-dire sans lui proposer au préalable une information complète, notamment réglementaire et financière, lui permettant d'interpréter le cadre dans lequel se situent ces actions ? », s'interroge Yves Matho. Aussi l'une des meilleures façons de modifier les rapports au sein des institutions est-elle « d'offrir aux usagers les moyens d'accéder à la mise en débat des orientations et d'être en mesure d'y participer activement. Sans cette démarche, il n'existe qu'une situation illusoire, voire faussement participative, offerte aux différents acteurs. »
Les outils favorisant cette participation découlent logiquement de ces constats. Certains établissements ont mis en place un système d'information régulier, proposé à l'ensemble des usagers et à leur famille, voire défini avec la personne elle-même, afin qu'elle puisse avoir accès aux informations qui la concernent. On pourrait encore imaginer un processus de formation à la participation et aux débats pour les personnes souhaitant s'engager dans les instances représentatives des usagers (comité de la vie sociale, comités de parents). Il reste que, pour l'heure, la formation des usagers ou de leurs représentants ne fait l'objet « d'aucune avancée des établissements, ni de proposition très concrète des organismes de formation », se borne à constater le directeur de l'ITEP girondin.
Autre piste : travailler sur des méthodes de recueil et d'analyse des propos des usagers et de leurs représentants. Pour Sylvie Faugeras, directrice de l'Ins-titut supérieur de management par la qualité de Bordeaux, le modèle des enquêtes de satisfaction, si répandues dans le secteur marchand, peut paradoxalement s'avérer très adapté au monde du social et du médico-social. La nécessité d'établir un questionnaire ouvert laissant la place au commentaire, l'obligation de se cantonner dans l'écoute pour ne pas influencer les personnes, peuvent être autant d'occasions de dépasser les barrières institutionnelles. « Il suffit de mener l'expérience pour s'apercevoir de l'extraordinaire richesse des propos émis et pour faire tomber le mythe de l'usager innocent, incapable de s'exprimer, sans opinion ! » En croisant les avis recueillis et en leur donnant une valeur, l'établissement dispose alors d'une ressource légitime lui permettant de réinterpréter ses actions hors des seules représentations professionnelles. Une technique parmi d'autres, tempère néanmoins Sylvie Faugeras. « L'évaluation de la satisfaction n'est qu'un moyen d'agir. Elle résulte de ce besoin d'impliquer les usagers et n'est qu'un alibi au développement de leur participation. Ce qui est important aujourd'hui, c'est de reconnaître qu'une morale théorique est insuffisante et que le secteur doit se doter d'une éthique effective, capable de mettre en action. »
L'exercice est si complexe que la recommandation éthique à elle seule ne peut suffire à renverser des logiques d'action inscrites dans l'histoire et obéissant à l'urgence. C'est par conséquent à un travail sur les représentations professionnelles qu'invite Jean Briens, président du GEPSo (Groupe national des établissements et services publics sociaux et médico-sociaux) et directeur du centre Jacques-Cartier à Saint-Brieuc (Côtes-d'Armor), un établissement public social et médico-social départemental. « Il ne peut y avoir de tabous à l'expression de l'usager. La première condition à sa participation repose sur la capacité des intervenants à ne pas ressentir son expression comme une opposition, voire comme une prise de pouvoir qui risquerait de fragiliser l'exercice professionnel. C'est là un risque dérisoire au regard du respect mutuel qui s'en trouve renforcé. Le propos peut paraître naïf, il est pourtant d'une importance cruciale dans une période où la légitimité même de l'action sociale fait débat et où les contraintes économiques et la culture de résultat prennent le pas sur le sens de la relation d'aide. L'enjeu est de passer d'une action sociale marquée par le caritatif et le contrôle social à une action solidaire marquée du signe de la citoyenneté. »
Avant que d'éventuelles « bonnes pratiques » d'évaluation participative puissent faire l'objet de recommandations officielles, le recensement des expériences mises en place dans le secteur social et médico-social est nécessaire. En particulier dans les situations où la parole et l'écrit ne peuvent être utilisés. Le débat professionnel pourrait toutefois évoluer assez rapidement. « Un large accord se dessine pour admettre que la loi 2002-2 n'est pas un épiphénomène, un simple toilettage de la loi du 30 juin 1975 relative aux institutions sociales et médico-sociales, mais qu'elle traduit un changement plus profond dans notre conception de la protection sociale », affirme Michel Legros. Et l'un des moteurs de cette évolution n'est autre que les usagers eux-mêmes qui ont un niveau d'éducation plus élevé et aspirent davantage à peser sur leur propre vie. C'est ainsi que la dynamique de participation dans les établissements vient aussi des sollicitations répétées des représentants des usagers et des associations de familles. Pour Robert de Meulemeester, représentant des usagers à l'EPDSAE de Lille, un grand établissement public de soins d'adaptation et d'éducation du Nord, le rapprochement des familles et des professionnels est d'autant plus nécessaire que la « responsabilité » de l'institution est de faire accéder ses usagers handicapés à plus d'autonomie, « selon un projet qui nécessite l'assentiment de la personne ». Ce qui explique « que le projet doit être construit de manière collégiale et contradictoire avec les usagers et les parents. Or la capacité des familles et des professionnels à décoder les désirs de l'usager est différente. Dès lors, échangeons d'égal à égal. » De la même manière, le recueil de l'expression de l'usager oblige les professionnels, selon ce père d'un adolescent atteint dans ses fonctions cognitives, « à informer les familles qu'il existe un ou des outils d'évaluation et à les inviter à prendre part à cette évaluation ».
Face à des demandes qui soulèvent encore beaucoup d'objections dans la communauté professionnelle, force est de reconnaître que le seul espace d'échange officiel est le conseil de la vie sociale, institué par la loi 2002-2. S'il s'agit d'une avancée, est-elle pour autant suffisante ? Certainement pas, répond Robert de Meulemeester. Les familles ont parfois peur de l'institution et se sentent en position d'infériorité. « C'est par conséquent aux professionnels de provoquer l'expression des familles, et il faut que les directeurs incitent à ce qu'elles soient représentées dans la structure, défend-il. Le recours à une institution n'est pas un acte par lequel les familles se déchargent de leurs devoirs sur la collectivité. C'est au contraire une union des volontés et des aptitudes individuelles, familiales, techniques, afin que les personnes handicapées puissent se réaliser. »
La quarantaine à peine entamée, Hervé Heinry dirige un important institut médico-éducatif (IME) à Saint-Brévin-les-Pins (Loire-Atlantique) (5). Les institutions médico-sociales, petites, grandes, bientraitantes, maltraitantes, il les connaît déjà intimement. Né handicapé, il y a passé son enfance et son adolescence. Un jour, il a formé le voeu de prendre à son tour la direction d'un établissement, « plutôt, explique-t-il, que de fuir quelque chose qui avait été difficile ». Une trajectoire inédite qui l'a conduit à passer par l'Ecole des hautes études en santé publique de Rennes, au milieu de directeurs en formation. Son regard sur l'évaluation et l'usager est forcément un regard singulier, nourri de son histoire personnelle et traversé d'émotions qu'il revendique et laisse monter en lui comme autant de repères. Même s'il a appris à prendre du recul depuis ses premières « colères », quand le fonctionnement de l'institution qu'il pilotait venait le toucher au plus profond.
« Souvent, j'entends dire que l'institution est un lieu qui accueille des personnes handicapées, qui les soigne ou les accompagne. Comme un endroit où l'on concentre des professionnels qui ont des savoir-faire attestés par des diplômes », sourit-il. Sauf qu'il manque une touche à cette image : « celle de la disponibilité, du savoir-être relationnel ». Une dimension à peine effleurée dans la formation des professionnels et dont l'absence conduit « à se blinder et à se couper de ce qui fait la relation à l'autre ». En réalité, les problématiques soulevées autour de la participation des usagers lui apparaissent à l'aune de ce manque. « Une institution, c'est un lieu ou des personnes vivent et travaillent. Un lieu où il y a de la vie, un peu comme un espace relationnel où des liens se tissent et se défont, qui doit permettre la rencontre de l'autre, le collègue comme la personne dont on doit prendre soin », explique-t-il. Avec des populations aussi lourdement handicapées que celles accueillies par les IME, parvenir à « faire
face au vide », à l'absence de communication, devient alors la première des valeurs d'un professionnel. Ce qui renvoie, plus qu'au savoir-faire, au savoir-être et donc à la question du recrutement et de la mobilité interne des salariés. Pour Hervé Heinry, c'est la bonne distribution de ce savoir-être au sein des équipes qui fournit « un indicateur d'une gestion saine de l'institution sociale et médico-sociale », quitte à ce que la subjectivité de ce concept entre en conflit avec les cadres formalisés de l'évaluation interne. « Autrement dit, la première personne dont l'institution doit prendre soin, c'est le professionnel lui-même, car c'est à lui que revient la gageure de puiser dans ses forces et faiblesses pour répondre directement aux besoins de l'usager. » Un discours dont la mise en actes à l'IME de Saint-Brévin-les-Pins se traduit notamment par des espaces de supervision destinés aux salariés, et tenus par des professionnels extérieurs pour en garantir l'impartialité. « Ce que j'ai appris de mon parcours de vie et qui me sert aujourd'hui en tant que directeur, c'est à évaluer l'institution à travers ce que peuvent vivre les équipes. Simplement la manière dont je suis accueilli par un groupe communique déjà beaucoup d'informations sur ce qui s'y passe. » Mais une institution, c'est aussi des procédures, des protocoles et des textes à appliquer. Si Hervé Heinry n'en disconvient pas, c'est pour ajouter aussitôt que « tout ceci n'est qu'un minimum, car l'essentiel est ailleurs ». Encore et toujours la relation. « Dans l'évaluation, nos propres dispositions à être présents pour l'autre conditionnent déjà beaucoup ce que la personne accueillie aura à dire de la qualité de l'accompagnement. Au fond, l'enjeu fondamental posé par le recueil de l'expression de l'usager n'est pas tant ce qu'il peut nous renvoyer de nous-mêmes, mais comment nous l'autorisons à exprimer son jugement sur le travail effectué auprès de lui, pour lui. Accepter d'être évalué, c'est prendre la posture modeste de l'imperfection qui me semble être la réalité première de toute relation humaine. »
La France est rappelée régulièrement à l'ordre par l'Union européenne pour ne pas associer suffisamment les bénéficiaires des politiques publiques à leur évaluation. Quelques premières expériences de participation des usagers ont été engagées par les pouvoirs publics dès la fin des années 70 avec les projets de développement social urbain. La participation ayant ensuite été définie comme un « pilier » de la politique de la Ville, on a tenté de reconnaître la qualité d'acteurs aux habitants, au même titre que les élus et les pouvoirs publics. Reste que le compte n'y est pas. Dans un rapport de 2006, l'Agence nationale de rénovation urbaine (ANRU) relève que les habitants sont tout au plus « informés ou, au mieux, consultés sur des projets arrêtés par les élus locaux. Aucune assurance formelle que les résultats de cette concertation seront pris en compte ne leur est apportée. »
Quelques premières avancées ont néanmoins eu lieu dans le cadre de la loi du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale, qui réaffirme la nécessité d'évaluer les services avec ses utilisateurs. C'est notamment le cas du dispositif de recueil de l'expression des usagers mis en place en Dordogne avec l'ensemble des partenaires locaux de la lutte contre l'exclusion (DDASS, conseil général, ANPE, CAF, associations, CHRS) (6). Se basant sur l'expertise des bénéficiaires des services, cette expérimentation montre que des outils de débat, plaçant à égalité usagers et professionnels, peuvent produire un effet sur la définition des politiques publiques. « La condition est celle d'un refus absolu de la concertation alibi, précise toutefois Michel Laforcade, directeur de la DDASS de Dordogne. Quelles que soient les modalités de consultation envisagées, il est nécessaire que cela ait du sens pour l'usager, que sa parole soit prise en compte et qu'on lui donne des suites concrètes. » Une condition encore difficilement généralisable. « L'activation de tels processus suppose une évolution des savoir-faire actuels dans les services publics, reconnaît Marie-Hélène Déchaux, chargée de mission à la direction générale de l'action sociale. Ce qui nécessite la mise en place d'une politique ambitieuse et volontariste de formation de l'ensemble des agents sur les méthodes participatives. A défaut, les pratiques participatives resteront cantonnées dans le champ de l'expérimentation, alors qu'elles pourraient certainement nous aider à enrayer les logiques d'exclusion sociale qui caractérisent aujourd'hui le fonctionnement ordinaire de nos démocraties. »
(2) Voir ASH n° 2558 du 16-05-08, p. 7 - Voir aussi
(3) Lors du colloque « Les usagers évaluateurs », organisé par le Groupe national des établissements et services publics sociaux et médico-sociaux (GEPSo), à Annecy-le-Vieux, les 25 et 26 septembre dernier - Actes du colloque, sous la direction de Michel Laforcade et Vincent Meyer - Ed. Les études hospitalières : 38, rue du Commandant-Charcot - 33000 Bordeaux - Tél. 05 56 98 85 79 - 42 € .
(4) Sur la dimension citoyenne et démocratique de la participation des usagers, voir aussi les tribunes libres de Michel Monbeig, ASH n°2572 du 12-09-08, p. 37, et de Saül Karsz, ASH n° 2576 du 10-10-08, p. 37.
(5) IME « L'estuaire » : 54 bis, avenue Bodon - 44250 Saint-Brévin-les-Pins - Tél. 02 40 27 39 40.
(6) Voir le reportage sur cette expérimentation, ASH n° 2525 du 5-10-07, p. 33.