Ala suite de sa visite en France au mois de mai dernier, le commissaire aux droits de l'Homme du Conseil de l'Europe a rendu public, le 20 novembre, son rapport sur les politiques pénitentiaires actuelles et à venir (1), qu'il critique sévèrement. Dans ce document, qui conforte les revendications associatives et syndicales du secteur (voir ce numéro, page 50), Thomas Hammarberg aborde notamment la question du respect des droits des détenus, de la justice des mineurs et de la surpopulation carcérale. Un autre volet du rapport est consacré à la politique d'immigration menée par la France (voir ce numéro, page 15).
L'attention du commissaire s'est tout d'abord tournée vers le respect des droits des détenus, qui tiennent une large place dans le projet de loi pénitentiaire présenté en août dernier par la garde des Sceaux (2). Certes, le texte reprend les règles pénitentiaires européennes en la matière, concède Thomas Hammarberg, qui rappelle toutefois que celles-ci « ne sont qu'une base minimum » et qu'« elles ne devraient pas empêcher les autorités d'adopter une loi plus protectrice pour les détenus ». Il a donc d'ores et déjà indiqué qu'il resterait « vigilant à ce que des pratiques telles que les fouilles corporelles soient strictement encadrées ou que la mise en place de régimes de détention différenciés ne soit pas légalisée ».
S'agissant de la prise en charge médicale des détenus, le commissaire souligne que « des progrès restent à faire en matière d'accès à des consultations de spécialistes ou de continuité des soins à la sortie de prison notamment ». Dans le rapport de 2006 de son prédécesseur, Alvaro Gil-Robles (3), les conditions de consultation des détenus à l'hôpital, rendues difficiles principalement en raison du port des menottes et de la présence quasi permanente du personnel pénitentiaire, étaient déjà critiquées. Des constatations qui demeurent « toujours d'actualité », déplore Thomas Hammarberg, malgré les améliorations apportées par l'ouverture des unités hospitalières sécurisées interrégionales. Aussi insiste-t-il auprès du gouvernement français pour qu'il assure la continuité des soins et évite que des détenus se retrouvent sans soins appropriés pendant une durée prolongée. S'agissant des maladies psychiatriques, il l'invite à « se montrer vigilant sur une gestion disciplinaire des personnes souffrant de troubles mentaux et à développer les aménagements de peine à leur égard ».
Le commissaire s'est aussi penché sur la loi du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental (4), à propos de laquelle il indique partager certaines des préoccupations exprimées, notamment quant au « risque d'arbitraire qui découle de l'appréciation de la dangerosité du criminel ». En effet, explique-t-il, la notion de « dangerosité », à partir de laquelle peut être prononcée la rétention de sûreté, n'est « pas une notion juridique claire » et son « contenu scientifique est également flou ». Il s'inquiète en outre du fait que la loi ne distingue pas, parmi les criminels concernés par la rétention de sûreté, les adultes des mineurs, ce qui va « à l'encontre de la prise en compte de la responsabilité spécifique des mineurs ».
Autre problème soulevé par l'auteur du rapport : la mise en oeuvre du principe de l'encellulement individuel en matière de détention provisoire instauré par un décret du 10 juin dernier (5). Il est « regrettable que le décret renverse le droit reconnu à un encellulement individuel et le transforme en une simple possibilité, de surcroît sur la base d'une demande du prévenu », estime le commissaire. Dans la pratique, compte tenu de la surpopulation carcérale, le décret ne permet en fait aux prévenus que de demander leur transfert dans un autre établissement pénitentiaire en vue d'obtenir une cellule individuelle. « Il est [donc] à craindre que la mise en oeuvre de ce droit se fasse au détriment d'autres droits » (maintien des liens familiaux ou des contacts directs avec un avocat), déplore Thomas Hammarberg. Aussi invite-t-il les autorités françaises, dans le cadre de la future loi pénitentiaire, à « reconnaître de nouveau l'encellulement individuel comme un droit pour tous les prévenus, à permettre sa mise en oeuvre dans les faits et à assurer la séparation entre prévenus et condamnés ».
Pour le commissaire aux droits de l'Homme, les causes de la surpopulation carcérale (6) résident principalement dans le « durcissement des peines prononcées par les juridictions pénales et par un recours accru à la mise en détention ». Cette tendance risque, selon lui, de s'accentuer avec la mise en oeuvre de la loi du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs, qui a institué des peines planchers (7). Or « toute surpopulation carcérale engendre automatiquement une carence en termes de surveillants, de travailleurs sociaux ou de personnel administratif ». Et entraîne une « promiscuité accrue, une détérioration des conditions d'hygiène en raison d'un accès réduit aux douches, des délais rallongés pour l'obtention d'une consultation médicale ou des difficultés dans la gestion des parloirs ». Des conditions jugées « intolérables » par Thomas Hammarberg.
Le ministère de la Justice l'a informé que, pour faire face à cette situation, il avait l'ambition de créer 63 000 nouvelles places d'ici à 2012. Mais cette réponse « ne peut être satisfaisante, estime le commissaire, car toute sanction ne doit pas avoir pour unique fonction de punir mais doit aussi préparer à la réinsertion ». Autre solution avancée par la chancellerie : la mise en oeuvre d'une politique volontariste en matière d'aménagements de peine, qui certes se développent, reconnaît le commissaire, mais qui restent encore trop modestes (8). Selon lui, cette initiative risque en outre de ne pas suffire dans la mesure où les personnels des services pénitentiaires d'insertion et de probation sont en « sous-effectif flagrant et que les moyens à leur disposition sont insuffisants ». Aussi suggère-t-il au gouvernement français d'« offrir un service d'insertion de qualité et de permettre l'accès à la libération conditionnelle au plus grand nombre de détenus ». Enfin, même si la future loi pénitentiaire poursuit les efforts en la matière, il n'empêche que toutes ces dispositions requièrent un certain délai avant d'avoir un impact réel sur le taux de surpopulation, relève le commissaire, qui « appelle [donc] instamment les autorités françaises à répondre immédiatement aux conditions inacceptables de détention des détenus contraints de vivre dans des cellules surpeuplées et souvent vétustes ».
De façon générale, Thomas Hammarberg note que la tendance qui se développe en Europe est de réprimer de plus en plus durement les actes commis par des mineurs. Et la France ne fait pas exception, le commissaire déplorant l'évolution législative permettant de porter atteinte à l'application de l'excuse de minorité pour les mineurs âgés de 16 à 18 ans. En effet, explique-t-il, « la loi du 10 août 2007 [renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs], bien que n'instaurant pas de peines automatiques, restreint les pouvoirs d'appréciation du juge quant au choix de la peine et à ses modalités. Les possibilités de dérogations aux peines minimales prévues sont très limitées. » Le représentant du Conseil de l'Europe s'inquiète aussi de la mise en place de peines planchers : « il semble que l'accent soit principalement mis sur la prévention de la récidive au détriment de la prévention de la primo-délinquance ». Aussi préconise-t-il de poursuivre les efforts pour « réduire les délais de prise en charge des mineurs par les services sociaux spécialisés et les délais de jugement, car des délais trop longs peuvent entretenir le sentiment d'impunité pour certains enfants ».
Le commissaire estime par ailleurs que les angles de réflexion sur le projet de réforme de l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante semblent globalement « positifs ». Il rappelle toutefois au gouvernement les standards « incontournables » développés par la convention internationale des droits de l'enfant du 20 novembre 1989 : la spécificité de la justice pénale des mineurs et la primauté de l'éducatif sur le répressif. Dans ce cadre, la possibilité d'appliquer des sanctions pénales à des mineurs de moins de 13 ans - qui, aujourd'hui, ne font l'objet que de mesures éducatives - ne lui semble pas pertinente. Il considère au contraire que « l'âge auquel des sanctions pénales peuvent être prises devrait être augmenté pour se rapprocher de l'âge de majorité ». En outre, insiste-t-il, « une politique réussie [en la matière] devrait impliquer des mesures facilitant la prévention, la réadaptation et l'intégration sociale des jeunes en difficulté ».
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(6) Au 1er juin 2008, 63 838 personnes étaient incarcérées, soit environ 3 000 de plus que l'année dernière. 13 000 détenus étaient en surnombre par rapport aux places disponibles, soit un taux d'occupation moyen de près de 125 %.
(8) Au 1er mai 2008, 5 920 condamnés écroués bénéficiaient d'un aménagement de peine, soit 11,8 % de l'ensemble des condamnés.