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« La prévention ne doit pas se faire au détriment des enfants »

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L'accent mis sur la prévention par la dernière loi relative à la protection de l'enfance ne risque-t-il pas de rendre trop tardifs les placements qui seraient nécessaires ? Et au final d'aggraver encore les situations de certains adolescents ? C'est en tout cas la crainte exprimée par Damien Grethen, éducateur dans un service d'aide sociale à l'enfance.

« La loi sur la protection de l'enfance du 5 mars 2007 a trois objectifs principaux : réorganiser les procédures de signalement, diversifier les modes de prise en charge et renforcer la prévention.

Educateur à l'aide sociale à l'enfance (ASE), je constate depuis de nombreuses années une dégradation évidente des situations des enfants confiés. Aussi la notion de «prévention» m'intéresse-t-elle particulièrement. J'entends par ce mot l'ensemble des actions menées par des professionnels (travailleurs sociaux, enseignants, psychologues, animateurs...) dans le but d'étayer une famille qui rencontre des difficultés sociales, économiques ou éducatives ayant une incidence sur l'éducation des enfants.

L'arme absolue ?

L'idée de renforcer la prévention n'est pas nouvelle, bien entendu, puisque depuis une dizaine d'années la place des parents est au centre de nos préoccupations. L'autorité parentale n'est pas un vain mot pour les éducateurs de l'ASE, qui tentent d'associer le plus possible les parents aux décisions concernant leur enfant. A titre d'exemple, les parents connaissent les lieux de vie de leur enfant, ont rencontré les professionnels qui s'occupent de ce dernier (éducateurs ou assistantes familiales), sont associés aux réunions dans les maisons d'enfants à caractère social (MECS), rencontrent les enseignants, ont connaissance des rapports envoyés au juge des enfants...

La loi de 2007 ne bouleverse donc pas nos pratiques mais elle introduit l'idée que la prévention est l'«arme absolue» de la protection de l'enfance.

Nos responsables politiques et institutionnels, et même de nombreux travailleurs sociaux, estiment qu'il faut mettre en place tout un ensemble de mesures éducatives et financières pour étayer des contextes familiaux précaires. D'accord, mais jusqu'à quel point ? Jusqu'à quel âge ? Jusqu'à quel passage à l'acte ? Combien de fois avons-nous constaté que le suivi de certaines familles, de nombreuses années durant, par tout un ensemble de professionnels n'empêchait pas qu'un placement judiciaire intervienne finalement !

Les risques de maintien au domicile

Nous en sommes les témoins sur le terrain : les juges ordonnent toujours autant de placements mais, depuis quelques années, ceux-ci le sont une fois que tout a été entrepris auprès de la famille en matière d'accompagnement (1) : assistance éducative en milieu ouvert (AEMO), travailleuses familiales, etc. Le placement judiciaire est ainsi la mesure ultime lorsque tout a été essayé en vain. L'enfant a alors 15 ou 16 ans, voire plus, il se trouve dans une grave situation : déscolarisation, addiction, violences envers les autres ou subies, problèmes psychiatriques... Que faire alors ? Ces jeunes ne s'inscrivent plus dans aucun projet. Il est très difficile de trouver un lieu d'accueil adapté à leur problématique, à leur âge. Les éducateurs de l'ASE ne peuvent travailler quoi que ce soit : le fait d'avoir longtemps attendu qu'un événement grave se produise rend les relations parents-enfants trop conflictuelles.

La nouvelle loi sur la protection de l'enfance ne porte pas bien son nom, elle fait la part belle aux parents au détriment des enfants. Or le placement administratif est une mesure éducative de prévention, au même titre qu'une AEMO, et ne doit pas être uniquement une sanction pour des parents qui ne collaborent pas. Alors que le maintien à tout prix des enfants au domicile peut leur faire vivre des événements familiaux ayant des conséquences dramatiques pour leur équilibre affectif, personnel, scolaire...

La prévention est donc au centre de nos préoccupations, mais quelle prévention ? Cette dernière ne doit pas occulter l'intérêt des enfants. C'est notre évaluation qui est en jeu, notre seuil de tolérance face à des difficultés sociales, des carences éducatives. Qu'est-ce qui nous semble légitimer un retrait d'enfant ? La maltraitance n'est pas le seul motif de placement. Dès que des clignotants s'allument (problèmes pour poser des limites, fugues, isolement fréquent, déscolarisation, passages à l'acte multiples...), il y a lieu de réunir l'ensemble des intervenants. Le souci est justement le manque de continuité du suivi des familles rencontrant des difficultés éducatives. Selon l'allocation qu'elles perçoivent, les familles n'ont pas le même interlocuteur (CAF, conseil général, MSA). Au sein même des conseils généraux, les assistantes sociales chargées des familles bénéficiaires du revenu minimum d'insertion ne s'occupent pas de la protection de l'enfance, qui incombe à d'autres assistantes sociales ou à d'autres services. Les différents intervenants - chacun étant spécialisé - ne se tiennent pas au courant des actions de prévention réalisées, bien que la nouvelle loi insiste sur ce point. Les travailleurs sociaux continuent à intervenir les uns à côté des autres même si le président du conseil général est censé tout centraliser, et ce fonctionnement dilue les capacités des professionnels à évaluer les situations. Cela nous conduit à nous demander ce qui va arriver après quelques années de cette politique consistant à maintenir quasiment coûte que coûte les enfants dans leur milieu naturel.

Nous pouvons nous demander ce qui a motivé cette nouvelle loi. Le poids très élevé des prises en charge des enfants placés pour les budgets des conseils généraux en est pour une part à l'origine. Les MECS et les assistantes familiales coûtent toujours plus cher que les services d'AEMO. Les prix de journée ne sont pas les mêmes. Cette contrainte est primordiale puisque les réductions des coûts sont très importantes dans le secteur social, quels que soient les services ou établissements.

Il y a d'une manière générale une grande méfiance envers le secteur social, qui provient peut-être de notre déficience à communiquer les résultats de notre travail. S'y ajoutent les perceptions très négatives du placement, du retrait d'un enfant de son environnement familial. Cette décision émeut toujours, et même les travailleurs sociaux. Cela nous apitoie terriblement de penser à cet enfant ou bien aux parents qui ont tout perdu. L'opinion publique est de cet avis. Eviter les placements est ainsi «politiquement correct», bien que l'objectif des éducateurs de l'ASE, en cas de placement, soit de travailler avec l'enfant et sa famille pour déterminer ce qui dysfonctionne et tenter d'y remédier afin de permettre à nouveau la cohabitation.

La protection de l'enfance est un sujet très sérieux et ce virage pris à travers la loi du 5 mars 2007 nous paraît délicat dans la mesure où les enfants confiés à l'ASE arriveront «cassés» par des années de maintien au domicile. Ils deviendront un jour des adultes souffrant de toutes sortes de carences. Répétons-le, la prévention est à privilégier, bien sûr, mais elle ne doit pas se faire au détriment des enfants. »

Contact : d.grethen@laposte.net.

Notes

(1) La loi du 5 mars 2007 indique très clairement que « tout doit être entrepris avant une transmissions aux autorités judiciaires ».

TRIBUNE LIBRE

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