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Savoir écouter les malades Alzheimer

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Alors que tous les discours convergent pour placer l'usager au centre de l'intervention sociale, qu'en est-il lorsque celui-ci souffre de la maladie d'Alzheimer ou de troubles apparentés ? Confrontés à cette question, des professionnels inventent les manières d'aller à sa rencontre.

Passer quasi instantanément du statut de personne autonome à celui de sujet dépendant ou, du moins, être vu comme tel, constitue une expérience communément vécue par les patients qui se voient signifier un diagnostic de maladie d'Alzheimer. Cette épreuve est d'autant plus accablante que, lors de l'identification de sa pathologie, la personne est souvent consciente de ce qui lui arrive : elle doit alors retourner à son quotidien avec cette donnée qui fera désormais partie de sa vie. Or si l'aidant familial se voit rapidement offrir le soutien d'associations, « qu'en est-il du malade ? quelle place lui est faite ? quel crédit est encore accordé à sa parole ? », se demande Rita Cano (1). Partant de cette interrogation, cette psychologue à l'Association haut-rhinoise d'aide aux personnes âgées (APA) propose un accompagnement psychologique individuel aux personnes qui viennent d'apprendre un diagnostic de maladie de la mémoire (2). Il s'agit de leur permettre de parler en toute confidentialité de ce qu'elles vivent et de les accompagner dans l'élaboration de leurs projets personnels et de leurs choix pour l'avenir. « Une annonce de diagnostic de maladie de la mémoire est toujours un temps fort et le parcours qui s'ensuit s'avère riche de moments émotionnellement intenses, de moments de bilan et de questionnements, de moments de vie qui se dénudent de tout superflu », explique Rita Cano.

Moyennant une participation financière minime (3), les personnes orientées vers ce service expérimental peuvent avoir un maximum de 12 entretiens avec la psychologue. Selon leurs possibilités de déplacement, ces rencontres ont lieu dans les locaux de l'association, ou bien à leur domicile. Unique en son genre, ce projet, soutenu par la Fondation Médéric Alzheimer, a été élaboré en collaboration avec le centre mémoire, l'hôpital de jour, le service de neurologie et le pôle de psychiatrie de l'hôpital Emile-Müller de Mulhouse. Vingt personnes en ont bénéficié depuis que l'initiative a débuté il y a deux ans.

Parmi elles, un certain nombre de couples sont apparus particulièrement en souffrance. Non seulement du fait de la maladie de la mémoire de l'un des deux, mais quelquefois aussi en raison d'autres difficultés du conjoint (dépression, importants problèmes de santé physique...). Ces couples, qui pouvaient avoir de 40 à 50 ans de vie commune, voyaient la dynamique de leurs échanges fortement ébranlée. C'est pourquoi il leur a été proposé d'aller consulter ensemble dans une structure qui pratique une approche systémique.

A la consultation mémoire de l'hôpital Broca, à Paris, c'est toute la famille qui peut être conviée à des entretiens thérapeutiques après l'annonce d'un diagnostic de maladie d'Alzheimer. Cette initiative part d'un constat des médecins : quand les patients revenaient pour leur suivi, ou en cas d'hospitalisation d'urgence, ils avaient noté que les mesures conseillées aux familles, dès l'annonce du diagnostic, pour la prise en charge de leur parent malade n'avaient pas toujours été mises en place.

Traiter le groupe familial

La survenue de la maladie d'Alzheimer chez un des membres de la famille peut provoquer au sein de celle-ci toute une série de réactions psychologiques inadaptées, qui sont source de malentendus et/ou de conflits. Or une bonne communication à l'intérieur de la famille est nécessaire pour prendre des décisions sur les aides extérieures à mobiliser et, également, pour éviter les attitudes de rejet du parent malade. Aussi, depuis septembre 2006, certaines familles peuvent-elles se voir prescrire une thérapie familiale par le médecin de la consultation mémoire. Cette thérapie est courte - et gratuite pour les intéressés. Elle comprend cinq séances de 45 minutes, animées par deux thérapeutes, qui réunissent le/la malade, son conjoint(e), ses enfants et petits-enfants. Il ne s'agit pas de traiter les membres de la famille, mais le groupe familial en tant que tel, dont l'équilibre a été pulvérisé par l'arrivée de la maladie. « Nous regardons uniquement ce qui ne va pas au niveau de la communication des membres de la famille afin d'aider ces derniers à fonctionner de manière moins pathologique et, grâce à ces changements, d'améliorer le bien-être du malade », précise Inge Cantegreil-Kallen, thérapeute. L'expression des affects en présence de tiers dans un lieu neutre et la clarification de conflits anciens actualisés par la maladie - comme le sentiment d'injustice de certains enfants, aujourd'hui adultes, estimant avoir été désavantagés par leur parent - permettent souvent aux familles en crise de trouver des modes de relation favorables à un meilleur accompagnement du malade. Celui-ci se voit aussi différemment investi par ses proches. « Le fait même que les malades participent à la thérapie, quel que soit le stade de leur pathologie, change leur statut : ce sont des sujets réintégrés à la famille », souligne Inge Cantegreil-Kallen.

A l'instar de cet autre regard porté par une famille sur son parent malade, la société dans son ensemble a également tendance, aujourd'hui, à modifier son approche de la maladie d'Alzheimer, fait observer Laëtitia Ngatcha-Ribert, sociologue chargée d'études à la Fondation Médéric Alzheimer. La fictionnalisation croissante de cette pathologie au travers de films et de romans a permis de la faire mieux connaître. Le témoignage direct à la télévision de personnes qui en sont atteintes contribue également à banaliser une maladie certes redoutée, mais qui est désormais appréhendée comme une maladie organique du cerveau - et non plus comme une maladie psychique -, une maladie comme les autres, telles que le cancer ou le sida. Très présentes il y a quelques années dans la presse, les images de « fantômes », victimes d'une « mort sociale déshumanisante » ou de « naufragés de l'esprit » à l'« existence végétative » cèdent le pas à d'autres représentations, explique Laëtitia Ngatcha-Ribert. Désormais, on parle d'une vie qui s'aménage en fonction de la maladie, de moments de bonheur et d'éclaircie, et de « la présence foudroyante du malade même à un stade très avancé de sa maladie ».

Cette perception différente de la réalité vécue par les personnes malades n'est pas sans incidences sur la façon dont les professionnels se soucient de leur bien-être. « Au lieu de considérer les déments uniquement comme des insensés dont l'esprit est parti, nous devons admettre que leurs comportements absurdes ont du sens même s'ils ont l'esprit troublé » et chercher à « décoder ce qu'ils essaient peut-être de nous dire », proclame depuis longtemps le psychiatre Jean Maisondieu (4). Mais encore faut-il se mettre à l'écoute pour pouvoir entendre. Dans la maison de retraite La Salette, à Bully (Rhône), l'équipe de l'unité Alzheimer s'y emploie, préférant se priver de bras le jour afin de comprendre ce qui agite certains résidents la nuit. Emboîtant le pas à ces déambulateurs nocturnes, deux professionnels ont commencé par leur proposer une activité collective. Sans succès. C'est alors qu'une auxiliaire de vie s'est souvenue avoir vu dans le dossier de Mme X qu'elle avait été infirmière de nuit. « En étudiant les parcours de vie des résidents qui se relevaient en secret, et en parlant avec leur famille, nous avons appris qu'ils avaient tous, à un moment donné, travaillé la nuit », explique Gaby Montoya, directrice de La Salette.

Sachant aussi que Mme X - l'ancienne infirmière - avait été une cinéphile avertie, l'équipe s'est procuré des vieux films français, afin que l'intéressée puisse les visionner la nuit. « Après, cette femme, qui ne parlait quasiment plus, se mettait à faire des commentaires, puis elle partait tranquillement se coucher - sans somnifère », souligne Gaby Montoya. De son côté, une ancienne ouvrière du textile, habituée à faire les trois-huit, s'est vu confier le chariot de linge : après avoir tout plié, l'intéressée regagnait son lit. Ce qu'aimait faire l'ancien boulanger vers trois heures du matin, c'est saucissonner et parler avec l'une des animatrices de nuit, après quoi il trouvait le chemin du sommeil. S'agissant enfin du quatrième résident insomniaque, il n'a pas été possible de découvrir ce qui lui ferait plaisir. Mais constater qu'il y avait une présence en permanence devait sans doute le rassurer : après un petit tour, il allait de lui-même se coucher.

Bien sûr, cette méthode n'est pas in-faillible, parce que tous les promeneurs du soir ne livrent pas leurs secrets et que, lorsqu'ils le font, il n'est pas toujours possible de les satisfaire. Mais « c'est un grand enjeu, la nuit, pour le confort et le bien-être de tous, et des personnes accueil-lies en particulier », souligne Marie-Jo Guisset-Martinez. C'est pourquoi la responsable du pôle « Initiatives locales » de la Fondation Médéric Alzheimer invite les professionnels à travailler cette question dans leurs institutions.

Pour nourrir la créativité des équipes et les aider à apprivoiser la maladie, la formation constitue un outil essentiel. Celle qui a été mise en place par l'Institut national de formation et d'application, l'association France Alzhei-mer et la société Médica France à l'intention des aides médico-psychologiques (AMP) qui exercent dans les établissements de cette entreprise, est un enrichissement de la formation classique conduisant au diplôme national d'AMP. Les élèves se voient proposer un cycle spécifique de 114 heures sur la maladie d'Alzheimer (définition des démences, entrée en institution, travail avec les familles, animations adaptées...). Depuis novembre 2005, 65 AMP ont obtenu un diplôme avec une telle spécialisation et jouent un rôle de référent auprès de leurs collègues qui n'ont pas suivi ce cursus.

Ce n'est pas une formation spécifiquement consacrée à la maladie d'Alzhei-mer, mais une formation à l'accompagnement de fin de vie de toutes les personnes aidées - dont nombre souffrent d'altérations cognitives - qui a permis aux professionnels de l'association La vie à domicile d'apprivoiser leurs peurs. Auxiliaires de vie sociale, infirmières, aides-soignantes, assistante de service social : un groupe composite de salariés de ce service parisien d'aide et de soins à domicile a bénéficié d'une formation assurée par le centre François-Xavier-Bagnoud, spécialisé en soins palliatifs. Depuis, ces professionnels sont régulièrement soutenus, lors de temps de régulation, par l'intervenante qui les a formés et ils sont désormais des personnes-ressources pour les membres de leurs équipes. Aussi, explique Philippe Hedin, directeur de la structure, il n'y a plus de « cris d'orfraie : on ne va pas y arriver », quand se présente une situation de fin de vie : c'est la situation d'une personne dépendante dont on accompagne les choix jusqu'au bout.

UNE « FOLIE SOCIALE »

Personnes âgées, puis personnes âgées dépendantes et, maintenant, personnes âgées dépendantes souffrant de la maladie d'Alzheimer : en se particularisant toujours davantage depuis 30 ans, « il semble bien que la politique de la vieillesse ait volé en éclats », analyse le psychosociologue Jean-Jacques Amyot. Chaque groupe de pression veut sa politique, son budget, son plan, souligne-t-il, pointant une double ségrégation : « Vous n'êtes pas Alzheimer ? Pas dépendant ? Vous ne nous intéressez pas ! » Et de mettre en garde : il faut cesser de vouloir sans arrêt spécialiser les populations, c'est de la « folie sociale », car une fois parcouru le chemin de la particularité - même dans un but louable -, « il est bien difficile de revenir dans le droit commun ».

Notes

(1) Des questions posées lors du colloque « Maladie d'Alzheimer : parcours de vie et formation des professionnels », organisé le 16 septembre 2008 à Paris par l'Institut national de formation et d'application (INFA) et le Centre de liaison, d'étude, d'information et de recherche sur les problèmes des personnes âgées (Cleirppa), avec le soutien de la Fondation Médéric Alzheimer - INFA : 5-9, rue Anquetil - 94736 Nogent-sur-Marne cedex - Tél. 01 45 14 64 46.

(2) Maladie d'Alzheimer, maladie de Pick, démence à corps de Lévy, etc.

(3) Elle est de 4 € par séance, auxquels s'ajoutent 11 € de cotisation à l'Association haut-rhinoise d'aide aux personnes âgées.

(4) In Rééducation orthophonique , 1995, vol. 33, n° 181.

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