« On est désormais coutumier du fait. A chaque drame, Nicolas Sarkozy annonce une énième reforme. A tel point que le code pénal est devenu illisible pour les magistrats », lâche, quelque peu désabusé, Bernard Durand, président de la Fédération d'aide à la santé mentale (FASM) Croix-Marine. De fait, au lendemain même du meurtre d'un étudiant à Grenoble par un patient schizophrène de l'hôpital de Saint-Egrève survenu le 12 novembre, le président de la Répu-blique a demandé aux trois ministres de l'Intérieur, de la Justice et de la Santé de préparer sans délai « une réforme en profondeur du droit de l'hospitalisation psychiatrique destinée notamment à mieux encadrer les sorties des établissements, à améliorer la surveillance des patients susceptibles de représenter un danger pour autrui, dans le cadre notamment de la création d'un fichier national des hospitalisations d'office, ainsi qu'à clarifier le partage des compétences administratives dans le pilotage de ces dossiers ».
« A nouveau, cette idée d'un fichier national réapparaît ! », s'alarme FO Santé-sociaux. Voilà le « vieux serpent de mer qui ressort des cartons », ironise Hélène Franco, secrétaire générale du Syndicat de la magistrature, tandis que l'Union syndicale de la psychiatrie dénonce ce « retour en arrière ». Il y a deux ans, en effet, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'Intérieur, avait tenté d'insérer, dans le cadre de son projet de loi sur la prévention de la délinquance, un volet santé mentale qui prévoyait de renforcer le rôle des maires dans les procédures d'hospitalisation d'office et de créer un fichier national des patients hospitalisés d'office. Mais devant le tollé des professionnels (et des usagers) de la psychiatrie et de l'action sociale, il avait dû y renoncer. Il avait alors promis d'engager la réforme de la loi du 27 juin 1990 « relative aux droits et à la protection des personnes hospitalisées pour troubles mentaux ». Un chantier annoncé à nouveau comme prioritaire pour 2008 par Roselyne Bachelot, ministre de la Santé.
Le drame de Grenoble apparaît donc comme l'occasion pour le président de la République de remettre sur les rails une réforme attendue de longue date par les organisations de professionnels de la psychiatrie et les associations d'usagers, dont elles n'avaient plus de nouvelles. Mais si l'Unafam (Union nationale des amis et familles de malades psychiques) et la FASM Croix-Marine y sont évidemment favorables, elles ne peuvent que déplorer le contexte de cette annonce. « On ne peut pas légiférer correctement sous le coup de l'émotion, affirme Bernard Durand, qui voit déjà dans cette exploitation du fait divers et les orientations du président de la République, le risque de revenir aux dispositions contestées et une inflexion sécuritaire. S'il considère, pour sa part, qu'il y a quand même une avancée car, contrairement aux mesures antérieures qui avaient été préparées par le ministère de l'Intérieur, les trois ministres (Santé, Justice, Intérieur) ont cette fois été saisis, Jean Canneva, président de l'Unafam, n'en reste pas moins extrêmement vigilant. Pas question, insistent les présidents des deux fédérations, de légiférer dans la précipitation et de mélanger les soins et la dangerosité. La démarche doit être concertée et globale et s'inscrire dans une approche de santé publique.
Volonté de réforme en profondeur ou simple opération de communication destinée à rassurer l'opinion publique ? La prudence reste donc de mise, surtout si l'on considère la rapidité de la sanction intervenue pour le directeur du centre hospitalier spécialisé de Saint-Egrève, suspendu par décision ministérielle. C'est ainsi que FO Santé-sociaux et le Syncass CFDT se disent stupéfaits alors qu'une enquête a été confiée à l'inspection générale des affaires sociales « pour déterminer les responsabilités de ce drame dans la perspective de sanctions éventuelles ». Une suspension « pour l'exemple » ?, s'interroge le Syncass CFDT. Choqué par « le caractère expéditif » et arbitraire de cette mesure, et alors que le fonctionnement normal de l'hôpital n'est pas compromis, il demande que le dossier soit évoqué dès la commission administrative paritaire du 20 novembre puis qu'une instance soit rapidement convoquée pour sortir de cette situation. Quant à l'Union fédérale des médecins, ingénieurs, cadres et techniciens (UFMICT)-CGT et son collectif « directeurs », ils appellent l'ensemble de la profession à se rassembler « pour refuser de servir de fusible à une politique de restriction budgétaire que subit le secteur sanitaire et social ».
Car il est bien évident qu'au-delà des déclarations et des annonces de réforme, l'amélioration de la prise en charge des patients passe aussi par une offre de soins de qualité. C'est ce qu'entendent rappeler FO Santé-sociaux et la CGT Santé-action sociale. Les deux syndicats dénoncent ainsi les fermetures de lits, sachant que, « faute de places, des hospitalisations sont tous les jours refusées », et la « constante » diminution des personnels soignants dans les établissements. Revenant sur l'agression d'une infirmière à Lyon, la CGT estime que « les professionnels ne sont plus protégés dans l'exercice de leurs missions par les établissements et ce, malgré les équipes de sécurité mises en place ». Dénonçant « la dégradation de la psychiatrie publique en France », la CGT a ainsi appelé à une journée de mobilisation le 18 novembre, précisant qu'elle n'est que le « début d'un mouvement qui veut s'inscrire dans la durée ».