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« Le travail avec les jeunes enfants relève des plus hautes exigences et qualifications »

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Le soutien apporté par le gouvernement aux « jardins d'éveil » pour les enfants de 2 à 3 ans proposés cet été par la députée Michèle Tabarot (1) et plus récemment par les sénateurs Monique Papon et Pierre Martin (2) peut faire craindre le démantèlement de l'école maternelle à la française et le développement des inégalités. C'est ce que redoute Laurent Ott (3), docteur en philosophie et responsable de projets à l'Ecole de formation psycho-pédagogique (EFPP) à Paris.

« Ces propositions de diversification des modes d'accueil des enfants avant la scolarité obligatoire font évidemment suite à la lente et profonde érosion du nombre des classes des écoles maternelles accueillant des enfants de 2 ans ; elles sont aussi à rapprocher de l'inquiétude des enseignants - renforcée par les récents propos du mi-nistre de l'Education nationale affirmant qu'il n'était pas nécessaire d'avoir fait des années d'études pour «changer des couches» - sur l'avenir de l'école maternelle française.

L'idée la plus inquiétante du rapport Papon-Martin réside dans cette opposition entre «lieu d'éveil» et «lieu pour apprendre» (l'école). N'est-ce pas la profonde vocation de l'école pré-élémentaire que d'éveiller l'enfant à lui-même, aux autres, au monde et à la vie ? Ne sommes-nous pas en train de revenir plus de 50 ans en arrière en méconnaissant l'importance primordiale de la prime éducation pour elle-même, et non pas pour faciliter la soumission à des modes d'apprentissage archaïques ?

Le débat, ancien, contre la scolarisation des enfants de 2 ans s'appuie sur une saine préoccupation concernant leurs besoins psychologiques. Mais il se révèle bien idéologique quand on aboutit au remplacement d'un mode d'accueil gratuit, ouvert à tous, par des structures payantes, créées au bon vouloir des municipalités. Les projets de création de nouveaux types de lieux d'accueil renforcent en effet l'idée d'un émiettement de la scolarité préélémentaire, remplacée par une pluralité de possibilités laissées aux parents, et donnant une grande part à l'initiative des collectivités locales. S'agirait-il de dépecer petit à petit l'école maternelle française (qui accueille plus de 90 % des enfants) pour laisser la place à une diversité mal contrôlée, construite au gré des ressources, des politiques locales... voire des possibilités familiales ?

Le plus grand danger dans la disparition annoncée de tranches entières de scolarité est bel et bien de renvoyer chez eux, tout simplement, de nombreux enfants qui n'auront ni les moyens, ni les possibilités matérielles de trouver une place ou de fréquenter ces nouveaux «jardins d'éveil». Ces mêmes enfants moins favorisés ne se verront-ils pas alors prescrire des «stages» ou d'autres dispositifs qui se donneront délibérément comme objectif de les préparer aux contraintes de l'école ? La question mérite d'être examinée si on ne veut pas retrouver à terme, au-dessous de 5 ans, la même étendue d'inégalités et de disparités que l'on constate aujourd'hui pour l'accueil des moins de 3 ans, et qui pèse lourd dans les destins scolaires. Aurons-nous demain un vaste marché de l'école préélémentaire qui favoriserait pour certains l'ouverture de lieux stimulants, diversifiés, vivants, chaleureux, et pour d'autres des lieux centrés sur le conditionnement préscolaire, le rappel des règles ? On ne donne pas cher de la qualité des liens sociaux qui seraient développés dans les secondes.

Certes, l'accueil des jeunes enfants nécessite des réformes et des innovations. Mais celles-ci passent certainement par la création d'un maillage homogène, et partout accessible, de lieux où les enfants peuvent apprendre à vivre ensemble, dans un climat de confiance affective et sociale. Il faut à tous les enfants des lieux gratuits et garantis, indépendamment des possibilités financière des parents, de leur nationalité, de leur situation d'emploi, ou de chômage. Il faut des lieux chaleureux qui permettent aux enfants d'établir une relation positive et de reconnaissance réciproque avec l'institution du collectif. Il faut des modes de prise en charge ouverts sur la diversité des cultures, mais aussi, sans doute, sur la pluridisciplinarité des acteurs éducatifs. Il faut également des professionnels formés et sans doute donner une nouvelle place aux éducateurs de jeunes enfants, aux côtés et complémentairement aux enseignants. Car, n'en déplaise à Monsieur Darcos, le travail avec les jeunes enfants relève des plus hautes exigences et qualifications. Il est de la plus haute responsabilité de l'Etat de les garantir. »

Notes

(1) Voir ASH n° 2569 du 22-08-08, p. 7.

(2) Voir ASH n° 2580 du 7-11-08, p. 11.

(3) Contact : l.ott@efpp.fr.

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