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« La formation en travail social en France : un «modèle» à la croisée des chemins ? »

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Alors que la plupart des Etats européens ont rattaché leur système de formation en travail social à l'université, la France continue à faire le choix d'études purement professionnelles. Combien de temps vivra-t-elle dans cet aveuglement, qui l'isole de plus en plus au sein de l'Union européenne ?, interpelle Gérard Moussu, sociologue, responsable du pôle « recherche évaluation développement » de l'Institut régional de travail social (IRTS) de Bordeaux-Talence.

« L'interview d'Emmanuel Jovelin, parue dans les ASH (1), présente l'intérêt de revenir sur une question qui anime les milieux de la formation en travail social depuis plusieurs années : celle de la spécificité du «modèle» français de la formation que j'ai eu l'occasion de commenter dans ces colonnes (2). Force est de constater que, depuis la parution de cet article, il y a deux ans, le constat demeure identique : la situation de la France en matière de formation en travail social relève d'un particularisme, qui nous isole de plus en plus des modèles européens.

Cette situation se révèle paradoxale dans la mesure où, en 1999 (cela fait bientôt dix ans !), la France a signé les accords de Bologne, qui encadrent les formations supérieures en Europe et que, dans le même temps, nous avons connu depuis 2004 la refonte de tous les diplômes en travail social sans que la référence au processus enclenché à Bologne soit sérieusement prise en compte dans l'architecture des nouveaux programmes (3) ! C'est l'indifférence ou, au pire, une volonté déterminée, mais non avouée, de confiner les formations en travail social à la légitimité professionnelle, qui l'éloigne d'une reconnaissance universitaire.

Alors que, ainsi que le souligne Emmanuel Jovelin, la plupart des pays européens (du plus petit par la taille ! on pense à la Slovénie, à la Lituanie ou à Chypre, par exemple, qui ont rejoint l'Union européenne ces dernières années, ou aux pays tels que l'Allemagne, l'Espagne ou les Pays-Bas) ont refondu leur système de formation en travail social dans le cadre de l'université ou des universités de sciences appliquées telles que les Fachhochschule allemandes ou les Hogeschool néerlandaises (équivalents des Hautes Ecoles belges ou suisses).

Il n'est pas inutile de rappeler quelques principes du processus de Bologne afin de mesurer la distance qui sépare le «modèle» (anti-modèle ?) français de l'esprit fondateur européen. Il s'agissait :

d'harmoniser la durée des études ;

de favoriser la comparaison des diplômes européens ;

de permettre la mobilité des étudiants ;

de susciter la mobilité des enseignants (en lien avec le dispositif Erasmus/Leonardo) ;

d'organiser les enseignements sur la base d'une progression de la licence (ou bachelor) au master puis au doctorat ;

de permettre la reconnaissance des crédits afin de les rendre transférables d'un pays à un autre, (European Credit Transfert System) ;

d'organiser les enseignements sur la base des crédits cumulables entre les niveaux de diplômes (180 crédits pour la licence et 360 au total pour le doctorat) ;

de reconnaître les niveaux de compétences acquis (en incluant notamment les temps de cours, de stage et de temps de travail personnel des étudiants) ;

de mettre en oeuvre des dispositifs d'évaluation et de démarche qualité des études (en prévoyant la notation des enseignants par les étudiants...) ;

de renforcer la dimension européenne des études.

Cette énumération permet d'apprécier toute l'ambition des promoteurs de ce processus, que certains ont qualifié de changement de paradigme du système de formation. Mais nous sommes également davantage en mesure de constater l'écart qui existe entre le système de formation français et la plupart de ces items.

Par rapport à quasiment tous ceux-ci (excepté pour la reconnaissance de la compétence où le modèle de la validation des acquis de l'expérience s'impose comme un exemple novateur), l'organisation des études en travail social en France se situe en retrait des initiatives engagées voici dix ans !

Au moment où le champ de la recherche et des formations universitaires est soumis à une comparaison internationale salutaire, nous observons le statu quo des formations professionnelles en travail social, qui ne permet pas à la France de se comparer avec les dispositifs existants dans l'écrasante majorité des pays européens et extra-européens ! (que l'on songe par exemple qu'il existe un doctorat en travail social au Sri Lanka !).

Les échanges internationaux permettent de mesurer la distance croissante qui nous éloigne de nos collègues européens lorsqu'ils nous sollicitent pour participer à la création de masters européens en travail social... Dans le meilleur des cas, nous répondons DEIS, CAFERUIS, CAFDES,... en essayant de faire comprendre que ces diplômes ou certificats correspondent à des niveaux (1 ou 2), qui ne représentent absolument rien de comparable au niveau international ! A fortiori, ainsi que le mentionne Emmanuel Jovelin, essayer de présenter la palette des diplômes en travail social français (15 ou 16 diplômes ?) à un partenaire européen relève d'une mission impossible !

On peut enfin ajouter que des pays tels que la Tunisie ou le Maroc s'inspirent du modèle de Bologne pour leur enseignement supérieur !

On l'aura compris, la situation actuelle en France s'apparente à ce que l'on qualifie de schizophrénie : les réformes des formations se mettent en place en ignorant quasiment en totalité les préceptes qui fondent la politique de formation en Europe ! Combien de temps vivrons-nous dans cet aveuglement qui nous condamne à contempler le train de l'histoire comme spectateur impuissant ?

Et pourtant l'appareil de formation français avait pris un train d'avance dans les années quatre-vingt avec le modèle des instituts régionaux du travail social, qui reconnaissait les missions de formation (à défaut d'enseignement du travail social en tant que discipline reconnue comme dans plusieurs pays), d'animation et de recherche en travail social. Mais les volontés réformatrices se sont heurtées à des conceptions héritées de l'histoire du secteur de l'éducation spécialisée ou de l'assistance sociale (4).

Il ne s'agit pas d'ignorer les avantages reconnus de notre système de formation en travail social (qualité de sa professionnalisation en particulier) mais nous souhaitons attirer l'attention sur ce qui représente un danger d'isolement face à la dynamique internationale des processus de formation. »

Contact : g.moussu@irtsaquitaine.fr.

Notes

(1) Voir ASH n° 2578 du 24-10-08, p. 39.

(2) Voir la Tribune libre parue dans les ASH n° 2447 du 17-03-06, p. 27.

(3) Si l'on excepte quelques lignes concernant l'ouverture des stages à l'étranger ou des cours de langue facultatifs dans les formations des assistants sociaux.

(4) Les travaux de Michel Chauvière demeurent indispensables afin de comprendre l'origine de la situation dans laquelle nous sommes.

TRIBUNE LIBRE

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