« Un étudiant parmi les autres », telle est la philosophie du service d'accompagnement et d'hébergement pour étudiants handicapés dépendants (SAHEHD) installé à Toulouse, sur le campus universitaire de Rangueil. Un symbole d'ailleurs, il prend place au coeur d'une résidence étudiante classique (1). Les jeunes handicapés, logés dans 20 studios entièrement domotisés, évoluent ainsi au contact des étudiants valides. Ils bénéficient en outre d'une présence humaine permanente au rez-de-chaussée du bâtiment. Ce double service a été lancé en septembre 2007 par le Groupement pour l'autonomie des étudiants handicapés en milieu universitaire (GAHMU). Celui-ci réunit les établissements d'enseignement supérieur de Toulouse et quatre associations d'aide aux personnes handicapées (2). Objectif : améliorer les conditions d'accueil des étudiants les plus dépendants dans la troisième ville universitaire de France. « Le constat était simple : après le bac, ces jeunes arrêtaient leurs études ou quittaient Toulouse pour une ville mieux adaptée à leur handicap, rappelle Marie Gasnault, directrice du SAHEHD et psychologue de formation. Désormais, ils peuvent poursuivre leurs études sans rompre avec leur environnement. »
Cette structure revêt la forme juridique d'un SAVS (service d'accompagnement à la vie sociale) et reçoit à ce titre des financements du conseil général de Haute-Garonne (3). Il emploie une directrice à plein temps, une secrétaire-comptable, une conseillère en économie sociale et familiale (CESF) à mi-temps et quatre auxiliaires de nuit. Une stagiaire en psychologie de l'accompagnement professionnel est également présente. Cette équipe est relativement réduite dans la mesure où elle n'est pas chargée des soins quotidiens des résidents. « Le GAHMU a fait le choix d'une structure non médicalisée, explique Marie Gasnault. Cela implique que chaque étudiant est le propre gestionnaire de ses aides. » Les étudiants sont donc libres de choisir leurs intervenants à domicile (pour les soins, les repas, la toilette...) et les rémunèrent directement (4).
Le rôle de ce service n'est pas de se substituer à une institution spécialisée ou à la famille de l'étudiant, mais de lui offrir un appui pour mieux gérer son quotidien et devenir un citoyen à part entière (5). « Nous représentons une zone intermédiaire entre un milieu très protecteur et l'indépendance totale, décrit Marie Gasnault. Certains parents ont du mal à lâcher leurs enfants dans notre structure qui leur apparaît moins sécurisante. C'est une expérimentation pour le jeune comme pour ses parents. Un passage vers la vie d'adulte. »
L'équipe accompagne actuellement huit étudiants de 18 à 30 ans, souffrant d'un handicap moteur lourd ou d'une maladie grave (mucoviscidose). La majorité d'entre eux est originaire de la région (Gers, Aveyron, Toulouse). « L'an dernier, nous avons accueilli un étudiant de La Rochelle qui avait interrompu ses études après le bac, faute de structure d'accueil, signale Marie Gasnault. Il était resté six ans chez ses parents sans rien faire. » Les résidents étudient la psychologie, l'anglais ou la biologie à l'université et certains sont inscrits en BTS ou en IUT. « On devrait faire une exception cette année en accueillant une jeune fille handicapée souhaitant faire un CAP esthétique mais n'ayant trouvé aucun hébergement adapté. »
L'accompagnement proposé est entièrement tourné vers l'accès à l'autonomie. A ce titre, le rôle des auxiliaires de nuit est loin d'être anodin. Disposant d'une formation ou d'une expérience d'aide à domicile, ils sont en premier lieu chargés d'assurer la sécurité des résidents et de répondre à leurs appels durant la nuit. Parallèlement à cette mission, chaque auxiliaire peut mettre en place des animations dans la salle commune du service : jeux de société, soirée pizza, travaux artistiques... Les étudiants valides sont d'ailleurs invités à participer à ces temps de convivialité. Enfin, la présence des auxiliaires de nuit permet aux résidents handicapés de grignoter quelques heures de liberté. « Les horaires des aides à domicile font que les jeunes sont couchés vers 18 h 30 ou 19 heures, explique Marie Gasnault. En faisait appel, de temps en temps, à nos auxiliaires de nuit, ils peuvent décider de l'heure où ils vont dormir comme le ferait n'importe quel étudiant (6). »
La conseillère en économie sociale et familiale est quant à elle chargée d'épauler les étudiants dans leurs démarches administratives et la gestion de leur quotidien. « Je cherche avec eux des intervenants à domicile correspondant à leurs besoins et les aide à établir leur planning, explique Agnès Pinosa. Entre les cours à la fac, les transports et les aides à domicile, ils ont des journées bien remplies... » L'intervenante peut aussi organiser des activités, par exemple un atelier-cuisine : « J'ai fait venir un ergothérapeute pour leur montrer toutes les aides techniques qui peuvent exister, raconte-t-elle. Des planches à découper avec des clous pour tenir des légumes, des couverts qui se tordent ou qui s'enroulent autour du poignet... » La cuisine du service devrait bientôt être équipée de ces ustensiles pour permettre aux résidents de les essayer. « Tout ce qui peut favoriser leur autonomie dans la vie future nous intéresse », souligne Marie Gasnault. Les étudiants peuvent aussi solliciter le service pour organiser leurs loisirs. « Je leur conseille par exemple de prévoir suffisamment à l'avance leur moyen de transport pour se rendre à un concert, indique Agnès Pinosa. L'objectif, c'est qu'ils puissent s'organiser des sorties entre eux ou avec d'autres étudiants de la résidence. »
Sur les huit étudiants accompagnés cette année, cinq l'étaient déjà l'an dernier. En un an, l'équipe a déjà pu repérer des changements d'attitude. « On avait deux étudiants qui ne voulaient pas se mêler aux autres. Comme ils avaient toujours vécu en milieu ordinaire, parler à des handicapés les renvoyaient à leur propre handicap, analyse Marie Gasnault. Au fil du temps, ils se sont ouverts aux autres membres du groupe. » De fait, des liens se tissent entre les résidents. « Ils se rendent visite, font des sorties ensemble, constate la CESF. Quand je passe d'un studio à l'autre, ils sont tous en train de se parler via leur messagerie internet ! » Côté prise d'autonomie, les évolutions sont plus ou moins prononcées selon l'âge et l'expérience des résidents. « On note un peu moins de demandes d'assistance, observe la directrice. L'an dernier, on était beaucoup sollicité pour des demandes qui n'étaient pas de notre ressort. Certains avaient tendance à agir comme des consommateurs du service. »
De fait, le SAHEHD doit résoudre une équation délicate : amener ces jeunes vers l'indépendance tout en les assistant dans leur vie quotidienne. « On est en tension entre quelque chose de formalisé et une grande souplesse, explique Marie Gasnault. Les résidents ne sont ni totalement indépendants, ni totalement assistés. » Résultat : il n'est pas toujours évident de trouver le bon équilibre. « On est en questionnement permanent, confie la responsable du service. Par exemple, quand un auxiliaire de nuit est sollicité à 4 heures du matin pour tourner la page d'un livre, que doit-il faire ? Répondre à la demande pour laisser l'étudiant lire ou estimer qu'il exagère ? On n'a pas encore de réponse définitive. »
D'après une enquête de satisfaction réalisée par le service à la fin de l'année dernière, les résidents ont apprécié l'accompagnement proposé. Ils ont en revanche été plus sévères sur des questions d'ordre pratique. « On a eu des dysfonctionnements techniques, reconnaît Marie Gasnault. Il a fallu ajuster des portes domotisées qui n'étaient pas au point. Cela nous a pris énormément de temps et d'énergie. Mais ces problèmes sont résolus et les étudiants sont satisfaits. » Un comité d'usagers, composé de deux étudiants du SAHEHD, permet par ailleurs de faire remonter quelques doléances sur l'aménagement des studios. « C'est aussi à travers celui-ci qu'ils s'impliquent. »
Pour sa deuxième année d'existence, le service fourmille de nouveaux projets. Le premier d'entre eux est celui de la communication. « On a besoin de se faire connaître, de développer des relations avec les interlocuteurs en charge des jeunes », indique la directrice. Pour l'heure, seule la moitié des studios est occupée. « On a envoyé des plaquettes, passé des coups de fils, organisé une journée portes ouvertes mais le résultat est encore insuffisant », reconnaît Marie Gasnault. Autre chantier des mois à venir : passer davantage de temps sur le « projet de vie » des étudiants. « On les accompagne déjà sur des aspects pratiques mais on voudrait creuser avec eux des thèmes comme l'insertion professionnelle ou la vie affective, détaille la directrice. Mais c'est parfois délicat à aborder. D'autant qu'ils ont déjà été enquêtés et sollicités par de nombreux intervenants. On veut respecter leur liberté de répondre ou pas. »
L'équipe compte également multiplier les propositions d'activités, notamment en faisant appel à des partenaires extérieurs. « Je pense par exemple à l'Univers montagne esprit nature (UMEN), association mêlant jeunes handicapés et valides pour des randonnées ou des activités sportives », explique la directrice. En matière d'insertion professionnelle, le service invite les étudiants à se tourner vers des structures spécialisées (7). « La plupart d'entre eux ont un projet professionnel mais ils ne savent pas s'il sera compatible avec leur handicap », explique Agnès Pinosa, qui les aide à réfléchir à leurs choix d'études. La secrétaire-comptable du service pourrait également prendre en charge un atelier consacré au budget. Enfin, l'association entend mettre à disposition une chambre universitaire au centre Jean-Lagarde de Ramonville (au sud de Toulouse) afin de permettre aux lycéens handicapés de terminale de tenter des immersions d'une semaine (8).
Si le SAHEHD manque encore de recul sur son travail, son premier bilan est encourageant. Sur les trois résidents ayant quitté le service au bout de un an, deux se sont installés dans un logement autonome, à Lyon et Paris. La première a choisi de poursuivre des études artistiques et le second a été recruté au ministère de la Jeunesse. Le troisième étudiant a, quant à lui, réintégré un service de rééducation pour des raisons médicales. Arrivée l'an dernier au service pour suivre des études d'anglais, Sylviane, 25 ans, semble avoir trouvé sa place. « Ici, chacun vit à sa façon et on ne passe pas son temps à parler de maladie », confie-t-elle. Depuis son arrivée, l'étudiante dit éprouver un grand sentiment de liberté. « Avant, mes parents étaient toujours derrière moi. Même si je suis leur petite dernière, je leur ai fait comprendre que le handicap n'empêche pas de vivre seule, malgré les difficultés. » Sur son bureau, des livres d'anglais s'empilent. Et dans sa tête, un projet s'ébauche : « Je veux devenir professeur d'anglais. »
(1) Il s'agit de la résidence Clément-Ader, qui comprend 250 appartements. Les étudiants handicapés sont locataires du CROUS, comme n'importe quel autre résident.
(2) Universités Toulouse-I et Toulouse-II, Institut national polytechnique de Toulouse (INPT), Institut national des sciences appliquées de Toulouse (INSAT), Centre régional des oeuvres universitaires et scolaires (CROUS), Association des paralysés de France (APF), Association pour la promotion des intellectuels handicapés moteurs et sensoriels (APIHMS), Association française contre les myopathies (AFM) et Groupement pour l'insertion des personnes handicapées physiques (GIHP Midi-Pyrénées) - Contact GAHMU-SAHEHD : Tél. 05 61 00 10 03 -
(3) La mise en place du SAHEHD a nécessité un budget de 208 000 € . Le conseil régional, l'Etat, la Fondation de France et la Caisse d'épargne font partie des financeurs.
(4) Ou par l'intermédiaire d'une association prestataire.
(5) L'accompagnement proposé par le SAHEHD est entièrement gratuit pour l'étudiant. En revanche, c'est à lui de financer son loyer et ses intervenants à domicile.
(6) Cette souplesse permise par les auxiliaires de nuit reste ponctuelle et gratuite. Les étudiants peuvent se tourner vers l'association Carpe Diem qui propose des prestations personnalisées, comme le coucher à la demande - Rens. :
(7) En Midi-Pyrénées, un service de l'Agefiph (Association gestionnaire du fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées) accompagne vers l'emploi étudiants et jeunes diplômés en situation de handicap - Rens. :
(8) Le centre Jean-Lagarde, à Ramonville-Saint-Agne, assure la scolarisation des enfants handicapés moteurs ou déficients sensoriels de la 6e au BTS - Rens. :