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Le Calvados brise les murs entre l'école et l'éducation spécialisée

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La direction départementale des affaires sociales et l'inspection académique du Calvados expérimentent un dispositif d'immersion d'enfants handicapés en milieu scolaire. Celui-ci permet de tester la formule la plus adaptée à chaque élève, sans passer par les procédures administratives classiques. Une souplesse rendue possible par des synergies étroites entre Education nationale et milieu protégé.

Ils sont une vingtaine à tester une « immersion » à l'école, au collège ou au lycée. Dépendant de l'éducation spécialisée, ces enfants handicapés tentent l'expérience de la scolarité ordinaire, quelques heures par jour ou par semaine, selon leurs possibilités. Ils peuvent en outre être accompagnés par leurs éducateurs, qui sont autorisés à franchir le seuil de la classe. Tous bénéficient du dispositif expérimental mis en place depuis 2007 par la direction départementale des affaires sanitaires et sociales (DDASS) et l'inspection académique du Calvados, en lien avec la maison départementale des personnes handicapées (MDPH).

Baptisé « immersion », celui-ci concerne tous les enfants du département porteurs d'un handicap (physique, intellectuel, troubles du comportement...), et pour lesquels la MDPH n'a pas prononcé de scolarisation ordinaire dans le cadre de la loi du 11 février 2005. « Ce sont des enfants déjà orientés en éducation spécialisée mais pour lesquels on se donne du temps pour voir si une scolarisation est possible ou non », explique Régine Chenal, responsable de l'adaptation et de la scolarisation des élèves handicapés à l'inspection académique du Calvados. Ce dispositif poursuit, selon elle, deux objectifs : « favoriser les passerelles entre le secteur de l'éducation spécialisée et l'Education nationale et augmenter le nombre d'élèves scolarisés en milieu ordinaire ». Il fonctionne également dans l'autre sens, en permettant par exemple aux élèves ayant des troubles du comportement de bénéficier d'une immersion en milieu protégé. L'an dernier, 27 enfants ont expérimenté l'immersion à l'école et une poignée d'autres sont passés du milieu scolaire à un établissement spécialisé.

Ces chiffres devraient augmenter cette année, dans la mesure où les chefs d'établissements scolaires et les responsables d'instituts spécialisés n'ont été informés qu'en juin dernier de l'existence du dispositif. Par ailleurs, le département a été découpé en six territoires d'intervention, dans lesquels la DDASS et l'inspection académique ont désigné des « correspondants locaux » (1). Il s'agit le plus souvent d'un binôme, constitué d'un professeur référent et d'un directeur d'institut médico-éducatif (IME) ou d'institut thérapeutique, éducatif et pédagogique (ITEP). Ces personnes sont chargées de faire connaître l'immersion en animant des réunions avec les acteurs concernés et en favorisant le rapprochement entre les deux secteurs.

Ce projet propre au département est le fruit d'une culture du partenariat bien ancrée entre milieu scolaire et milieu médico-social. « A la suite de la loi de 2005, on a fait beaucoup de réunions et de procédures communes, explique l'inspectrice de l'Education nationale. Par exemple, face aux craintes de certains enseignants à accueillir des enfants handicapés, on a mis en place des formations en commun. Les gens ont donc appris à se connaître (2). » Pour Eric Jonet, directeur de l'ITEP Camille-Blaisot à Caen, il était temps que ces deux institutions cessent de s'ignorer ((3). « La loi du 30 juin 1975 sur le handicap avait séparé éducation ordinaire et éducation spécialisée en deux mondes étanches, rappelle cet ancien éducateur spécialisé, correspondant local de l'immersion sur l'agglomération caennaise. Ces deux milieux étaient autistes l'un à l'autre et il a fallu poser le droit à la scolarisation ordinaire des enfants handicapés pour que les choses bougent. » Selon lui, l'immersion permet à ces deux mondes ayant évolué sur des chemins parallèles de vraiment se croiser.

« Malgré la loi de 2005, chacun aurait pu rester à sa place puisque la MDPH fait office de tiers, note-t-il. Là, on est en lien direct et on doit trouver de nouveaux modes de collaboration. » C'est aussi ce que pense Stéphane de Carli, inspecteur chargé du suivi administratif et financier des établissements sociaux et médico-sociaux à la DDASS : « On savait que cela ne se ferait pas tout seul. Pour atteindre les objectifs de la loi de 2005, il fallait donner un contexte favorable aux établissements. » Le défi est double : il s'agit de faire en sorte que le milieu protégé, qui dispose de ses propres écoles, accepte de laisser les enfants handicapés découvrir le milieu ordinaire, mais aussi de rassurer le milieu scolaire sur ses capacités à intégrer une nouvelle population d'enfants. « L'immersion est très bien perçue par les uns et par les autres car on ne leur demande pas de s'engager avec la corde au cou, assure Eric Jonet. On impulse les choses petit à petit. C'est la pédagogie de la réussite plutôt que de la contrainte. »

Le principal avantage de l'immersion réside dans sa souplesse administrative. « Habituellement, tout changement d'orientation d'un enfant handicapé nécessite l'établissement d'un dossier auprès de la MDPH, explique Cécile Dumeige, enseignante référente spécialisée dans la prise en charge des enfants handicapés et correspondante locale du dispositif dans l'agglomération de Caen. Cela peut parfois prendre plusieurs mois. Avec l'immersion, si tout le monde est d'accord, cela peut se faire en huit jours. » Pour être mise en oeuvre, celle-ci doit seulement recueillir l'assentiment de chaque partie prenante : l'établissement spécialisé dans lequel est inscrit l'enfant, l'établissement scolaire dans lequel il va faire un test et ses parents, qui occupent une place centrale. Chacun des partenaires doit signer une convention, qui définit la durée de l'immersion et ses modalités (temps de présence de l'enfant dans l'établissement d'accueil, suivi assuré par l'établissement de rattachement, etc.). A tout moment, le document peut être amendé ou dénoncé à la demande d'une des parties. Ce système offre aux acteurs la possibilité de faire des ajustements très rapides. « On peut arrêter les choses à tout moment ou les modifier en fonction des besoins de l'enfant », signale Eric Jonet.

Cette procédure permet aussi de rassurer les familles. Par exemple, l'immersion en classe ordinaire d'un enfant atteint de surdité ayant toujours évolué en petit groupe dans un milieu protégé peut légitimement susciter des craintes. Dans l'autre sens, le retrait d'un élève du milieu scolaire pour une expérience en milieu spécialisé est parfois difficile à accepter. « Certains parents ont du mal à reconnaître le handicap de leur enfant », témoigne le directeur d'ITEP. Cette période de test peut ainsi permettre de faire tomber les préjugés. « L'an dernier, nous avons accueilli temporairement un adolescent de 14 ans, raconte-t-il. Au départ, c'était très douloureux pour les parents, qui connaissaient mal l'éducation spécialisée. Finalement, l'expérience s'est révélée concluante pour tout le monde et on a pu monter un dossier auprès de la MDPH. » L'immersion permet d'ailleurs à cette dernière de disposer rapidement d'éléments d'évaluation pour prendre une décision. « On peut réunir très vite les avis d'un pédopsychiatre, d'un enseignant, d'une assistante sociale et d'un psychologue scolaire. »

Autre avantage de l'immersion : mettre toutes les chances du côté du jeune en utilisant les compétences de chaque secteur (4). Ainsi, même pendant le temps où il est à l'école, l'enfant peut continuer à bénéficier des soins et de l'accompagnement prodigué par son établissement de rattachement. « On déploie nos compétences au service du milieu scolaire, explique Eric Jonet. Par exemple, un de nos chauffeurs peut venir chercher l'enfant à l'école pour sa séance de rééducation, tandis que l'un de nos psychologues peut aller soutenir l'équipe enseignante » (voir encadré ci-dessous). Autant de précautions qui permettent d'éviter un échec d'orientation. « Si tout se passe bien, on soumet le dossier à la MPDH, si cela se passe moyennement bien, on change de régime en cours de route et si cela se passe mal, on revient à la situation antérieure, détaille le directeur d'ITEP. Pendant tout ce temps-là, on n'aura bloqué personne mais on aura ouvert le champ des possibles. Avec l'immersion, on tente. Et si nécessaire, on réajuste. »

« Nous sommes encore en rodage »

Après une année d'existence, le dispositif n'a pas encore atteint sa vitesse de croisière. « Nous avons la chance d'avoir deux administrations qui nous font confiance mais nous sommes encore en rodage, reconnaît Eric Jonet. Nous devons intensifier notre communication pour que tout le monde ait envie d'y aller. » Surtout, son succès dépend de la bonne volonté des acteurs. « Si, demain, l'inspecteur d'académie change et qu'il n'adhère pas au dispositif, tout peut s'arrêter. Mais cette forme de précarité a l'avantage de nous pousser à bien faire. » Autre risque de l'immersion : qu'elle devienne un alibi pour maintenir le statu quo, et ne pas prendre de décision. « Il ne faudrait pas abuser du dispositif », prévient ainsi Cécile Dumeige, qui pointe les risques « d'oubli » de l'enfant dans une solution précaire « qui conviendrait à tout le monde », sauf à lui. « Il faut que les établissements jouent le jeu, confirme Eric Jonet. L'immersion ne doit pas être utilisée comme une période d'essai par l'établissement mais comme un préalable à une décision. L'esprit, c'est : on teste puis on fait. » Enfin, malgré sa souplesse, l'immersion ne permet pas de régler toutes les situations. « Je pense à des parents qui refusent de reconnaître que leur enfant souffre de troubles du comportement et qui estiment que c'est à l'école de s'adapter à lui, indique Cécile Dumeige. Même avec l'immersion, ceux-ci refuseront que leurs enfants aillent dans un établissement spécialisé. » L'expérimentation est censée durer trois ans. « Si, après l'évaluation, le dispositif fait ses preuves, il pourrait très bien s'étendre à tous les départements », espère Eric Jonet. Il est en tout cas regardé de très près par les autorités compétentes.

À LISIEUX, UN ITEP « HORS LES MURS » INTERVIENT EN MILIEU SCOLAIRE

Favoriser la scolarisation des jeunes souffrant de troubles du comportement, en déployant ses compétences jusque dans les écoles : telle est la vocation de l'institut thérapeutique, éducatif et pédagogique (ITEP) de Lisieux, ouvert en septembre 2008. Ce site pilote, rattaché à l'ITEP Camille-Blaisot de Caen (Calvados), suit une quinzaine d'enfants inscrits à l'école primaire. Il vient combler un manque de structures adaptées dans cette partie du département. « Jusqu'à présent, il n'y avait pas d'ITEP dans le pays d'Auge alors qu'il s'agit du secteur le plus défavorisé du Calvados et qu'il affiche le plus fort taux de suicidants chez les adolescents en France », indique Eric Jonet, directeur de l'ITEP Camille-Blaisot. Le nouvel établissement réunit une équipe permanente pluridisciplinaire (psychologues, éducateurs spécialisés, professeur des écoles...) et peut faire appel à des prestataires extérieurs pour la rééducation ou les activités artistiques.

Cette équipe intervient la plupart du temps en dehors des murs de l'établissement. Et c'est là toute sa particularité : « L'intérêt, c'est d'offrir une prise en charge directement dans les structures de l'Education nationale, explique Eric Jonet. C'est un changement de culture pour les travailleurs sociaux. » L'enfant bénéficie ainsi de l'accompagnement global de l'ITEP (scolaire, éducatif, thérapeutique, pédagogique) tout en pouvant rester au maximum à l'école. Ce suivi est réalisé de manière individuelle ou collective dans un local de l'établissement scolaire et s'effectue en lien avec l'équipe enseignante. Il peut, dans une moindre mesure, avoir lieu au sein de l'institut. « L'objectif, c'est de faire des va-et-vient entre l'école et l'ITEP. » Les élèves en difficulté n'ayant pas de notification ITEP peuvent aussi, de manière ponctuelle, bénéficier de cet accompagnement. Ce qui a l'avantage de réduire la stigmatisation des enfants nécessitant un accompagnement plus étroit.

Notes

(1) Il s'agit des territoires du Bessin, de Falaise, de Vire, du pays d'Auge Sud, du pays d'Auge Nord et de Caen agglomération. Dans ce dernier territoire, plus vaste, cinq équipes de correspondants locaux ont été mises en place.

(2) Un « pôle de compétence handicap » a été créé le 20 mars 2007 dans le département pour réunir tous les services de l'Etat concernés, sous l'autorité du préfet. L'une de ses missions est de favoriser les passerelles entre milieu scolaire et milieu spécialisé.

(3) Cet ITEP accueille 153 jeunes de 6 à 20 ans. Il dépend de l'Association calvadosienne pour la sauvegarde de l'enfance et de l'adolescence (ACSEA) - ITEP Camille-Blaisot : 6, rue des Vaux-de-la-Folie - BP 5012 - 14076 Caen cedex - Tél. 02 31 53 40 20.

(4) Sur le plan financier, l'immersion permet à l'établissement spécialisé de garder son prix de journée dans la mesure où l'enfant bénéficie encore d'un accompagnement pendant sa scolarisation. Dans l'autre sens, une immersion d'enfant dans un établissement spécialisé sera remboursée à l'établissement à la fin de l'année.

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