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Définir les SSIG : une urgence

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On entend trop peu les professionnels du travail social dans le cadre des travaux, hexagonaux ou européens, en cours sur les services sociaux d'intérêt général (SSIG). C'est ce qui a poussé Joël Henry, ancien président et co-fondateur du Cnaemo et d'Eurocef (1), à prendre sa plume pour proposer une définition de ces services, sur lesquels la France, forte de sa présidence de l'Union européenne, poursuit le débat (2). Nous publions de larges extraits de ce texte, rédigé dans la foulée d'une journée de réflexion du Mouvement européen des travailleurs sociaux, début octobre, que plusieurs organisations professionnelles (3) s'apprêtent à discuter au sein de leur propre réseau.

« Adoptée le 15 novembre 2006, la directive «services» exclut expressément de son champ «le logement social, la protection de l'enfance et le soutien aux familles ou personnes, de façon permanente ou temporaire dans le besoin» (1), établissant ainsi une première démarcation entre ces derniers, appelés «services sociaux d'intérêt général» (SSIG), et les services d'intérêt économique général (SIEG). En vertu du principe de subsidiarité, les Etats membres sont libres de définir ces deux catégories dans la limite, toutefois, de la prise en compte de certaines règles communautaires, par exemple du principe de non-discrimination (liberté d'installation d'un service étranger).

Depuis longtemps déjà et de plus en plus souvent, partout en Europe, les Etats recourent aux services sociaux du secteur privé sans but lucratif pour remplir certaines missions d'intérêt général mais, désormais, cette délégation de compétence relève des règles communautaires régissant le marché intérieur et la concurrence.

Dans le domaine de la concurrence, la Cour européenne de justice a considéré comme activité économique «toute activité consistant à offrir des biens ou des services sur un marché donné par une entreprise, indépendamment du statut de cette dernière et de son mode de financement» (2). En ce qui concerne la libre prestation de service et la liberté d'établissement (principes fondamentaux du libre marché), la même Cour a considéré comme activités économiques, au sens du traité CE (articles 43 et 49), les prestations fournies normalement contre rémunération, sans qu'il soit nécessaire qu'elles soient payées par ceux qui en bénéficient (3). Il en résulte que la quasi-totalité des services rendus dans le domaine social peuvent être considérés comme des activités économiques. [...] Le secteur lucratif et le secteur non lucratif sont donc placés sur un pied d'égalité, l'un et l'autre pouvant prétendre à l'exécution de missions de service social d'intérêt général dans un marché libre et ouvert. [...]

Jusqu'à présent la Commission européenne n'a pas choisi de légiférer, souhaitant encore consulter les différents pays et les acteurs en charge des SSIG, grâce à la méthode ouverte de coordination (MOC). [...] En réalité, il existe une sorte de valse-hésitation entre l'Union et les Etats membres sur leurs compétences respectives et cela en raison des interprétations différentes et évolutives qui sont faites du principe cardinal de subsidiarité concernant le social. Ce dernier est en effet depuis l'origine une matière de compétence nationale, mais, au fil du temps, de nombreuses modulations ont été apportées par l'échelon communautaire.

Au niveau national, le gouvernement français a mobilisé un groupe de travail interministériel aux fins de transposer la directive «services» (4), et l'accomplissement de cette tâche obligatoire implique de définir les SSIG et de les situer par rapport aux autres services économiques. A notre connaissance, les travailleurs sociaux n'ont pas été invités ès qualités à donner leur avis.

La crise libérale actuelle et la récession qu'elle entraîne rendent également plus que jamais urgente une définition européenne officielle de la notion de SSIG. La récession, appelée à durer, va encore réduire les financements publics ou les orienter vers des secteurs considérés comme politiquement prioritaires, ce qui, dans la vision libérale actuelle, n'est pas le cas du secteur social. Le projet de loi de finances pour 2009 confirme explicitement ce désengagement encore plus grand de l'Etat, au détriment notamment des dépenses sociales et, plus généralement des grandes fonctions d'intérêt général et de solidarité (éducation, santé, politique de la ville, logement social...).

L'insuffisance de solvabilité publique de certains des besoins élémentaires des personnes et les béances dans les services rendus risquent de susciter des effets d'aubaine de la part des entrepreneurs, qui vont se placer par des offres de prestations sur un marché ouvert et prometteur. L'ambiguïté des textes européens et de la jurisprudence de la Cour risque de faciliter cette irruption déjà effective ici ou là et à des degrés divers selon les pays. Cette marchandisation du social doit impérativement être déjouée et les travailleurs sociaux ont l'ardente et l'urgente obligation de participer à ce combat, car la commercialisation ne peut qu'entraîner des effets pervers non seulement sur l'exercice et les finalités du travail social mais aussi sur la satisfaction des besoins des bénéficiaires.

Pour des raisons diverses, à la fois historiques et inhérentes à la dynamique de développement continu des services sociaux, il n'existe guère de définition générale, transversale et actualisée des services sociaux. A la multiplicité des catégories de services et des modalités d'exercice du travail social, correspond un vide sémantique et politique à propos du service social [...]. Cette absence de définition générale est aujourd'hui véritablement dangereuse dans la mesure où le vide conceptuel peut être comblé par une description émanant de l'Union européenne, instance reposant sur le libéralisme économique. En synthétisant, via le processus de la MOC, les avis des Etats membres fortement imprégnés par l'idéologie dominante dont les traits essentiels, en matière sociale, sont le moindre interventionnisme public, l'individualisme, le laisser-faire par le marché et la déréglementation de la loi tierce et symbolique par le contrat binaire d'essence commerciale, Bruxelles risque de promulguer une directive incitant les opérateurs à but lucratif à accentuer leur mainmise sur le social et encourageant, par ailleurs, le bénévolat dans l'exercice du travail social.

Nécessité il y a donc de proposer une définition générale du service social d'intérêt général. [...]

L'usage du substantif, du singulier, peut comporter l'inconvénient d'une incapacité à rendre compte de l'extrême diversité des services sociaux en place ou encore à créer. Inversement, il donne la possibilité, selon la définition du service social proposée, de pouvoir fédérer les différentes et multiples expériences nationales et éventuellement internationales. La doctrine à proposer est, en effet, celle qui, tout en appelant l'harmonisation des différences inhérentes aux multiples cultures des peuples européens, respecte celles-ci, déjouant ainsi les risques d'uniformisation technocratique fondée sur le modèle dominant d'économie libérale [...]. Refuser l'uniformité, c'est reconnaître à chaque pays sa capacité de répondre aux besoins des personnes et des groupes de façon adaptée à ses usages culturels et à son organisation sociale et politique. [...] Privilégier l'harmonisation ouvre également la voie à des échanges nécessaires et roboratifs entre les différents pays et les différents modèles, suscitant une dynamique de reconnaissance mutuelle et d'enrichissement collectif. Cette découverte d'autrui nécessite aussi un travail de chacun sur son propre service aux fins d'en approfondir et d'en soutenir la spécificité institutionnelle et clinique.

La définition générale des SSIG doit revêtir deux aspects. Elle doit être large afin de permettre d'y faire figurer les multiples configurations, d'encourager l'adhésion éventuelle des différents pays et des multiples services sociaux, selon leur statut (public, national, parapublic, territorial, ou privé non lucratif), leur spécificité (de première ligne, de catégorie, spécialisés pour certaines catégories de populations ou de groupes), leur configuration (pluridisciplinarité ou non des professionnels engagés). Mais elle doit être précise sur quatre points fondamentaux :

Le caractère non marchand de leur organisation et des prestations fournies, tout d'abord. Ce caractère non marchand est une condition sine qua non de démarcation vis-à-vis de prestations de sociétés ou d'opérateurs privés dont la finalité est de tirer un profit économique du marché social. Pour autant, la viabilité des SSIG ne peut se passer de subventions et de paiements par des financements publics suffisants, négociés, pérennes et transparents. [...]

En second lieu, la professionnalisation des travailleurs sociaux chargés d'exécuter les missions de service public conférées aux services. Quels que soient les professionnels (assistants sociaux, éducateurs spécialisés...), leurs compétences doivent être attestées par des diplômes reconnus et exigés par les pouvoirs publics en charge des SSIG, de leur habilitation et de leur agrément. La professionnalisation des agents doit s'incarner dans un statut de salarié garanti par des conventions collectives opposables.

Le bénévolat doit être respecté, soutenu même, comme élément fort du lien social, d'animation de la société civile, mais, concernant les services sociaux, il doit être réservé aux seuls fondateurs et administrateurs constituant la personne morale à but non lucratif.

La vocation du SSIG est fondamentalement orientée vers la satisfaction des différents besoins des personnes et des groupes qui le sollicitent ou qui lui sont adressés aux fins de trouver ou recouvrer une autonomie suffisante, dans le respect de leurs capacités, de leur rythme, de leurs choix et de leur vie privée. Ce positionnement éthique doit démarquer de façon significative - mais non totale - le service social du contrôle social et de l'endoctrinement.

Au final, je proposerai donc la définition suivante : «Financé par des fonds publics, de statut public ou privé sans but lucratif, le service social d'intérêt général exerce son activité, selon des modalités diversifiées, au bénéfice des personnes, des familles et des groupes exprimant des besoins généraux ou/et éprouvant des difficultés particulières. La mise en oeuvre des missions demandées ou conférées au service s'effectue par des équipes généralement pluridisciplinaires de travailleurs sociaux qualifiés, salariés inscrits dans des échelles barémiques, titulaires de diplômes requis dans le pays d'exercice ou d'équivalences lorsqu'il s'agit d'intervenants étrangers.»

[...] Il convient d'informer largement les travailleurs sociaux et de les sensibiliser sur l'enjeu important de la définition des SSIG, laquelle, élaborée à leur insu, risque de surdéterminer à brève échéance, l'existence de leurs services, l'exercice de leurs missions et l'intérêt des usagers. »

Contact : jhenri1@dbmail.com.

Notes

(1) Respectivement Carrefour national de l'action éducative en milieu ouvert et Comité européen d'action spécialisée pour l'enfant et la famille dans leur milieu de vie. Joël Henry est aussi l'auteur de l'ouvrage Du social en Europe paru en 2006 aux éditions Cheminements.

(2) Voir ce numéro, p. 36.

(3) L'Association nationale des assistants de service social, la Fédération nationale des éducateurs de jeunes enfants, les Centres d'entraînement aux méthodes d'éducation active, le Collectif MP4-Champ social...

(4) Voir ASH n° 2480 du 24-11-06, p. 5.

(5) Voir affaires C-180/98 à C-184/98, Pavlov e.a.

(6) Voir Affaire C-352/85, Bond van Adverteerders.

(7) Voir ce numéro, p. 36.

TRIBUNE LIBRE

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