Très attendu, le projet de loi « hôpital, patients, santé, territoires », présenté en conseil des ministres la semaine dernière (1), a confirmé les inquiétudes des associations. Si son objectif général de décloisonner les secteurs sanitaire et médico-social est bien accueilli, il n'en reste pas moins que, dans le détail, la création des agences régionales de santé (ARS) inspire des craintes. Et en premier lieu la mise en place d'une commission de sélection consultative d'appel à projet social et médico-social au sein des ARS fait bondir les associations. « Le caractère systématique des appels à projets lorsqu'il s'agit de financements publics risque de nous entraîner dans une logique descendante. Cela va à l'encontre de la logique actuelle, ascendante celle-là, qui permet aux acteurs de terrain de chercher les réponses avant de demander un financement. Avec ce projet, ce sont les pouvoirs publics qui passeront commande aux opérateurs », explique Arnaud Vinsonneau, adjoint au directeur de l'Uniopss. Ainsi, les associations redoutent d'être « privées de leur capacité de proposition et d'innovation », réplique la Fegapei qui craint « que la procédure d'appel à projets vienne limiter ou bloquer les projets initiés par les associations ».
L'autre sujet de préoccupation réside dans la composition du conseil de surveillance des ARS, qui ne comporte pas de représentants des organismes gestionnaires d'établissements. Or, regrette Cécile Chartreau, conseillère technique à l'Uniopss, leur présence est indispensable puisqu'« ils portent un regard complémentaire sur les besoins des usagers ». Le projet de loi fait, par ailleurs, davantage référence aux représentants des usagers du secteur de la santé qu'à ceux du médico-social, ce que déplorent aussi de façon unanime les associations.
Plus globalement, avec le renforcement d'un pilotage régional par les ARS et les nouveaux modes de régulation proposés, c'est l'ensemble du secteur médico-social qui pourrait être déstabilisé. « Dans ce projet de loi, la planification se complique : il y aura désormais deux schémas pour les personnes âgées et handicapées, celui de l'ARS et celui du conseil général. Comment vont-ils s'articuler ? », s'interroge Arnaud Vinsonneau. Une inquiétude que relaie le Groupe national des établissements et services publics sociaux (GEPSo), qui craint que cette nouvelle organisation ne mette en péril l'une des forces du secteur social et médico-social qu'est « sa capacité de mettre en oeuvre des réponses de proximité diversifiées et adéquates avec l'histoire et les habitudes de vie d'une population ».
Au final, les acteurs redoutent de voir gommer la spécificité de tout un secteur. La disparition du CROSMS (comité régional de l'organisation sociale et médico-sociale), « seule instance transversale des secteurs social et médico-social », souligne Arnaud Vinsonneau, en est une illustration. « A travers le texte, nous ne savons pas si les compétences des CROSMS vont être conservées, notamment en ce qui concerne le secteur social », ajoute Cécile Chartreau. L'Uniopss fait donc part de son inquiétude de voir le secteur social dissocié de la nouvelle architecture. « Avec les ARS, on prévoit de nouveaux équilibres : d'un côté, une meilleure articulation entre le sanitaire et le médico-social, de l'autre, le social qui risque d'être laissé de côté dans les années à venir », poursuit Cécile Chartreau.
Quant au redéploiement du secteur hospitalier vers le médico-social que signe le projet de loi, il suscite la prudence des acteurs. « Cela ne peut se faire sans un certain nombre de règles qui permettent d'accompagner les publics les plus fragiles dans de bonnes conditions. Nous souhaitons des garanties pour que ne se répètent pas des expériences malheureuses où des services hospitaliers sont transformés en établissement médico-social sans adaptation du cadre bâti, sans changement de personnel... », précise Arnaud Vinsonneau.
L'inclusion du médico-social dans le champ des ARS pose aussi la question des crédits alloués aux différentes missions. Constatant les besoins importants du sanitaire, le GEPSo craint de voir les enveloppes du médico-social « noyées » dans le curatif. Cette question préoccupe aussi l'Uniopss, qui demande que le principe de la fongibilité asymétrique des crédits, permettant de protéger les crédits destinés au médico-social, soit inscrit dans la loi.
C'est donc l'approche « curativo-centrée » du projet qui laisse présager que le secteur médico-social ainsi que la prévention et la promotion de la santé ne passent au second plan. L'UNAF (Union nationale des associations familiales) regrette notamment que la réforme du dépistage en milieu scolaire et le volet sur la santé des femmes, prévus dans la première version du texte, aient disparu. Si l'intégration d'un volet « éducation thérapeutique » dans le projet est largement salué, l'UNAF s'inquiète « qu'aucune mesure ne soit prévue pour son financement ». Et AIDES de rappeler que l'éducation thérapeutique « doit prendre en compte la personne dans sa globalité et intégrer l'expertise développée par les associations ». Une remarque que rejoint le Collectif interassociatif sur la santé (CISS), qui souhaite que le débat parlementaire débouche sur l'amélioration des conditions de mise en oeuvre de l'éducation thérapeutique.
Autre sujet d'inquiétude, et non des moindres : la menace qui plane sur les établissements privés à but non lucratif participant au service public hospitalier (PSPH). Alors qu'en juillet dernier, la ministre de la santé, Roselyne Bachelot, avait garanti aux associations représentant ces établissements que le régime juridique des structures PSPH serait conservé, l'article premier du projet de loi projette l'extinction de ce statut spécifique à l'horizon 2012. Une perspective qui déstabilise les 600 établissements concernés. Et plus largement l'ensemble du secteur privé à but non lucratif qui assure, rappelle la FEHAP (Fédération des établissements hospitaliers et d'aide à la personne), 15 % des capacités d'accueil du secteur sanitaire, 56 % de celles du secteur social et médico-social, et contribue à maintenir une offre de soins accessible à tous sur l'ensemble du territoire. Cette suppression alarme d'autant plus qu'elle est prévue « sans aucune visibilité sur ce qui se passera après et sans perspective de remplacement par autre chose », précise Cécile Chartreau. Sur ce sujet, la FEHAP et l'Uniopss sont déjà mobilisées et s'apprêtent à faire des propositions à la ministre pour modifier le texte avant qu'il ne soit présenté au Parlement en janvier prochain.