A quelques semaines des conclusions de la commission Varinard chargée de placher sur la réforme de l'ordonnance du 2 février 1945, plusieurs organisations, dont le SNPES (Syndicat national des personnels de l'éducation et du social)-PJJ-FSU, le Syndicat de la magistrature, l'Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille (AFMJF), la CGT-PJJ et le SNU-CLIAS (1)-FSU, s'alarment de la remise en cause de la double compétence de la justice des mineurs, au pénal et au civil. Après, en 2004, la tentative avortée d'expérimenter la décentralisation de la mise en oeuvre des mesures d'assistance éducative (2), puis, en septembre 2007, de scinder les fonctions pénales et civiles du juge des enfants (3), ils s'inquiètent cette fois des orientations de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Dans son « projet stratégique national 2008-2011 », cette administration prévoit en effet un « recentrage » du service public de la PJJ sur l'activité pénale (4), dans l'optique d'une clarification des rôles entre les missions de l'Etat et celles des conseils généraux, chefs de file de la protection de l'enfance depuis la loi du 5 mars 2007. Décision clairement déclinée dans une note budgétaire du 5 septembre, selon laquelle l'effectif de l'activité au civil devra « tendre vers l'objectif de 0 % fin 2011 ». Le SNPES relève par ailleurs que dans le budget de la PJJ pour 2009 (en diminution de 2,7 %), les crédits consacrés à la mise en oeuvre des mesures judiciaires concernant les mineurs délinquants sont en hausse de 18 %, tandis que l'enveloppe dévolue aux mineurs en danger et jeunes majeurs « est diminuée de 40 % ». L'abro-gation du décret du 18 février 1975 sur la protection judiciaire des jeunes majeurs serait envisagée à l'issue des travaux sur la réforme de l'ordonnance de 1945. « La justice n'a pas vocation à se substituer au conseil général », a confirmé le directeur de la protection judiciaire de la jeunesse, Philippe-Pierre Cabourdin, interpellé sur le sujet lors d'une journée d'étude sur la justice des mineurs organisée par l'Uniopss, le 23 octobre.
Si les juges des enfants prennent déjà en compte les orientations de la PJJ en confiant en majorité des mesures pénales aux services de la PJJ, explique l'AFMJF, ils souhaitent conserver une « marge de souplesse » dans le choix du service ou de l'établissement, notamment dans l'inté-rêt de la continuité du suivi du jeune et pour tenir compte de la spécificité des services. En Ile-de-France, les mesures civiles représenteraient encore en moyenne 15 % de l'activité de la PJJ, taux cependant très variable sur tout le territoire. Cette possibilité est désormais compromise : « Alors qu'aucune modification législative ou réglementaire n'est intervenue, l'administration, par une simple injonction interne, demande aux services de la protection judiciaire de la jeunesse de ne plus exécuter les décisions juridictionnelles des juges des enfants en assistance éducative », indique l'association. Or les mesures éducatives non mises en oeuvre par la PJJ augmentent d'autant plus la liste des mesures en attente dans les services de l'aide sociale à l'enfance : « Dans le Val-de-Marne, le nombre de mesures non mises en oeuvre faute de moyens suffisants du département - 150 environ aujourd'hui - va ainsi doubler », précise Catherine Sultan, présidente de l'AFMJF, selon qui cette carence « risque d'engager la responsabilité de l'Etat ».
Les organisations professionnelles mettent en garde contre un « démantèlement de la justice des mineurs » consistant à « séparer les jeunes à protéger des jeunes délinquants ». Le danger est, alertent-elles, de compromettre la continuité des prises en charge dans les services éducatifs. « En matière civile, l'IOE [investigation et orientation éducative] reste de la compétence de l'Etat, illustre Lysia Edelstein, du SNPES-PJJ, psychologue dans un centre d'action éducative. Nous allons pendant environ six mois aborder les difficultés du jeune, sans pouvoir assurer son suivi en assistance éducative. » Le Syndicat national des psychologues s'inquiète aussi de cette séparation et, au-delà, des conséquences du durcissement de la justice pénale des mineurs. Depuis l'ordonnance du 23 décembre 1958, les notions de danger et de protection sont tout aussi applicables à « l'enfant coupable », souligne-t-il dans un communiqué commun avec le SNPES, ajoutant que le traitement au civil démontre « combien il peut avoir des effets «préventifs» pour certains de ces enfants, qui éviteront ainsi un traitement pénal ».
(1) Syndicat national unitaire des collectivités locales, du ministère de l'Intérieur et du ministère des Affaires sociales.
(3) Voir ASH n° ASH n° 2525 du 5-10-07, p. 11.