Après avoir mis au jour le sujet en 2003 (1), l'ANAFE (Association nationale d'assistance aux frontières pour les étrangers) revient dans un nouveau rapport sur « les dérives de l'examen de l'asile à la frontière » (2). Le moment est opportun, explique-t-elle, « alors qu'une réforme importante des conditions d'admission des demandeurs d'asile est entrée en application, prévoyant pour la première fois un recours suspensif en cas de refus d'entrée sur le territoire au titre de l'asile ».
L'objectif de la procédure d'examen à la frontière, explique l'ANAFE, est de vérifier que la requête n'est pas « manifestement infondée » avant d'autoriser la personne à entrer sur le territoire pour y effectuer formellement sa demande d'asile. L'OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides) procède à un entretien avec le demandeur et formule un avis au ministère de l'Immigration (de l'Intérieur jusqu'en 2006), qui prend la décision d'admission. En théorie, « il ne devrait s'agir que d'un examen superficiel, et non d'un examen au fond, de la demande d'asile, visant à écarter les personnes qui souhaiteraient venir en France pour un autre motif, l'examen de l'éligibilité au statut de réfugié restant de l'entière compétence de l'OFPRA ». Or l'association constate, à partir de l'examen d'une centaine de décisions de refus, « la mise en place subreptice d'une procédure de sélection des demandeurs d'asile à la frontière d'un niveau équivalent à celui pratiqué sur le territoire ».
La majorité des décisions négatives sont fondées sur l'absence de crédibilité des déclarations des demandeurs faute d'un degré élevé de précision, le même que celui exigé lors de la procédure de droit commun sur le territoire. Ceux qui « n'ont pas d'emblée les idées claires et la capacité de les exprimer » sont rejetés. La rédaction même des décisions trahit un détournement de la notion de « manifestement infondé » : leur analyse « fourmille d'expressions qui révèlent les incertitudes de l'administration » subsistant sur les déclarations du requérant, alors que ces décisions ne devraient pas laisser de place au doute. Cet alignement sur l'examen des demandes d'asile sur le territoire se traduit également dans le temps consacré à chaque entretien : il est passé en zone d'attente de 45 minutes en moyenne en 2005 à 1 heure en 2006. Les conditions de cette évaluation se dégradent en outre, l'urgence devenant la règle.
L'instauration du recours suspensif à l'encontre des refus d'admission au titre de l'asile par la loi du 20 novembre 2007 ne rassure pas l'ANAFE, en raison de la complexité de la requête et du délai trop court accordé. L'association s'inquiète, qui plus est, de l'interprétation retenue par le tribunal administratif de Paris de la notion de « manifestement infondée » : Celui-ci, « compétent pour l'ensemble du territoire, a ainsi adopté la fâcheuse habitude de rejeter les recours qui ne sont pas accompagnés d'un minimum de «preuves» de persécutions. » Les juges semblent donc avoir eux-mêmes intégré des exigences très élevées de recevabilité.
Dans son rapport 2007 sur la zone d'attente de Roissy (3), l'ANAFE confirme « l'ineffectivité » du recours durant ses trois premiers mois d'application. Saisie par l'association, la Cour européenne des droits de l'Homme a, depuis l'application de la loi, « ordonné à plusieurs reprises des mesures provisoires » en demandant à la France « de ne pas renvoyer la personne avant que la Cour ait statué sur le fond ».
Dans ces deux rapports d'observation - sur la demande d'asile à la frontière et sur la zone d'attente de Roissy -, ainsi que dans celui réalisé, pour la première fois, sur la zone d'attente de Paris-Orly (4), l'association pointe par ailleurs, une nouvelle fois, plusieurs atteintes aux droits fondamentaux de ces étrangers, comme le non-respect du « jour franc » avant d'être refoulé, les difficultés d'accès à l'interprétariat et l'insuffisante assistance des mineurs isolés.
(1) « La roulette russe de l'asile à la frontière », voir ASH n° 2335 du 28-11-03, p. 31.
(2) Réfugiés en zone d'attente, rapport sur les dérives de l'examen de l'asile à la frontière, comment la France piétine le principe de l'accès à son territoire de personnes menacées .
(3) Bilan 2007, observations associatives dans la zone d'attente de Roissy .
(4) Visites dans la zone d'attente de l'aéroport de Paris-Orly, observations et recommandations .