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L'accès au droit commun des immigrés vieillissants appelle des mesures spécifiques

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Les immigrés vieillissants isolés accèdent peu aux services à domicile et aux maisons de retraite, confirme une enquête du Comité national des retraités et personnes âgées (CNRPA). Pour qu'ils bénéficient des aides de droit commun, il faut sans doute prendre en compte leurs particularités. Des départements ont commencé à le faire.

Dans le cadre du comité interministériel à l'intégration, la direction générale de l'action sociale (DGAS) a décidé de travailler sur la question des immigrés vieillissants. Ce vocable couvre le public « invisible et silencieux » des personnes étrangères nées à l'étranger, en situation régulière, issues de l'immigration de travail des trente glorieuses et vivant souvent isolées, soit en foyer, soit en habitat diffus mais précaire.

Au programme du bu-reau « personnes âgées » de la direction : l'élaboration, d'ici à 2009, d'un guide de bonnes pratiques à l'intention des gestionnaires d'établissements d'héberge-ment pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) et l'expérimentation de places d'EHPAD réservées, à l'occasion de la réhabilitation de trois foyers de travailleurs migrants, en région parisienne et à Marseille. Avant d'envisager d'autres actions, la DGAS a voulu savoir ce qui se passait déjà en la matière au plan local. D'où l'enquête demandée au Comité national des retraités et personnes âgées (CNRPA), sollicité pour sonder le terrain par le biais de ses comités départementaux, les Coderpa (1).

Premier indicateur intéressant : les comités départementaux allaient-ils se mobiliser sur la question ? Sur les 96 questionnaires envoyés en septembre 2007 en métropole, 68 réponses sont parvenues jusqu'en février 2008, dont 45 comportaient des informations directement exploitables, indique Chantal Bellot, secrétaire générale du CNRPA. « Les départements les plus concernés ont répondu : sept sur huit en Ile-de-France, le Rhône, les Bouches-du-Rhône, etc. Au total, les 47 % de départements couverts regroupent plus de 60 % de la population immigrée de 65 ans et plus. Les résultats peuvent donc être considérés comme significatifs. »

Parmi les 23 Coderpa qui n'ont pas envoyé de réponse détaillée, la plupart indiquent ne pas être en mesure de fournir des informations, soit du fait du faible effectif d'immigrés dans leur département, soit « parce que les immigrés sont traités selon le droit commun »... et n'ont pas fait l'objet d'une attention particulière. Enfin, deux Coderpa ont manifesté clairement leur opposition au questionnaire, dont ils ne comprennent pas la finalité, précise Chantal Bellot. En revanche, « d'autres ont fait savoir l'intérêt qu'ils avaient pris à porter attention pour la première fois à cette question, même si elle a donné lieu, dans certains cas, à des débats assez animés ».

« Au total, le taux de réponse est très satisfaisant pour un sujet qui, a priori, ne mobilise pas les foules, estime Janine Dujay-Blaret, vice-présidente du CNRPA. De nombreux Coderpa ont fait preuve de réactivité, particulièrement ceux qui ont de bonnes relations, construites au fil du temps, avec leur conseil général. »

Les réponses utiles se répartissent en trois catégories à peu près égales : celles qui émanent des Coderpa, des conseils généraux ou des deux à la fois. Les indications sont plus complètes quand les services du conseil général ont apporté leur aide. Quelques Coderpa, comme ceux des Yvelines ou de la Loire, sont allés plus loin, en prenant langue avec des services municipaux, des responsables de foyers de travailleurs migrants, d'associations spécialisées, de services à domicile, de centres locaux d'information et de coordination (CLIC). Beaucoup de comités ont aussi collecté toutes les études déjà réalisées localement.

Autant d'éléments qui confirment l'actualité de la question. Quelques chif-fres en témoignent. En 2005, dans les foyers Sonacotra (devenu Adoma) du Rhône, 31 % des résidents ont 60 ans ou plus. Le taux monte à 40 % dans les foyers de la région Centre, à plus de 50 % dans six foyers d'Argenteuil (Val-d'Oise), à 55 % dans les foyers Adoma des Alpes-Maritimes et même à 61 % dans cinq foyers de Meurtheet-Moselle. Un vrai problème pour des établissements destinés à l'origine aux travailleurs immigrés, donc à des hommes jeunes et en bonne santé.

Pas de statistiques

Ces éléments ponctuels - fournis soit par des gestionnaires de foyers, soit par des CLIC - ne doivent pas voiler la difficulté de trouver des données chiffrées pour cerner la population concernée. Seuls quatre départements, dont la Seine-Saint-Denis, en ont livré, mais après une recherche spécifique et avec des réserves sur les résultats donnés comme « approximatifs ». La catégorie « immigrés vieillissants » n'est nulle part repérée en tant que telle dans les statistiques. Plusieurs départements évoquent le risque de se voir reprocher une « logique discriminatoire » s'ils se donnaient les moyens de connaître la proportion d'immigrés parmi les usagers des services à domicile, les titulaires de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) ou les bénéficiaires de l'aide sociale. Eternel problème des statistiques « ethniques »...

On sait cependant que la plupart des personnes concernées sont des « faux célibataires », leur famille étant restée au pays, et que la grande majorité est d'origine maghrébine. La principale référence en la matière - un rapport de l'inspection générale des affaires sociales(2) - avançait prudemment une estimation de 40 000 personnes en 2002, pour une population « qui devrait culminer dans les années 2010-2020 ». A lui seul, Adoma décompte aujourd'hui près de 20 000 locataires de plus de 60 ans (36 % de ses résidents).

Aucun doute, en tout cas, sur les difficultés propres à cette catégorie. L'enquête des Coderpa pointe des problèmes d'accès au droit commun dus à l'absence de maîtrise de la langue (dans 92 % des réponses), à l'isolement (89 %), à une information déficiente (78 %), à la faiblesse des ressources économiques (77 %), aux problèmes de santé et d'accès aux soins (70 %). Même pour liquider leur retraite, les immigrés vieillissants ont des soucis spécifiques (77 %), du fait de la multitude d'emplois qu'ils ont occupés (en particulier dans le bâtiment), de la disparition des justificatifs, du manque d'information. « En outre, malgré la faiblesse de leur pension, nombre d'entre eux conservent pour priorité d'envoyer le maximum d'argent à leur famille restée au pays, aux dépens de leur confort de vie », constate Janine Dujay-Blaret.

A cela s'ajoute une fréquente inadaptation des lieux d'habitation (foyers, hôtels...). Pourtant, autre constat qui fait consensus, les étrangers vieillissants sont peu demandeurs d'une entrée en EHPAD ou de services d'aide à domicile. A cela des raisons financières, bien sûr. Mais aussi, selon certains Coderpa, des freins culturels : personnels très majoritairement féminins, sortie du cadre habituel plus ou moins communautaire... De leur côté, les services décideurs ou prestataires ont également des problèmes d'adaptation. Il arrive, par exemple, que l'APA à domicile soit refusée aux personnes qui vivent en foyer ou en résidence sociale, la chambre n'étant pas considérée comme un domicile à part entière, ce qu'elle est pourtant.

C'est bien le paradoxe : pour améliorer l'accès au droit commun, il faut parvenir à prendre en compte les spécificités indiscutables de cette population, souligne Chantal Bellot. Il en va pour cette catégorie comme pour tous les publics fragiles : on ne peut se contenter de renvoyer aux procédures habituelles sans vérifier qu'elles lui sont accessibles. Mais comment faire ?, demandent certains Coderpa.

D'autres comités avancent des pistes. Il faut d'abord améliorer l'information et la formation des professionnels, tant ceux des foyers que des EHPAD et des services à domicile, et travailler avec eux pour trouver des solutions innovantes. Il faut aussi informer les immigrés vieillissants et les accompagner dans leurs démarches en collaborant avec les associations spécialisées auprès des migrants, susceptibles d'offrir une médiation linguistique et culturelle. Avec l'aide de ces professionnels et de ces associations, il faut développer en particulier des actions de prévention et de dépistage dans le domaine de la santé. Et renforcer l'accompagnement social et médico-social lors de la modernisation des foyers. Signalons à cet égard le cas de la Meurthe-et-Moselle, qui finance depuis 2000 des postes de travailleurs sociaux dans les foyers et, plus récemment, celui d'un auxiliaire de vie dans l'un d'eux. Enfin, recommandent les Coderpa, il faut développer le travail en réseau pluridisciplinaire, ici plus particulièrement entre bailleurs et travailleurs sociaux, médicaux et paramédicaux.

Ces axes sont-ils déjà déclinés concrètement dans les schémas gérontologiques départementaux ? D'après l'enquête, ils sont neuf à avoir déjà abordé la question, soit sous une rubrique dédiée, soit dans un chapitre plus large consacré aux populations vulnérables (quelques autres se proposaient de l'introduire en 2008).

Certains départements, comme le Bas-Rhin et le Haut-Rhin, réfléchissent au moyen d'offrir un « accueil circonstancié » dans les EHPAD « ordinaires » et de faciliter l'accès aux services à domicile. Sur ce dernier point, le Rhône a passé une convention spécifique avec les résidences sociales. Au contraire, la Haute-Savoie - où l'on ne croit pas à la pertinence d'une intégration aux EHPAD « ordinaires » - et Paris se fixent des objectifs en matière de rénovation et de réorganisation de foyers pour travailleurs migrants. Il faut qu'ils puissent accueillir ou garder les résidents âgés « avec les mêmes exigences de qualité et de sécurité que dans les EHPAD », indique la Haute-Savoie. La Meurthe-et-Moselle a un projet d'installation d'une unité EHPAD au sein même d'un foyer. Dans les Hauts-de-Seine, deux EHPAD mitoyens de foyers sont en construction.

Autre piste à laquelle réfléchit la Haute-Savoie : la création de chambres d'hébergement partagées, adaptées aux allers-retours au pays d'une partie de cette population. Un système de boîte aux lettres permanente couplée à une location alternée est déjà expérimenté dans certains foyers de Gennevilliers et d'Asnières, dans les Hauts-de-Seine, mais la formule attend un cadre réglementaire (3).

Une prise de conscience

Par ailleurs, quelques départements ont mis en place des actions et des modules de formation spécifiques pour les professionnels des foyers ou des CLIC. Enfin, Paris a multiplié les initiatives pour informer les migrants âgés, avec la publication d'un guide multilingue, la création de lieux de sociabilité dans trois arrondissements et l'ouverture en 2003 d'un « café social », avec une double vocation de lutte contre l'isolement et d'aide pour l'accès aux droits (4). La DGAS s'intéresse tout particulièrement à cette dernière expérience et à son éventuel essaimage. Elle se promet également de « prendre contact avec les départements déjà riches d'initiatives ».

Pour sa part, le CNRPA compte bien resté saisi de la question. « Cette enquête nous a permis à tous une prise de conscience sur le fait que l'accès aux prestations et aides légales n'est pas facile pour tous », constate Janine Dujay-Blaret. Le comité national suggère donc aux Coderpa de se rapprocher des associations spécialisées, de s'efforcer de mieux connaître la population des immigrés vieillissants et, pourquoi pas ?, de l'intégrer à un groupe de travail sur le sujet. Il les pousse aussi à veiller à leur prise en compte dans les schémas départementaux, au suivi des actions et à leur évaluation. « Nous devons aller plus loin, beaucoup plus loin, conclut Janine Dujay-Blaret, car nous avons vocation à nous intéresser à toutes les personnes âgées. Ce pourrait être l'une des missions que se donneront les commissions régionales en cours de mise en place (5) : impulser cette préoccupation partout. »

Notes

(1) Le rapport est disponible sur www.travail.gouv.fr.

(2) Rapport sur les immigrés vieillissants , présenté en novembre 2002 par Françoise Bas-Théron et Maurice Michel - Disponible sur www.ladocumentationfrancaise.fr.

(3) En application des articles 58 et 59 de la loi DALO.

(4) Voir notre reportage dans les ASH n° 2378 du 22-10-04, p. 21.

(5) En fonction d'un décret du 26 mai 2006 qui, sur ce point, commence à être mis en oeuvre.

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