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Oser le risque du placement extérieur

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Le placement extérieur mis en oeuvre par les associations a du mal à s'imposer au sein de la palette des aménagements de peine. Pourtant, alliant accompagnement judiciaire et forte prise en charge socio-éducative autour d'un projet individualisé, il favorise la réinsertion des condamnés et la prévention de la récidive. Pour le développer, il manque une volonté politique claire et des moyens, mais aussi parfois une meilleure synergie des acteurs.

Tout le monde se souvient du film emblématique de Robert Enrico, Les grandes gueules (1965), où un groupe de détenus était placé en chantier extérieur dans une scierie des Vosges dirigée par Bourvil, sur l'idée d'un sortant de prison, Lino Ventura, et sous le contrôle direct d'un éducateur de l'administration pénitentiaire... Depuis, l'époque a changé et le placement extérieur aussi. La mesure créée en 1893 s'est ouverte en 1985 à l'intervention directe, et essentielle, des associations (1). Elle permet désormais à des détenus d'exécuter la fin de leur peine hors du milieu carcéral pour y mener une activité professionnelle, suivre une formation, mettre en oeuvre un projet de soins... Elle peut aussi être ordonnée dès le début comme alternative à l'incarcération pour les condamnés à une peine inférieure ou égale à un an. Dans les deux cas, l'objectif est de favoriser l'insertion et de prévenir la récidive.

A l'honneur lors des XIes rencontres nationales de la fédération Citoyens et justice (2), le placement extérieur mis en oeuvre par les associations recueille une large adhésion. On lui reconnaît d'installer le détenu « dans une position d'acteur de sa vie et de sa réinsertion, de mettre l'accent sur la dimension positive de la sanction et de renforcer le sens de la peine » résume Alain Izard, président de l'association Après (Amiens). Individualisée et globale, cette mesure est aussi jugée efficace et « très adaptée aux problématiques multiples des détenus en matière de santé, de toxicomanie, d'emploi, de logement, de protection sociale... » Un point de vue que conforte Jean-Olivier Viout, procureur général près la cour d'appel de Lyon, pour qui il s'agit d'une mesure « fondamentale car elle appréhende la prévention de la récidive en termes d'insertion sociale au sens plein ».

Pourtant, le placement extérieur peine à prendre son envol. En 2006, seules 1 980 mesures ont été octroyées ; 2 289 en 2007. Un chiffre en progression certes, mais à relativiser puisque « le nombre de condamnés et de mesures accordées augmentent proportionnellement », observe Ana-Maria Falconi, chargée d'études à la direction de l'administration pénitentiaire (DAP), tout en soulignant que l'on man-que de données détaillées. Quoi qu'il en soit, le recours au placement, qui peut éviter les conséquences néfastes d'une incarcération comme faciliter le retour progressif des détenus à la vie libre, reste marginal. En 2006, 111 234 peines fermes ont été prononcées, dont 91 000 de moins de un an.

A première vue, le contexte paraît favorable à l'essor du placement extérieur. La loi du 9 mars 2004 a posé pour principe que les peines de prison ont vocation à être aménagées et une circulaire du 27 juin 2007 tend à vouloir stimuler la politique pénale en matière d'aménagements de peine et d'alternatives à l'incarcération. Avec la multiplication des entrées en détention, des impératifs de régulation pourraient venir de surcroît - et non sans paradoxe - à la rescousse du placement extérieur, dont les critères devraient s'élargir avec la future loi pénitentiaire (3). « Le nombre de détenus augmente de 5 000 à 6 000 chaque année. Dans ces conditions, la mise en place d'un système d'aménagements de peine obligatoire et efficace apparaît comme un outil crucial de gestion de la population carcérale », estime Jean-François Beynel, adjoint du directeur de l'administration pénitentiaire. Mais c'est sans compter avec les freins existants. En premier lieu, le contexte dans lequel se déroulent la justice pénale et l'application des peines. « L'Etat a du mal à considérer la justice comme un pouvoir indépendant. Et, à une culture de soumission de la magistrature au XIXe siècle peut succéder aujourd'hui une frilosité devant le risque », relève Jean Danet, maître de conférences à la faculté de droit et des sciences politiques de Nantes, qui rappelle qu'une « volonté politique claire est attendue afin de sécuriser les acteurs ». De fait, dans le climat sécuritaire ambiant et face à une opinion publique remontée, le placement extérieur est vécu comme un aménagement à risque. « Après la libération conditionnelle, cette mesure est l'une des plus difficiles à prononcer pour le JAP [juge de l'application des peines], car c'est celle où il exerce le moins de contrôle », confirme Martine Lebrun, présidente de l'Asso-ciation nationale des juges de l'application des peines (ANJAP). De surcroît, le placement extérieur répond d'abord aux besoins d'un public en grande difficulté, tels les toxicomanes, perçu à fort potentiel de récidive.

Autre difficulté : la mesure doit être préparée bien en amont avec les services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP), ce que ne facilitent ni l'inflation carcérale ni la multitude des courtes peines. Une préparation pourtant essentielle car « le placement extérieur exige beaucoup d'efforts et peut se révéler pour certains plus dur que de rester derrière les murs », assure Bruno Dessane, chef de service à Espérer 95 (Pontoise). A cela s'ajoutent le manque récurrent de places d'hébergement pour accueillir les sortants de prison et « le refus de certaines associations de prendre en charge les condamnés à de lourdes peines », dénonce Martine Lebrun. Enfin, regrette-t-elle, « les conseillers d'insertion et de probation [CIP] proposent trop rarement des placements extérieurs avant incarcération ». Leur surcharge de travail peut l'expliquer, mais le déficit de dispositifs adaptés en est aussi responsable. « Dans diverses maisons d'arrêt, 20 à 30 % des détenus sont des délinquants routiers. Il faudrait inventer des réponses appropriées... », poursuit la magistrate. Si quelques associations s'y emploient, il reste que, dans certains départements, les services pénitentiaires d'insertion et de probation ne trouvent aucune structure proposant ce type d'aménagement de peine.

La possible fermeture de certains services de placement extérieur au bord du gouffre ne risque pas de stimuler le secteur. « Bien que leur mission s'apparente à une délégation de service public, les associations se trouvent confrontées à de graves problèmes en l'absence de financements suffisants et pérennes », explique Alain Izard. « A Bordeaux, l'ARESCJ [Association de réadaptation sociale et de contrôle judiciaire] a préparé 50 placements extérieurs qui ont été coordonnés par les magistrats prescripteurs ; faute d'argent, ils ne peuvent être exécutés », renchérit Thierry Lebéhot, président de Citoyens et justice. De quoi s'interroger puisque cette charge est réputée trois à quatre fois moins élevée que le coût de la détention. Et, semble-t-il, moins onéreuse que le bracelet électronique dont l'essor paraît, quant à lui, assuré.

Un cahier des charges visant à définir les prestations attendues des associations, le rôle de chaque acteur et les modalités de fonctionnement avec l'administration pénitentiaire avait pourtant été élaboré et signé fin 2006, et un barème institué. « L'application a été très satisfaisante, en particulier pour les associations ayant initié une action de placement extérieur depuis 2007. Mais là où le barème n'a pas été respecté, la situation est alarmante », résume Michel Peretti, directeur du SPIP du Val-d'Oise. Une contractualisation est donc vivement attendue.

Pour améliorer le dispositif établi par le cahier des charges - auquel Citoyens et justice a participé (4) -, et devant le constat du manque de pilotage et d'évaluation mais aussi d'échanges sur les expérimentations et bonnes pratiques, la fédération a monté avec l'ANJAP un groupe pluridisciplinaire, qui vient de réaliser un guide référentiel. Il s'agit de sortir de l'hétérogénéité des pratiques observées. Car si celle-ci peut être une richesse, elle peut aussi révéler des bricolages limites et un isolement néfaste.

Par ailleurs, sur le plan de l'évaluation, la fédération entend lancer à l'automne une recherche avec l'université de Nantes pour définir des indicateurs spécifiques.

« Apprendre à se connaître »

Restera enfin, pour stimuler la mesure, à approfondir la question des partenariats et du travail en réseau. « Ce dispositif est complexe, car il ne peut être exclusivement l'oeuvre de l'institution judiciaire. Il exige la confluence d'un certain nombre d'acteurs publics et associatifs, qui doivent apprendre à travailler ensemble », analyse Jean-Olivier Viout, qui conseille aux associations de s'inviter aux conférences d'aménagements de peines dans les cours d'appel. Pour Jean Danet, « l'analyse, le dialogue et la négociation approfondie doivent permettre d'avancer sur le binôme confiance-contrôle, la notion de responsabilité partagée, la complémentarité SPIP-associations et le principe de réseau spécifique ou non au public «justice» ». Les acteurs doivent donc apprendre à mieux se connaître et l'information doit mieux circuler. En particulier, « le JAP comme le substitut chargé de l'exécution des peines doivent être impliqués dès la phase en amont du partenariat, souligne Martine Lebrun. Quant aux conseillers d'insertion et de probation, ils n'ont pas à être cantonnés au rôle de boîte à lettres entre une association et un JAP, puisqu'ils travaillent sur la récidive, le passage à l'acte, la personne... » Le positionnement respectif des CIP dans le cadre du placement extérieur ne semble en effet pas toujours clair. « De par nos institutions, nous ne représentons pas les mêmes choses et cela change le langage, analyse Bruno Dessane. Les CIP ont une bonne connaissance du parcours des personnes par rapport à la justice et nous, qui les voyons régulièrement et à l'extérieur, davantage de leur quotidien. Nos visions sont complémentaires. »

UN PARI SUR LE LIEN, L'ENGAGEMENT, LE PROJET

« Lors d'un placement extérieur, la relation éducative se construit à partir de petits actes du quotidien que l'on va accompagner : manger ensemble, faire les courses, aller à l'ANPE... C'est ce lien entre le référent et la personne qui va servir de levier au travail, permettre d'injecter de l'humanité dans une mesure qui est contrainte et d'avancer », résume Betty Gini, responsable du service de placement extérieur et du CHRS de l'ARESCJ (Association de réadaptation sociale et de contrôle judiciaire) à Bordeaux. Pour créer ce lien, les travailleurs sociaux rencontrent la personne en détention et discutent avec elle de son parcours, évaluent ses ressources, ce qui pourrait être mis en place... « Cela autorise le détenu à se projeter et apaise la peur de l'après », assure Bruno Dessane, chef de service à Espérer 95. Ensuite, la contractualisation est travaillée. « Le placement extérieur repose sur de l'engagement. Celui de la personne, considérée comme responsable, mais aussi de chacun des acteurs », observe Betty Gini. C'est avant tout une démarche de projet. Aussi, estime Jacques Normand, directeur du SPIP du Finistère, « recourir à la pédagogie de l'envie est important ».

Une fois les cadres posés (hébergement, travail, soins, obligations et/ou interdictions judiciaires...), la personne va venir s'y frotter, voire s'y cogner. « On peut presque dire que c'est lorsqu'elle bute contre le cadre que commence le travail éducatif. C'est à partir de là que l'on va mettre du sens sur l'interdiction, les règles sociales, la peine... », explique Betty Gini. De fait, la mesure ne s'arrête pas nécessairement lorsqu'un incident se produit. L'éducateur sert aussi « à «arrondir» un peu le cadre de la justice, en fonction des capacités et des difficultés de la personne. Cela, avec les partenaires engagés », remarque Bruno Dessane. En fait, complète Betty Gini, « c'est un espace de parole qui est proposé. Dans le bureau de l'éducateur, la personne va pouvoir mettre des mots sur une histoire, un délit, des mots qu'elle ne pourrait poser dans le bureau d'un juge. On va alors chercher à voir comment tout cela s'imbrique, réfléchir sur le passage à l'acte. C'est alors que peut débuter un travail en profondeur sur la non-récidive. » Un travail qui exige cependant du temps et que la durée des placements, souvent courte, ne favorise pas toujours. D'où la nécessité d'instaurer des relais forts pour éviter les ruptures.

Notes

(1) Même s'il existe toujours une forme de placement extérieur sous la surveillance continue du personnel pénitentiaire.

(2) Organisées avec le ministère de la Justice les 12 et 13 juin dernier à Amiens, sous l'intitulé « Le placement extérieur - Un partenariat pour le développement d'un aménagement de peine efficace » - Citoyens et justice : 351, boulevard Wilson - 33073 Bordeaux cedex - Tél. 05 56 99 29 24.

(3) Voir ce numéro, p. 15.

(4) Voir ASH n° 2490 du 19-01-07, p. 38.

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