Une première pour les victimes de l'amiante. La cour d'appel de Paris a jugé, le 18 septembre, que 36 d'entre elles, parties en préretraite dans le cadre du dispositif de l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (ACAATA), avaient subi un préjudice économique du fait de la perte de revenus résultant de la cessation anticipée de leur carrière, et devaient donc être indemnisées au-delà du préjudice moral. Une décision dont se félicite l'Association nationale de défense des victimes de l'amiante (Andeva), dans un communiqué du 18 septembre.
Dans cette affaire, des salariés d'une entreprise utilisant de l'amiante ont choisi d'interrompre en 2003 leur carrière pour bénéficier du dispositif de préretraite « amiante » ouvert aux personnes âgées d'au moins 50 ans. Dès lors, ils n'ont plus perçu que 65 % de leur salaire brut. Ils ont alors saisi le conseil de prud'hommes pour que leur employeur les indemnise du préjudice économique subi, en mettant en avant l'inexécution de l'obligation de sécurité de résultat incombant à ce dernier en vertu du contrat de travail et de l'article 1147 du code civil, et ont obtenu gain de cause. La société incriminée a alors interjeté appel, au motif qu'il n'était établi pour aucun des salariés qu'ils présentaient ou avaient présenté une maladie liée à l'amiante, ni même qu'ils avaient été affectés à un poste de travail ayant entraîné une exposition habituelle ou répétée à l'inhalation d'amiante. L'entreprise reprochait également à ses anciens salariés de ne pas apporter la démonstration, individualisée, d'un éventuel manquement de sa part à son obligation de sécurité dans l'exécution du contrat de travail.
Donnant elle aussi raison aux salariés, la cour d'appel de Paris a tout d'abord considéré que l'employeur « ne pouvait [en effet] ignorer le caractère dangereux de l'amiante sous ses diverses formes et les différentes pathologies dont sont atteints les salariés exposés à l'amiante, au regard des observations épidémiologiques effectuées dès la fin du XIXe siècle et des études médicales concernant notamment le caractère cancérogène de l'amiante ». Et qu'il avait d'ailleurs été à plusieurs reprises alerté par le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail et par la caisse d'assurance maladie locale sur l'insuffisance des mesures prises au sein de ses murs.
Il y a donc bien eu, indique la juridiction, une « négligence fautive » de l'employeur « avec pour conséquence une réduction de l'espérance de vie [des salariés qui] leur a ainsi fait perdre la chance de poursuivre leur carrière à terme ». En outre, explique-t-elle, « lorsque par arrêté du 25 mars 2003 [la société visée] a été inscrite sur la liste des établissements susceptibles d'ouvrir droit à l'ACAATA, l'option offerte à chacun des demandeurs de prendre l'initiative de rompre son contrat de travail [...] était nécessairement induite et ne pouvait être librement consentie, au regard du risque réel encouru de continuer à travailler dans une entreprise dont il est établi qu'à l'époque elle n'avait pas encore tout mis en oeuvre pour faire cesser l'exposition à l'amiante ». Dès lors, la cour d'appel de Paris a considéré que les 36 salariés se sont trouvés confrontés à un « choix relatif : soit continuer de travailler jusqu'à l'âge légal de la retraite mais sous la menace statistiquement avérée de développer l'une des maladies consécutives à l'exposition à l'amiante, dont il a été souvent constaté qu'elles apparaissent avec un certain retard, et par conséquent risquer d'avoir une retraite écourtée, soit privilégier le droit de partir en préretraite à 50 ans mais au prix d'une diminution de revenus de 35 %, et donc d'un préjudice matériel important ». Il s'agit là d'un « choix par défaut, conséquence de la carence de l'employeur dans l'exécution de son obligation contractuelle de sécurité de résultat », poursuit-elle. Il convient donc, conclut la cour, d'indemniser les demandeurs, quelle que soit leur situation personnelle au sein de l'entreprise, dans la mesure où ils ont subi un « préjudice économique direct et certain, résultant de la privation d'un déroulement de carrière normal ainsi que d'une retraite d'une durée conforme à l'allongement de l'espérance de vie, et correspondant à la différence entre l'allocation versée par la caisse régionale d'assurance maladie et le salaire moyen en vigueur dans l'entreprise ».