Absence de mesure d'accompagne ment du bénéficiaire après sa reprise d'emploi et d'exigence d'engagement de la part de l'employeur, possibilité de sanction « double peine » par les Assedic, financement « injuste socialement »... Alors que Claudy Lebreton, président (PS) de l'Assemblée des départements de France et du conseil général des Côtes-d'Armor reproche « quatre écueils majeurs » au revenu de solidarité active (RSA) tel qu'il devrait être généralisé, les départements « expérimentateurs » commencent à présenter leur état des lieux.
« Les expérimentations montrent des signes positifs, même si on manque encore de recul pour être encore complètement affirmatifs », indique Christophe Fourel, directeur général de l'Agence nouvelle des solidarités actives (ANSA), qui a accompagné 22 départements sur 34 dans leur démarche. Il tire en particulier les enseignements des bilans présentés par la Mayenne et la Côte-d'Or le 23 septembre à Lyon, lors des « Ateliers nationaux de la solidarité » (1) : dans ces deux départements, le dispositif remplit, pour l'instant, son objectif d'incitation à la reprise d'emploi et d'amélioration des ressources des titulaires. A quoi s'ajoutent deux constats : « L'association des bénéficiaires s'est avérée indispensable tant pour la pertinence de l'outil et sa communication » et « le dispositif a réinterrogé le travail social dans les départements. »
Les expérimentations montrent effectivement que le RSA, pour être complet, doit articuler plusieurs dimensions : « C'est un costume trois pièces : incitation financière, accompagnement personnalisé et aides pour compenser tout ce qui empêche de reprendre un travail. S'il manque une pièce, ça ne va plus », témoigne Bernard Foucaud, directeur général adjoint du conseil général de l'Eure, dans un ouvrage consacré à l'expérimentation dans ce département (2). Au moment de l'examen au Parlement du projet de loi, le conseil général de Loire-Atlantique lance aussi cette mise en garde. Depuis dix mois, il expérimente le RSA dans trois quartiers nantais « fragiles ». Sur 2 200 bénéficiaires potentiels, 957 ont intégré le dispositif et perçoivent, en moyenne, une allocation de 157 € par mois. 40 % des bénéficiaires touchaient le RMI depuis plus de quatre ans. « Un des points forts du dispositif est le partenariat entre les institutions », explique Alain Robert, vice-président (PS) chargé de l'insertion au conseil général. Les allocataires sont en effet reçus par un binôme composé d'un conseiller emploi et d'un agent de la caisse des allocations familiales et une « cellule RSA » réunit quatre référents pour analyser les situations individuelles. Des aides à la mobilité, à la reprise d'activité et une garde d'enfant à domicile en horaires atypiques ont été mises en place. Cet accompagnement sera-t-il aussi dynamique dans le dispositif généralisé ?
Les départements déplorent par ailleurs une généralisation « précipitée », avant la fin des trois ans d'expérimentation, qui ne permet pas d'affiner les résultats et de mesurer les éventuels effets pervers du dispositif. « Les employeurs ont déjà atteint les limites du temps partiel subi, et ce n'est pas le RSA qui va aggraver les choses ! », estime Alain Robert. Un avis que ne partage pas Jean-Yves Praud, vice-président (PS) chargé de l'insertion au conseil général d'Ille-et-Vilaine. Dans l'expérimentation mise en oeuvre dans le département, explique-t-il, le bénéficiaire touche, en plus de son salaire, l'équivalent du RMI, moins 30 % du revenu de l'activité. Soit un dispositif plus favorable que celui prévu par le projet de loi, comme dans beaucoup d'autres départements. Autres aspects plus favorables : « Les bénéficiaires ont conservé leurs droits connexes. Ce qui n'est pas encore assuré dans le cadre de la généralisation, car nous pourrions voir émerger des droits à géométrie variable en fonction des revenus... » Malgré les difficultés de gestion que cela entraîne, le conseil général a enfin opté pour le calcul mensuel, et non trimestriel, de l'allocation. Bilan de l'expérimentation ? Même si des freins à la reprise d'emploi ont été levés en Ille-et-Vilaine, « toutes les interrogations n'ont pas disparu ». Le taux de bénéficiaires du RMI en activité est passé de 34,5 % en janvier 2008 à 39,8 % (+ 5 points) au mois de juin dans les zones expérimentées, alors qu'il n'a guère bougé dans les zones témoins. Environ 340 personnes bénéficient en permanence du RSA « avec beaucoup de turn-over, 65 % des emplois étant à temps partiel, avec beaucoup de CDD et d'interim », nuance Jean-Yves Praud. « Nous ne sommes pas si optimistes, qui plus est avec un dispositif plus favorable que celui prévu par le projet de loi », conclut-il. Une étude de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) diffusée le 23 septembre renforce même ces inquiétudes. Le RSA « ne peut avoir un effet incitatif à la reprise d'emploi que dans la mesure où le non-emploi des bénéficiaires de minima sociaux est volontaire », analyse l'organisme, ajoutant que le dispositif pourrait même « encourager certaines femmes à réduire leur temps de travail ».
Les départements s'inquiètent également de la compensation financière du dispositif, alors que celle du RMI n'est toujours pas réglée. Dans le cadre de l'expérimentation, l'Etat finance 50 % du surcoût, y compris de l'accompagnement, ce qui ne sera plus le cas. Beaucoup n'en souhaitent pas moins l'extension du RSA aux jeunes qui travaillent et aux bénéficiaires de l'allocation de solidarité spécifique (ASS). Une revendication que vient conforter une étude de l'ANSA (3). A partir de l'analyse de la situation d'un échantillon de bénéficiaires de l'ASS et de l'allocation d'aide au retour à l'emploi (ARE) en Ille-et-Vilaine, elle préconise de substituer le RSA à l'ASS et de faire du RSA un complément de ressources pour les allocataires de l'ARE. « La question devrait être posée lors des débats parlementaires », pronostique Christophe Fourel.
(1) Organisés par le Réseau Idéal et le conseil général du Rhône.
(2) Le RSA, une révolution sociale - Marianne Bernède - Editions Autrement - 20 € .
(3) Disponible sur