Missionné fin 2007 par le Premier ministre, le Conseil d'Etat a rendu publique, le 16 septembre, une étude sur les recours administratifs préalables obligatoires (1), à savoir l'ensemble des procédures par lesquelles une personne souhaitant contester une décision administrative qui lui est défavorable est tenue de former un recours devant l'autorité administrative préalablement à toute saisine du juge. François Fillon lui avait demandé notamment d'identifier les domaines dans lesquels l'introduction de telles procédures serait pertinente et de déterminer les conditions du succès de la démarche. La Haute Juridiction reconnaît que ce mode alternatif de résolution des litiges constitue, pour le justiciable, un « moyen simple, peu coûteux et rapide d'obtenir la réformation d'une décision avec des chances raisonnables de succès ou, à tout le moins, une meilleure explication de celle-ci » et, pour l'administration, une voie lui permettant le « réexamen effectif de ses décisions, la correction des éventuelles malfaçons et l'harmonisation de ses pratiques par une meilleure connaissance des réactions des administrés ». Et, poursuit-elle, « si elle ne saurait être universelle », la mise en place de recours administratifs préalables obligatoires apparaît « souhaitable », en particulier en matière pénitentiaire et de droit des étrangers. Quant aux procédures déjà existantes, elles devraient faire l'objet de « clarifications ou d'améliorations, notamment quant à la motivation des décisions et à l'information des demandeurs sur les voies, délais et portée des recours ».
Les décisions relatives au droit des étrangers génèrent un contentieux de masse : en 2007, on dénombrait 44 000 nouveaux recours contentieux devant les tribunaux administratifs (2), pour un taux d'annulation à peu près stable de 16 %. En outre, explique l'étude, « ce contentieux a la particularité d'être en pratique largement artificiel, en ce sens qu'alors même que la grande majorité des décisions de l'administration en matière de séjour et d'éloignement du territoire sont confirmées par le juge, leur taux d'exécution reste faible ». Certes, instaurer un recours administratif préalable obligatoire pourrait permettre de désengorger les juridictions. Toutefois, indique le Conseil d'Etat, « l'instauration d'une procédure uniforme et généralisée [...] ne semble pas pertinente ». Pourquoi ? Outre que les décisions rendues en la matière sont diverses et relèvent de différentes procédures, l'uniformisation « n'aurait, selon toute probabilité, qu'un effet limité sur le flux de recours contentieux », explique l'instance. Ajoutant que « ceci est d'autant plus vrai que, dans la pratique, un maintien prolongé sur le territoire national augmente les possibilités d'une installation durable ».
Pour les sages du Palais Royal, une procédure de recours administratif préalable obligatoire pourrait donc, dans ce cadre, être « utilement » prévue à l'encontre des décisions de refus de titres de séjour opposées aux demandes présentées par les conjoints de ressortissants français et parents d'enfants mineurs français. « Dès lors que le réexamen [du refus initial] s'appuierait sur l'avis d'une instance collégiale bien composée, la procédure est susceptible de déboucher sur la modification du sens de la décision initiale », explique la Haute Juridiction. Cependant, l'instauration de cette procédure ne pourrait se faire que sous certaines conditions. Ainsi, précise-t-elle, « seul le recours gracieux pourrait être sérieusement envisagé : compte tenu du nombre de recours potentiels (plusieurs milliers), l'échelon hiérarchique ne serait pas en mesure d'assurer le traitement de recours administratifs préalables obligatoires, faute, notamment, de moyens humains suffisants ». De plus, « le recours gracieux est a priori plus rapide et accessible à l'étranger que le recours hiérarchique, a fortiori s'il doit intervenir dans des délais brefs ». Par ailleurs, la condition de délai devrait être « relativement stricte ». La mise en place de cette procédure exigerait aussi qu'elle présente un caractère suspensif de l'exécution de l'obligation forcée de la mesure d'éloignement. Une condition qui se justifie, souligne l'instance, « tant pour l'étranger, eu égard à l'enjeu de la décision et à la nécessité de préserver son droit au recours, que pour l'administration, qui disposerait alors du temps et de la marge de manoeuvre suffisants pour réexaminer effectivement sa décision ». Par ailleurs, l'instauration d'un recours administratif préalable obligatoire pourrait aussi concerner les rejets de demandes de regroupement familial (dans le cadre d'un recours non suspensif), d'octroi de la carte « compétences et talents » ou de naturalisation (3).
Au-delà, le Conseil d'Etat préconise la refonte de la législation relative aux obligations de quitter le territoire français, qui serait « de nature à rééquilibrer le système et à changer les termes du débat ».
Pour les sages, ces différentes hypothèses - qui font apparaître la nécessité de modifier la loi du 24 juillet 2006 relative à l'immigration et à l'intégration (4) - doivent être envisagées en considération des conclusions de la commission « Mazeaud » sur le cadre constitutionnel de la nouvelle politique d'immigration présentées en juillet dernier (5).
Historiquement, l'univers carcéral est un des domaines de prédilection des « mesures d'ordre intérieur », actes non susceptibles d'être déférés au juge. L'évolution de la jurisprudence récente a toutefois considérablement élargi le champ des actes susceptibles de recours. Dans cette perspective et, compte tenu des spécificités de ce milieu et de sa forte structuration interrégionale, l'administration pénitentiaire pourrait progressivement mettre en place des recours administratifs préalables obligatoires « à compter du 1er juin 2009 ou du 1er juin 2010, en fonction de l'évolution du contentieux en la matière ». Une modalité qui s'avère d'autant plus justifiée que la jurisprudence n'est pas encore stabilisée, estiment les magistrats.
Plus précisément, l'instauration de tels recours trouve tout son sens dans le fait que le nombre de recours contentieux exercés par les détenus contre les mesures leur faisant grief est faible. Selon les statistiques de la chancellerie, en 2007, pour plusieurs milliers de décisions, environ 200 recours pour excès de pouvoir ont été formés devant les juridictions administratives, dont 86 dirigés contre des décisions disciplinaires et 31 contre des décisions de mise à l'isolement. Le taux d'annulation étant, lui, de près de 25 %. Comme les chiffres le montrent, l'accès au juge est limité pour les détenus du fait de la durée moyenne de détention (neuf mois), et des délais de jugement souvent trop longs, une annulation prononcée après la levée d'écrou n'ayant qu'une faible utilité pour l'intéressé. En outre, le recours au juge n'est en pratique pas une voie privilégiée « pour des raisons tenant à la sociologie de l'univers carcéral et, pour partie, au souci des détenus de ne pas entrer en conflit avec la direction de l'établissement dans lequel ils purgent leur peine », explique le rapport. Si le recours administratif préalable obligatoire est aujourd'hui possible en matière de sanctions disciplinaires, il pourrait être étendu aux décisions faisant grief aux détenus (décisions de déclassement d'emploi, refusant d'accorder un permis de visite, susceptibles de porter atteinte au secret des correspondances ou relatives au transfert d'un établissement pour peines à une maison d'arrêt). Par ailleurs, indique le Conseil d'Etat, cette extension « permettrait d'harmoniser les pratiques entre établissements bénéficiaires et, par suite, les conditions de détention des détenus entre les différents établissements ».
En tout état de cause, l'un des enjeux principaux est celui des délais d'instruction des recours. Aussi l'instance estime-t-elle indispensable « de moduler les délais en fonction de la nature de la décision ». Soulignant que, s'il est aujourd'hui impossible de dresser une nomenclature des délais par type de recours, « les décisions ayant des conséquences lourdes pour le détenu ou d'une durée limitée (mise à l'isolement...) devraient faire l'objet de délais de saisine et d'instruction brefs ».
(1) Bientôt disponible sur
(2) Plus de 19 000 requêtes étaient dirigées contre des refus ou des retraits de titres de séjour avec obligation de quitter le territoire, 14 000 contre des arrêtés de reconduite à la frontière et plus de 10 000 contre des décisions de refus ou de retrait de titres.
(3) S'agissant de ce dernier domaine, pour 15 000 décisions de refus par an, la sous-direction des naturalisations traite environ 10 000 recours gracieux, soit un taux de recours très élevé de 63 %.