Dépités, mais pas abattus. La trentaine de membres du Collectif des associations unies pour une nouvelle politique publique du logement des personnes sans abri et mal logées, qui devaient être reçus par le Premier ministre le 17 septembre, entendaient bien lui faire savoir tout le mal qu'ils pensent des orientations actuelles. Avec la ferme intention d'être cette fois entendus, à l'approche de l'examen au Parlement du projet de loi de « mobilisation pour le logement » et des arbitrages de la loi de finances pour 2009.
« La prise en charge des personnes à la rue et mal logées a connu un coup d'accélérateur il y a deux ans, mais, depuis, rien n'a changé. La politique mise en oeuvre est totalement illisible », explique Hervé de Ruggiero, directeur général de la FNARS (Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale). A l'appui, le bilan, calamiteux, du baromètre trimestriel de suivi des « 100 mesures prioritaires » que les associations avaient proposées en janvier dernier, et dont certaines ont été intégrées dans le « chantier national prioritaire pour 2008-2012 » annoncé par le Premier ministre dans la foulée. Seulement 9 % ont été appliquées. Pire, le projet de loi « de mobilisation pour le logement » « fait fi de ces propositions et paraît avant même la remise du deuxième rapport rédigé par le député Etienne Pinte ». Sur le volet « prévention », les associations avaient par exemple demandé un moratoire des expulsions (100 000 chaque année), la réalisation systématique d'une enquête sociale avant tout jugement et la possibilité de substituer temporairement une association au locataire défaillant. Fin de non-recevoir. Au lieu de cela, le projet de loi « joue la carte de la répression en réduisant de trois à un an le délai de suspension d'expulsion pour les locataires sans solution de relogement ».
Concernant l'hébergement, « le rapport Pinte reprend 13 de nos 16 propositions, et une seule a été réalisée : la création d'un fonds d'innovation pour l'adaptation de l'offre d'hébergement aux besoins », regrette François Soulage, président du Secours catholique. La transformation des places d'urgence en places de stabilisation a de surcroît saturé le dispositif, renforçant l'inquiétude pour la prochaine période hivernale. La simple mise à l'abri dans des lieux inadaptés, logique pourtant dénoncée depuis des années, va-t-elle encore s'imposer, faute de moyens ? Pour améliorer la fluidité des parcours, il aurait fallu créer des logements très sociaux en nombre suffisant. Sur ce point également, ce ne sont pas le chiffrage des moyens et les ambitions affichées qui manquent. « Pourtant, nous arrivons à une production de 13 000 cette année, contre 20 000 annoncés », poursuit François Soulage. Plus globalement, 100 000 logements sociaux ont été réalisés en 2007, contre un objectif de 120 000.
Alors que les associations attendaient des mesures concrètes pour développer la construction, comme le renforcement du rôle des préfets ou l'obligation de réaliser 20 % de logements sociaux dans tout projet immobilier de plus de 20 logements, le projet de loi présenté par Christine Boutin « vide la loi SRU [solidarité et renouvellement urbains] de sa substance » en intégrant les logements en accession sociale à la propriété dans le quota des 20 % imposés aux communes. « On s'attendait à des mesures concrètes, et on nous présente un projet de loi à côté de la plaque, accompagné d'un budget consacré au logement en diminution de 10 % pour 2009 ! », s'agace Christophe Robert, directeur des études et de l'animation territoriale à la Fondation Abbé-Pierre. Il dénonce également le projet de la ministre du Logement d'installer 100 bungalows en Ile-de-France pour libérer des places dans les centres d'hébergement et de réinsertion sociale : « Une démission sur le front du logement ! ».
Si la plupart des mesures proposées par les associations ont été écartées, nombre d'engagements pris par le Premier ministre sont également en jachère. Sur les 250 millions supplémentaires promis pour l'action en faveur des sans-abri et des mal-logés en 2008, seule une partie aurait été débloquée, alors que les associations avaient réclamé un milliard... Et les services déconcentrés de l'Etat n'auraient pas toujours reçu les instructions nécessaires pour mettre en oeuvre les projets. « Nommer un délégué général à la coordination de l'hébergement et à l'accès au logement, c'est bien, mais ce dernier ne peut rien s'il n'est pas soutenu par le Premier ministre », commente Hervé de Ruggiero. Dans ce contexte, les prochains arbitrages de Bercy suscitent la méfiance : « Habituellement, la loi de finances rectificative a pour effet d'augmenter les budgets. Mais il est à craindre que ce qui n'a pas été encore débloqué se retrouve dans cette rallonge et décale seulement l'utilisation des crédits dans l'année ! », pronostique Didier Cusserne, délégué général de l'Association Emmaüs.
Restent les espoirs nourris par la loi DALO, lente à se mettre en oeuvre. Selon son comité de suivi, qui doit remettre son rapport au mois d'octobre, 37 590 demandes de logement ont été déposées à fin août, 17 355 ont été examinées et 7 936 ont reçu un avis favorable. 2 072 personnes ont été effectivement relogées, soit 5,5 % des demandeurs. 2 657 demandes d'hébergement ont été enregistrées, dont 1 874 ont été examinées. 862 ont reçu un avis favorable et 202 personnes se sont vu proposer un hébergement (7,6 %).
Le manque d'information des personnes concernées et de financement des associations chargées de leur accompagnement, l'insuffisance du nombre de réunions des commissions par rapport au nombre de dossiers et les disparités territoriales constituent les principales inquiétudes des associations. « Les travailleurs sociaux se voient demander des rapports sociaux plus étoffés pour pouvoir établir un ordre de priorité, ajoute Didier Cusserne. C'est une déformation de la loi DALO ! » La demande des associations d'élargir le parc de logements mobilisables, actuellement limité au contingent préfectoral, est également restée lettre morte. A ce rythme, l'application de la loi risque d'aboutir à une impasse au 1er décembre, date à laquelle les recours contentieux pourront être engagés.