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Les griefs des associations à l'encontre d'Edvige vont bien au-delà des « ambiguïtés » désormais reconnues par le gouvernement

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Faut-il amender ou annuler Edvige ? La question se pose depuis le 9 septembre. Le matin, 12 organisations tenaient une conférence de presse devant bon nombre de micros et de caméras pour expliquer tous les motifs qui, à leurs yeux, pouvaient conduire à l'annulation du décret créant ce fichier. En fin d'après midi, Nicolas Sarkozy, inquiet du battage politico-médiatique, organisait une réunion à l'Elysée. A la sortie, Michèle Alliot-Marie, ministre de l'Intérieur qui, jusque-là, ne répondait que par l'ironie aux objections exprimées, se disait prête à rencontrer « un certain nombre de personnalités », associatives notamment, pour « lever les inquiétudes et les ambiguïtés ».

Treize recours en Conseil d'Etat

La machine médiatique avait commencé à s'emballer le week-end précédent, au moment où des hommes politiques de plus en plus nombreux, y compris au sein de la majorité présidentielle, se sont mis à poser des questions sur le fichier Edvige. Mais c'est dès le début juillet que des militants associatifs et syndicaux avaient tiré le signal d'alarme (1). Très vite, ils ont lancé une pétition en ligne (2), créé un collectif et décidé de préparer un recours au Conseil d'Etat. Celui-ci a été déposé le 29 août, au nom de 12 organisations syndicales (CFDT, CGT, FSU, Solidaires, Syndicat de la magistrature, Syndicat des avocats de France) et associatives (AIDES, Collectif contre l'homophobie, Inter LGTB, IRIS, l'Autre Cercle et Ligue des droits de l'Homme). « La mobilisation citoyenne a été très rapide entre le 14 juillet et le 5 août, alors que nous l'attendions plutôt pour la rentrée », s'étonne encore François Sauterey, l'un des premiers promoteurs du « Non à Edvige ». Le 9 septembre, il comptait 130 000 signatures sur un site quelque peu débordé les derniers jours, dont celles de 800 associations « de toutes obédiences et même sans obédience du tout » (3). A la même date, il recensait également 12 autres recours au Conseil d'Etat, trois saisines de la HALDE (Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité), 27 questions écrites de parlementaires et de nombreuses initiatives locales.

Pourquoi cette mobilisation ? Le décret du 27 juin 2008 « portant création d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé Edvige », publié au Journal officiel du 1er juillet et applicable le même jour, cumule trois finalités : d'abord la centralisation et l'analyse des informations « relatives aux personnes physiques ou morales ayant sollicité, exercé ou exerçant un mandat politique, syndical ou économique ou qui jouent un rôle institutionnel, économique, social ou religieux significatif » ; ensuite la centralisation et l'analyse des informations « relatives aux individus, groupes, organisations et personnes morales qui [...] sont susceptibles de porter atteinte à l'ordre public » ; enfin l'exécution, par les services de police, des enquêtes administratives « pour déterminer si le comportement des personnes physiques ou morales intéressées est compatible avec l'exercice des fonctions ou des missions envisagées ».

Des missions fort diverses, on le voit, qui « mélangent l'information «who's who» et les considérations relatives à l'ordre public », alors que « le principe de spécia-lisation des missions constitue une garantie fondamentale pour la protection des libertés », note le collectif. « Ce mélange des délinquants et des militants n'est pas l'effet du hasard, juge Jean-Pierre Dubois, président de la LDH. Aux yeux des promoteurs d'Edvige, tous ceux qui gênent, qui protestent, qui déposent des recours sont dangereux... »

Deuxième motif d'appréhension : le champ des données collectables pour « informer le gouvernement et les représentants de l'Etat dans les départements et collectivités » est très large et les formulations fort imprécises. Le décret - mal rédigé d'ailleurs - autorise l'enre-gistrement des « titres d'identité », des « signes physiques particuliers et objectifs », du « comportement », des « déplacements » bizarrement accouplés aux « antécédents judiciaires », des « informations fiscales ou patrimoniales » ou encore des « données relatives à l'environnement de la personne, notamment à celles entretenant ou ayant entretenu des relations directes et non fortuites avec elle ». Certes, cette collecte ne doit être faite que dans la « stricte mesure » du nécessaire et le texte précise que pour la première catégorie, celle des « militants », certaines de ces informations ne doivent être collectées « que de manière exceptionnelle ». Mais rien ne vient tracer ni les limites du nécessaire, ni l'étendue de l'exception.

Troisième motif d'indignation des associations : les mineurs de 13 à 18 ans figurent parmi les cibles du fichage, à partir du seul soupçon d'atteinte à l'ordre public, sans besoin de la moindre condamnation. « La délinquance juvénile est un vrai sujet, qui ne peut être laissé à l'analyse des seuls policiers », insiste Hélène Franco, secrétaire générale du Syndicat de la magistrature.

Pour le collectif, le fichier est également accessible à un trop grand nombre de fonctionnaires, « sans que des garanties suffisantes soient prévues et des procédures d'habilitation définies ». Le ministère assure verbalement que, « dans un premier temps », seuls 1 600 fonctionnaires y auront accès, mais le décret ne ferme en rien la porte aux 400 000 autres policiers et gendarmes, « tout agent » pouvant en connaître « sur demande expresse et sous le timbre de l'autorité hiérarchique ».

Une durée illimitée

Enfin, alors que la CNIL (Commission nationale de l'informatique et des libertés), fort embarrassée et réservée dans son avis du 16 juin, avait demandé une procédure d'apurement et de mise à jour sous contrôle, rien de tel n'est prévu.

Voilà au moins cinq motifs qui, aux yeux du collectif, vaudraient bien une annulation en Conseil d'Etat. « Contrai-rement à ce qu'affirme le gouvernement, il n'est pas vrai que le fichier Edvige ne fait que prolonger ce qui existait auparavant, au titre du décret du 14 octobre 1991. On passe de l'artisanat à l'industrie, avec des motifs de fichage beaucoup plus étendus et une durée illimitée », insiste Jean-Pierre Dubois. « Et puis, ce n'est pas parce que des fichiers illégaux existaient jusqu'à présent qu'il faut les légaliser ! », s'exclame Pascale Taelman, du Syndicat des avocats de France.

Dans le contexte d'une « multiplication des lois sécuritaires et répressives », les inquiétudes sont réelles. « Ce n'est pas seulement moi, militant, qui serai fiché - je le suis déjà - mais aussi mes parents », explique Christian Andréo, directeur des actions nationales de AIDES. « Nos amis hétéro, qui agissent avec nous par solidarité, risquent d'être catalogués comme homosexuels, s'inquiète Hussein Bourgi, président du Collectif contre l'homophobie. Pareil pour les séronégatifs, qui risquent d'être fichés comme séropositifs parce qu'ils agissent dans les associations de lutte contre le sida. C'est grave : il y a aussi des gens d'extrême droite dans la police... Et puis, dans le cadre de la lutte contre la grande délinquance et le terrorisme, les polices de différents pays ont accès à nos fichiers. Or il y a au moins 80 pays dans le monde qui répriment l'homosexualité et d'autres qui interdisent l'entrée de leur territoire aux séropositifs. » « C'est, ajoute Pascale Taelman, n'importe quel citoyen lambda qui est menacé et qui découvrira, au moment où il ira demander un agrément en préfecture pour l'un des nombreux métiers où c'est nécessaire, qu'il est fiché sur un simple soupçon policier depuis l'âge de 16 ans. » Sur ce point des mineurs (et d'eux seuls), la ministre de l'Intérieur s'est finalement dite prête à instaurer un « droit à l'oubli ».

Au-delà d'Edvige, les alarmes du collectif se portent sur la multiplication des fichiers - FNAEG pour les empreintes génétiques, FAED pour les empreintes digitales, STIC pour les infractions constatées, ELOI pour les étrangers frappés d'une mesure d'éloignement - et sur leur extension à grande vitesse, avec des millions de fiches pour chacun. Les 12 organisations ont d'ailleurs également déposé un recours contre le fichier Cristina (Centralisation du renseignement intérieur pour la sécurité du territoire et les intérêts nationaux), classé « secret défense », dont on ne connaît ni l'objet ni le contenu, mais qui a, lui aussi, été soumis à la CNIL.

Malgré la gravité du sujet, les militants du « Non à Edvige » ont décidé de garder leur humour. Après la mise en ligne d'une fiche détaillée à envoyer au ministère de l'Intérieur, en léchant le coin gauche pour laisser une trace d'ADN afin de « faciliter le travail de la police », ils prévoient de faire la fête le 16 octobre. Pour la Sainte-Edwige.

Notes

(1) Voir ASH n° 2566 du 11-07-08, p. 23 et 48.

(2) Sur www.nonaedvige.ras.eu.org.

(3) Sur les autres réactions associatives de « Pas de zéro de conduite », de l'Anpase et du GISTI, voir ASH n° 2567-2568 du 18-07-08, p. 48, de l'UNAF et de l'ANAS, voir ASH n°2569, du 22-08-08, p. 48.

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