« Contrairement à l'annonce de Nicolas Sarkozy, lorsqu'il était ministre de l'Intérieur, la fermeture du camp de Sangatte et sa destruction en décembre 2002 sont loin d'avoir «réglé le problème des exilés» en transit pour l'Angleterre. » Dans un rapport d'observation rendu public le 4 septembre (1), la Coordination française pour le droit d'asile (CFDA) (2) dresse un constat alarmant de la multiplication des campements informels et autres espaces de relégation - dénommés « jungles » par ceux mêmes qui y vivent - sur l'ensemble des régions littorales de la Manche et de la mer du Nord. La CFDA évalue entre 1 000 et 1 500, soit à peu près autant que dans le camp de Sangatte avant sa fermeture, le nombre d'exilés originaires d'Afrique (Soudan, Erythrée, Ethiopie...) et d'Asie (Iran, Afghanistan, Pakistan, Irak...) laissés à la rue, dans les bois ou dans des squats, parmi lesquels beaucoup d'hommes jeunes, mais aussi des femmes et des enfants.
Pour livrer cet état des lieux, la CFDA a organisé 12 missions dans les agglomérations de Roscoff, Saint-Malo, Cherbourg, Caen, Dieppe, Calais, Dunkerque, Norrent-Fontes (Pas-de-Calais) et Paris. Partout, constate-t-elle, le renforcement des contrôles migratoires sur le littoral et les politiques locales ont eu pour effet de disperser les exilés, rendus invisibles en marge des espaces publics, « tolérés à condition qu'on ne les voie pas », quand leurs campements ne font pas l'objet d'interventions policières musclées.
Le rapport pointe encore les effets pervers du « règlement Dublin », selon lequel le pays responsable de la demande d'asile doit être celui où la personne a été initialement repérée. Ce pays se situant le plus souvent à la périphérie de l'Union, où la procédure est plus aléatoire et les conditions de vie plus difficiles, nombre d'exilés renoncent à demander l'asile et basculent ainsi « dans une errance sans fin ». Et même pour ceux qui peuvent déposer une demande en France, l'accès à la procédure est semé d'embûches : pour Calais par exemple, la demande doit être déposée à Arras, à plus de 100 kilomètres.
Parmi toutes les agglomérations étudiées, relève la CFDA, Calais est un cas emblématique. Notamment de la violation des droits fondamentaux : « Aux exilés du Calaisis, Etat et collectivités locales limitent les prises en charge sociales que la loi en vigueur définit pourtant comme d'accès universel sans qu'il soit besoin de posséder une autorisation de séjour. » Les différentes missions d'observation « ont pu constater que les exilés n'étaient quasiment jamais abrités dans les différents dispositifs même d'urgence de la région de Calais, à l'exception de quelques demandeurs d'asile et de l'ensemble des candidats au retour volontaire ». La permanence d'accès aux soins de santé (PASS), seul dispositif (hors secteur associatif) qui leur soit vraiment accessible, est en revanche fréquentée à 95 % par des exilés. Faute d'accès aux droits, reste l'assistance caritative, quand elle n'est pas elle-même soumise à des pressions.
Autre situation préoccupante : celle de la prise en charge des mineurs isolés. « De l'avis même de Dominique Dupilet, président (PS) du conseil général du Pas-de-Calais, le dispositif local de protection de l'enfance du département est saturé et ne constitue pas une réponse adaptée aux problématiques spécifiques de ces mineurs. » L'élu dénombre, dans une lettre adressée au ministère de l'intérieur en 2007, « 1077 placements qui ont été ordonnés par le parquet de Boulogne-sur-Mer au cours des cinq premiers mois de l'année 2007 ». La question de la participation financière de l'Etat à cet accueil n'est, par ailleurs, toujours pas réglée.
A partir de tous ces constats, la CFDA formule 19 recommandations qui rappellent « les droits protégés par les conventions internationales ratifiées par la France ». Elle demande ainsi le respect du droit d'asile par la révision du « règlement Dublin », afin que ceux qui en relèvent bénéficient des mêmes conditions d'accueil que les autres demandeurs et que le choix de l'Etat « responsable » soit laissé à l'étranger. Autre requête : permettre à tous les migrants de bénéficier d'un hébergement, d'une aide alimentaire et d'un accès aux soins. Ce qui suppose une adaptation du dispositif d'hébergement, la création de PASS et de « lits halte soins santé » dans les régions concernées et un renforcement de l'action des associations. S'agissant des mineurs non accompagnés, l'organisation réclame qu'ils ne soient plus privés de liberté ou renvoyés et que le dispositif de protection des mineurs, soit par l'aide sociale à l'enfance, soit par la protection judiciaire de la jeunesse, soit renforcé.
(1) La loi des « jungles » - La situation des exilés sur le littoral de la Manche et de la mer du Nord - Rapport de mission d'observation mai-juillet 2008 - Disponible sur
(2) Elle regroupe une vingtaine d'organisations engagées dans la défense du droit d'asile, dont des associations de défense des droits des étrangers, de lutte contre l'exclusion et d'accès aux soins.