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La Sauvegarde 44 s'est réorganisée pour offrir un accompagnement sur mesure

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Depuis six ans, la Sauvegarde de l'enfance de Loire-Atlantique s'est engagée dans une vaste remise à plat de ses structures. Objectif : recentrer ses actions sur le parcours de vie des enfants en danger et non plus sur une offre de prestations. Une démarche ambitieuse qui, selon ses promoteurs, s'est trouvée confortée par la loi du 5 mars 2007 rénovant la protection de l'enfance.

Revoir ses structures de fond en comble, tel est le grand chantier dans lequel s'est lancé depuis 2002 l'association Sauvegarde de l'enfance de Loire-Atlantique (1). De sept établissements spécialisés dans une prestation (éducation en milieu ouvert, placement familial, internats pour adolescents...), elle s'est resserrée autour de cinq unités territoriales. A savoir quatre établissements cardinaux (nord, sud, est, ouest) proposant une palette de prestations variées et un cinquième dédié à l'insertion des jeunes, baptisé DIJ (dispositif insertion jeunes) (voir encadré, page 44). Chaque structure devient par ailleurs centre de ressources pour les autres en prenant en charge une thématique particulière : soutien à la parentalité, réponse aux difficultés scolaires, maltraitance et violences sexuelles, orientation et accueil d'urgence, insertion socio-professionnelle. Objectif de cette vaste opération : passer d'une organisation centrée sur les modes de prise en charge à un système construit autour du parcours de vie de l'enfant, qui favorise les passerelles d'une prestation à l'autre.

Pour le directeur général de l'association, Maurice Loizeau, il s'agissait de mieux prendre en compte les évolutions sociales. « La matrice de la protection de l'enfance s'est faite pendant les trente glorieuses, à une époque où la société était très intégratrice, rappelle-t-il. Dans ce contexte, l'action sociale était destinée à des situations assez extrêmes comme l'enfance abandonnée et maltraitée. » D'où la mise en place d'un système de protection de l'enfance substitutif aux « mauvais parents » : grands établissements à la campagne, foyers où les travailleurs sociaux reproduisent le couple éducatif, etc. « C'est la métaphore du garage : on retire les enfants pour les réparer, poursuit Maurice Loizeau. A partir de là, on a identifié de plus en plus finement tous les types de maltraitance et on a multiplié les modes de réponses très pointus. »

Mais quand la société n'intègre plus, « on se trouve en décalage, estime le respon-sable. Face à cela, trois attitudes sont possibles : continuer comme si de rien n'était, s'adapter sans modifier ses structures ou mener une réflexion structurelle sachant que c'est plus difficile à faire comprendre sur le terrain. » La Sauvegarde a choisi la troisième option. Cette approche permet à la fois d'accompagner l'enfant dans son parcours et de prendre en compte l'évolution des besoins. « Les enfants en danger sont une minorité alors que le nombre d'enfants en risque de danger augmente. Surtout leurs difficultés ne sont plus dissociables d'un contexte social de plus en plus incertain et imprévisible. »

La réorganisation des établissements de la Sauvegarde a rendu les dispositifs plus perméables. Pour Claude Pionnier, directeur de l'établissement Sud, l'accueil familial illustre bien cette évolution : « Auparavant, les enfants arrivaient dans la famille à un moment «T» et en repartaient à leur majorité comme si leur destin était tout tracé. Aujourd'hui, l'accueil familial devient une prestation parmi d'autres. » Cette plus grande souplesse permet à l'enfant de passer d'un dispositif à l'autre (accueil familial, aide éducative à domicile, action éducative en milieu ouvert [AEMO]...) en fonction de son évolution personnelle et de ses besoins. « On a cassé la notion de filière, se réjouit Claude Pionnier. D'ailleurs, les travailleurs sociaux d'internat peuvent rester référents du jeune même si celui-ci est placé dans une famille d'accueil. » Cette meilleure collaboration entre les familles d'accueil et les professionnels pourrait encore aller plus loin, estime Maurice Loizeau, qui évoque par exemple des groupes de parole de parents « co-animés par des travailleurs sociaux et des assistantes familiales ». Cette porosité entre les dispositifs a été bien comprise par l'environnement institutionnel. Ainsi, les magistrats signant une ordonnance de placement dans un établissement de la Sauvegarde laissent à l'association la possibilité de faire circuler l'enfant entre les différents dispositifs, sans qu'il y ait besoin d'une nouvelle audience (2).

Cette nouvelle organisation centrée sur l'accompagnement sur mesure de l'enfant permet aussi d'améliorer la relation avec les parents. « Une grande majorité d'entre eux adhère aux décisions et nous n'avons quasiment plus de conflits au bureau du juge des enfants », affirme Jean-Claude Payrault, responsable de l'établissement Est. « Aujourd'hui, les parents ne sont plus mis de côté. On peut travailler avec eux sur leurs défaillances », renchérit Claude Pionnier.

Cette remise à plat a aussi favorisé le développement de nouvelles formes d'accompagnement. Depuis 2004, l'asso-ciation s'est engagée dans le placement à domicile. « L'enfant nous est confié dans le cadre d'un placement mais continue à habiter chez ses parents, explique Cyril Durand, directeur général adjoint de l'association. Une telle formule est possible lorsqu'il n'y a pas de danger avéré pour l'enfant. Et en cas de dégradation, il peut être retiré à ses parents. » Dans le cadre de cette prestation, à mi-chemin entre l'AEMO et le placement en famille d'accueil ou en foyer, le suivi de l'enfant est réalisé par un travailleur social (éducateur spécialisé, technicien de l'intervention sociale et familiale, conseillère en économie sociale et familiale) qui se rend au domicile de la famille une fois par semaine, voire tous les jours si nécessaire. « La grande différence avec l'AEMO, c'est que chaque travailleur social ne gère pas une trentaine de situations mais seulement cinq ou six », ajoute Cyril Durand.

C'est aussi en 2004 que la Sauvegarde a ouvert, à titre expérimental, une maison d'accueil parents/enfants. Ce petit bâtiment, qui servait autrefois de logement de fonction, permet aux uns et aux autres de passer un moment ensemble, lorsque les familles ne disposent pas de lieu de rencontre (personne sans domicile fixe, parent divorcé vivant loin de la région, etc.). Un maître de maison est chargé d'assurer la convivialité du lieu. Autre expérimentation que l'association souhaite pérenniser : l'espace de « remobilisation professionnelle ». Ce dispositif permet à un jeune d'effectuer un stage au sein de l'espace de restauration du personnel situé dans l'un des établissements de la Sauvegarde. « L'expérimentation est entrée dans nos pratiques au quotidien, assure Jean-Claude Payrault. Cela permet de prendre en compte chaque enfant dans sa singularité et dans son environnement. »

L'association s'est également engagée dans la prévention en développant l'aide éducative à domicile (AED), une prestation qui se rapproche de l'AEMO mais n'est pas judiciarisée. Elle emploie également deux médiateurs familiaux à mi-temps pour accompagner les familles volontaires. « C'est un bon outil de prévention, remarque Cyril Durand. D'autant que les couples accompagnés ne sont pas des parents que l'on a l'habitude de voir dans le cadre de la protection de l'enfance. »

Aussi innovante soit-elle, cette évolution structurelle a eu beaucoup de mal à être acceptée au sein de la Sauvegarde. Et ce, à tous les niveaux de responsabilité. Au sein du bureau de l'association d'abord, lorsque, dès 2000, de nouvelles orientations politiques ont été définies. « Cette clarification a poussé certains membres du bureau à partir », explique Maurice Loizeau. Au niveau des directions des établissements, la transition n'a pas non plus été facile. « Pour passer de sept structures classiques à cinq établissements territoriaux, il a fallu tout remettre au pot commun et redéployer ensuite », poursuit le directeur général (3). La fonction des directeurs d'établissement a ainsi été profondément transformée puisqu'ils ne dirigent plus seulement un établissement, mais se sont vu aussi confier la mission de développer « une palette de réponses souples, diversifiées et articulées entre elles ». Pour ce faire, chacun exerce, pour le compte commun, une série de délégations transversales.

Enfin, avec une partie du personnel et ses instances représentatives, la bataille a été rude. « L'unique syndicat [aujourd'hui dissous] s'est mobilisé contre la réforme en assimilant la restructuration à un plan de licenciement, explique Maurice Loizeau. Un noyau dur du personnel était dans une opposition radicale au projet. Tout cela est désormais derrière nous, mais les blessures ne sont pas toutes refermées. » Il faut dire que les changements ont été profonds. Par exemple, pour constituer l'établissement dédié à l'insertion des jeunes (voir encadré ci-dessous), les travailleurs sociaux de différents foyers ont été regroupés, perdant ainsi leurs repères. « Dans certains foyers, on avait la même équipe de travailleurs sociaux depuis 15 ans avec un projet conçu pour une population bien précise, souligne Claude Pionnier. On leur a demandé d'aller travailler ailleurs et de changer d'équipe. Ce n'est pas rien. »

Surtout, la méthode a déconcerté. « Il a fallu déconstruire et reconstruire un système d'organisation sans arrêter l'activité », explique Maurice Loizeau. « La réforme structurelle difficile est faite. Aujourd'hui, nous sommes engagés dans une démarche participative avec l'ensemble des salariés, le climat social est bon », assure-t-il toutefois. Un point de vue nuancé par Nathalie Jean, secrétaire du comité d'entreprise. « Avant de parler de bon climat social, il faut attendre que l'ensemble de la réorganisation soit effective », souligne-t-elle, tout en reconnaissant qu'« on n'est plus dans la confrontation sociale et qu'un débat s'est instauré entre le comité d'entreprise et la direction ». Elle explique que les élus s'attachent aujourd'hui à faire des propositions « qui aient du sens pour les usagers et les salariés » - et dont certaines ont déjà été retenues - afin que la réorganisation se passe au mieux.

Au final, la loi du 5 mars 2007 rénovant la protection de l'enfance est venue mettre un peu d'huile dans les rouages. En affirmant la nécessité de diversifier les modes d'intervention, de favoriser l'implication des parents et de mieux prendre en compte les intérêts et les besoins des enfants, elle est venue conforter la Sauvegarde dans ses orientations. Elle a le mérite de « donner un cadre à des avancées largement faites sur le terrain », se réjouit Maurice Loizeau.

Désormais, l'avenir de l'association, présidée depuis un an par Philippe Launay, repose sur un « triptyque » : la consolidation de la réforme structurelle engagée en 2002, l'appropriation de la nouvelle loi sur la protection de l'enfance et la négociation d'un contrat pluri-annuel d'objectifs et de moyens avec le conseil général de Loire-Atlantique pour la période 2009-2011. Le département est engagé, en effet, depuis septembre 2007, dans de nouvelles orientations stratégiques en faveur de la protection de l'enfance : baisse progressive de l'hébergement collectif au profit de l'accueil familial, développement du placement et de l'aide à domicile, politique de soutien à la parentalité, etc. Un projet qui incite ses partenaires à faire évoluer leurs structures et leurs prestations. « Ce contexte nous donne des appuis plus solides pour développer notre projet », estime Maurice Loizeau. La Sauvegarde 44 n'a pas achevé sa métamorphose...

DES FAMILLES NOMBREUSES ET PRÉCAIRES...

La Sauvegarde de l'enfance de Loire-Atlantique a une capacité d'accueil de 488 places. Son activité se répartit entre 80 % de mesures judiciaires et 20 % de mesures administratives. L'association accueille 55 % de garçons et 45 % de filles. 52 % des enfants ont plus de 12 ans, 40 % sont d'âge primaire, 7 % ont entre 2 et 4 ans, 1 % a moins de 2 ans.

Plus de 77 % des couples parentaux sont séparés et 22 % des enfants sont confrontés à l'absence du père pour toutes sortes de raisons (père inconnu, errance, décès, prison...). 72 % des enfants accompagnés proviennent des zones urbaines. Les familles aidées sont des familles nombreuses (plus de la moitié d'entre elles ont de trois à cinq enfants et 17 % ont plus de six enfants).

La population accompagnée est marquée par une grande précarité sur le plan de l'emploi, des revenus et du logement. Dans 20 % des cas, le logement est dégradé, précaire, voire inexistant. Enfin, de nombreux parents ont connu, dans leur passé, un parcours institutionnel : 19 % des pères et 31 % des mères en ont fait état.

Le DIJ, un établissement dédié à l'insertion des jeunes

Mur en briques, matériaux de récupération, ambiance « loft-garage ». La salle d'attente du dispositif insertion jeunes (DIJ) a été pensée par et pour ses bénéficiaires (4). « Lorsque les jeunes viennent ici pour la première fois, ils savent qu'ils vont livrer un peu d'eux-mêmes, explique Eric Baudry, directeur de cet établissement de la Sauvegarde de l'enfance de Loire-Atlantique. Du coup, c'est important de travailler sur l'accueil. » Situé à Nantes, le DIJ accueille 80 jeunes de 16 à 21 ans et dispose d'une double habilitation du conseil général et de la justice (5). Un tiers d'entre eux étaient déjà suivis par l'association, un tiers par d'autres structures et un dernier tiers a été orienté par une mission locale ou une assistante sociale (du milieu scolaire, hospitalier ou du conseil général) et n'a pas connu de « parcours institutionnel ». Cette diversité d'origine s'accompagne d'une variété de problématiques : errance, conduites addictives, problèmes de santé, psychiatriques, etc.

Le DIJ réunit des services auparavant séparés. « Avant, les jeunes majeurs étaient accompagnés dans chaque établissement de l'association et mélangés avec les mineurs, explique Eric Baudry. Les regrouper au sein du même service a permis une équité de traitement, mais aussi de montrer que la majorité correspondait à un passage vers l'autonomie et pas seulement la prolongation de la minorité » (6). Les travailleurs sociaux ont donc dû faire le deuil des établissements où ils travaillaient et procéder à des ajustements mutuels. Ce qui n'a pas été sans débat. Depuis la restructuration, le DIJ possède un parc de 55 appartements et dispose d'une vingtaine de familles d'accueil. Les jeunes peuvent également être logés dans un foyer de jeunes travailleurs ou dans leur propre appartement.

L'accompagnement vise l'autonomie et l'insertion sociale et professionnelle des jeunes. Pour ce faire, l'établissement ne propose pas de prestations mais essaie « de mobiliser les énergies grâce à une relation d'aide centrée sur les ressources de l'accompagné et celles de l'environnement ». Pour cela, le DIJ fonctionne comme un service d'interface, en s'appuyant sur une série de partenaires relevant du droit commun : mission locale, foyers de jeunes travailleurs, bailleurs sociaux, organismes de formation, hôpitaux, maisons de l'emploi, etc.

En 2004, l'abandon par le conseil général de Loire-Atlantique du contrat jeune majeur au profit du contrat de soutien à l'autonomie des jeunes (CSAJ) est venu renforcer cette conception de l'accompagnement. « Bien souvent, les mesures de protection se renouvelaient et avaient tendance à enfermer les jeunes dans des trappes à inactivité », estime Fabrice Ravon, éducateur spécialisé. Ce contrat, d'une durée de six mois renouvelable, a l'avantage, selon les responsables du DIJ, de structurer le jeune autour du temps et d'objectifs socio-professionnels, même si la contrepartie négative reste la lourdeur de la gestion administrative. « Tous les six mois, il faut remplir un dossier. » Autre bémol, sa durée limitée dans le temps, même si le dispositif s'est progressivement assoupli et peut aller jusqu'à 18 ou 24 mois.

Ouvert à tous les jeunes de 16 à 25 ans du département, le CSAJ dépasse largement le cadre de la protection de l'enfance. « Ce dispositif de droit commun a le mérite de rapprocher le secteur de la protection de l'enfance et celui de l'insertion, souligne Eric Baudry. Même si seul un travail sur l'emploi ne suffit pas pour les jeunes suivis par le DIJ. » Ainsi, le CSAJ est intégré dans un projet personnalisé plus vaste, qui accompagne les jeunes vers « l'estime de soi, les soins, etc. ».

Le rapport d'activité 2006 de l'établissement - celui de 2007 ne fournit pas de telles données - montre que les conditions dans lesquelles les jeunes quittent le dispositif sont variables. Sur 66 jeunes accompagnés, tous avaient trouvé une solution de logement, 30 avaient une activité professionnelle au moment de leur départ (contrats à durée déterminée, à durée indéterminée, en alternance), 16 étaient inscrits dans un établissement d'enseignement supérieur et 18 avaient quitté le service sans activité, tandis que deux jeunes femmes allaient intégrer un établissement pour jeunes mères.

Côté perspectives, le DIJ cherche à développer des actions collectives. « Ce n'est pas simple, la démarche du dispositif est individuelle et les jeunes ne se connaissent pas entre eux, souligne Eric Baudry. Mais en 2006, une action menée sur le sida, où six jeunes du DIJ avaient conçu un quiz pour le présenter aux adolescents des internats avait bien fonctionné. » Les responsables souhaitent également améliorer les partenariats sur certains registres, comme le logement. Enfin, ils voudraient pouvoir investir la tranche d'âge des 21-25 ans.

Notes

(1) Sauvegarde de l'enfance de Loire-Atlantique : 168, route de Sainte-Luce - 44300 Nantes - Tél. 02 40 49 67 39.

(2) La mise en place d'une plate-forme d'orientation des enfants par le conseil général de Loire-Atlantique n'a pas remis en cause cette possibilité accordée aux magistrats.

(3) Cette restructuration s'est faite à moyens constants. Pour les locaux, des opérations de vente et d'achat ont été mises en oeuvre. Ces opérations immobilières seront totalement achevées en 2009.

(4) DIJ : Immeuble Sigma 2000 - 5, boulevard Vincent-Gâche - 44 200 Nantes - Tél. 02 40 08 00 65.

(5) Le DIJ accueille environ 150 jeunes par an en raison d'un turn-over naturel.

(6) Ce qui explique qu'une vingtaine d'entre eux ont moins de 18 ans, étant suffisamment prêts à l'accompagnement vers l'autonomie.

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