Lors de la présentation du plan 2008-2010 visant à lutter contre les violences faites aux femmes (1), Valérie Létard, secrétaire d'Etat chargée de la solidarité, avait assuré que celui-ci ferait l'objet de « réajustements au vu des conclusions de l'évaluation de l'impact du plan précédent » (2). Ces dernières ont récemment été rendues publiques au travers d'un document rédigé par les inspections générales de l'administration, de la police nationale, des services judiciaires et des affaires sociales (3). Les chiffres sont toujours inquiétants : selon le rapport, « de 2005 à 2007, les violences familiales subies par les femmes et enregistrées par la sécurité publique connaissent une hausse de 24 % alors que les coups et blessures tous actes confondus ne progressent que de 16,7 % » (4). Et seules 8 % des victimes déclarent ces violences.
Bien que le rapport souligne que des « progrès sensibles » ont été accomplis au niveau de l'élaboration et de l'application des lois, il déplore toutefois « le manque de structures (hébergement et accompagnement des auteurs évincés du domicile conjugal, points de rencontre pour l'exercice de leur droit de visite) et de moyens (psychologues, travailleurs sociaux) [qui] nuit à l'application des textes ». Un frein notamment à l'action du juge civil lorsqu'il entend prendre une mesure d'éviction du domicile conjugal du conjoint violent.
En outre, « l'harmonisation des politiques pénales et des pratiques des magistrats reste à parfaire ». Certes, une enquête menée auprès de 183 tribunaux de grande d'instance révèle que « 91 % des procureurs ont donné des directives pénales aux services de police et de gendarmerie [...] et que 74 % ont désigné un magistrat référent pour ces infractions et organisé des réunions de service en interne sur ce thème ». Mais l'application des textes en matière de prévention et de poursuite des violences conjugales est contestée. En effet, plusieurs associations dénoncent en premier lieu la disparité des réponses pénales qui, selon les auteurs, peut être la « conséquence de la politique pénale peu affirmée de certains procureurs dans la lutte contre les violences faites aux femmes ». Mais aussi résulter de « l'inévitable effet de la diversité des réponses pénales mises à disposition du magistrat du parquet qui les adapte à la fois à la situation qui lui est soumise et aux moyens dont il dispose ». S'agissant de la médiation pénale, les inspections ont pu constater que certains parquets n'y avaient jamais recours « non par principe mais plutôt par manque d'intervenants qualifiés et formés pour la mettre en oeuvre ».
Parmi les améliorations à envisager, reste, pour les auteurs, à « inventer un dispositif d'alerte, qui pourrait être un téléphone cellulaire et un numéro d'urgence permettant de prévenir la victime dès la sortie de détention [de l'auteur] ».
Sur la question de l'opportunité d'une loi-cadre, ils estiment que « le dispositif législatif français est suffisant et qu'[elle] ne pourra régler les quelques difficultés persistantes ». En revanche, ils proposent la « création d'une ordonnance de protection pour les femmes victimes de violences et des adaptations réglementaires sur des points délicats (articulation entre le pénal et le civil...) ».
La rationalisation des instances locales a conduit à la suppression des commissions départementales d'action contre les violences faites aux femmes, progressivement remplacées par des commissions « pivot » plus généralistes : les conseils départementaux de prévention de la délinquance, d'aide aux victimes et de lutte contre la drogue, les dérives sectaires et les violences faites aux femmes. « Placer cette politique publique sous l'égide de la prévention de la délinquance permet de mieux articuler l'action du préfet, du procureur et fait le lien avec la politique de la ville mais au détriment parfois du volet social et de l'autonomie des femmes », relève le rapport. Aussi suggère-t-il, pour pallier cet écueil, de recourir plus souvent aux protocoles départementaux de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes, qui sont des « outils très opérationnels pour organiser l'articulation de l'ensemble des politiques publiques impliquées » dans cette lutte.
Par ailleurs, même si les auteurs reconnaissent que les violences et l'accueil des victimes sont pris en compte dans les dispositifs de formation initiale ou continue des professionnels (policiers, magistrats, personnel médical...), ils préconisent toutefois de « mettre en place une formation annuelle transdisciplinaire sur les violences faites aux femmes dans chaque département ».
Si la prise en charge globale des femmes victimes de violences s'est « incontestablement professionnalisée », reconnaissent les auteurs, « des lacunes subsistent dans [leur] repérage ». Aussi suggèrent-ils, par exemple, d'engager, dans le plan de lutte contre les violences faites aux femmes 2008-2010, des « actions fortes en direction des enfants témoins potentiellement victimes », ce qui peut aussi « favoriser la révélation des faits par les femmes ». Il convient aussi, selon eux, d'y intégrer des actions concernant les violences au travail (5).
Autre sujet d'inquiétude : « l'accompagnement vers l'autonomie, par le logement et le travail, restent les parents pauvres du dispositif ». Ce, d'autant que la procédure d'identification et de labellisation des lieux d'accueil de jour n'a pas abouti, regrettent les inspections pour qui « un meilleur pilotage des travaux de réflexion autour de cette mesure aurait permis de préciser ce qui peut être attendu de ce type de structure, d'en définir les critères de fonctionnement et les moyens affectés et de ce fait, d'améliorer la démarche qualité avec les acteurs du secteur associatif ».
D'autres faiblesses sont liées à la délégation au secteur associatif des missions d'accueil et de prise en charge. En effet, le rapport pointe « une professionnalisation insuffisante de certains acteurs », en particulier celle des bénévoles. De même, ajoute-t-il, « la recherche de complémentarité, notamment entre associations généralistes d'aide aux victimes et associations spécialisées plus militantes, reste imparfaite ». En outre, la visibilité financière de ces associations fait souvent défaut, du fait de l'absence même d'outils de contrôle et de pilotage suffisants.
(2) Sur le plan 2005-2007, voir ASH n° 2383 du 26-11-04, p. 19.
(3) Evaluation du plan global 2005-2007 de lutte contre les violences faites aux femme - 10 mesures pour l'autonomie des femmes - Juillet 2008 - Disponible sur
(4) Une enquête de l'Observatoire national de la délinquance portant sur les années 2005 et 2006 montre que le nombre de femmes victimes de violences au sein du couple est estimé à 584 000, un chiffre porté à près de 700 000 si l'on tient compte des violences commises hors foyer par un ancien conjoint.
(5) Une étude sur le phénomène, qui devrait être bientôt lancée, se penchera sur l'éventualité de modifications législatives portant sur la définition du harcèlement sexuel dans le code pénal et le renforcement des peines, actuellement « peu significatives », selon le rapport (un an d'emprisonnement et 15 000 € d'amende).