Alors qu'avec 60 milliards de budgets cumulés, « les associations pèsent en France autant que l'hôpital, l'agriculture ou l'ensemble des conseils généraux », ce secteur d'activité reste largement méconnu. On ne sait même pas s'il y a deux millions d'associations (selon les déclarations de création auprès du ministère de l'Intérieur) ou 1,1 million (selon les estimations de la chercheuse Viviane Tchernonog), ce deuxième chiffre paraissant plus réaliste. C'est avec ce constat - incontesté - que s'ouvre le rapport sur les relations entre l'Etat et les associations, remis par Jean-Louis Langlais, inspecteur général de l'administration honoraire, en réponse à une commande de Roselyne Bachelot, ministre de la Vie associative (1), rendu public le 4 août.
Sa première recommandation porte donc sur la mise au point d'un outil statistique fiable, qui reposerait sur la création d'un compte satellite de l'INSEE (2), assorti d'un observatoire de la vie associative. Il ne s'agit pas de susciter une nouvelle structure, précise le rapporteur, mais de mettre en réseau les centres de ressources existants, avec mise en ligne de leurs informations, l'INJEP (Institut national de la jeunesse et de l'éducation populaire) pouvant, par exemple, constituer l'armature de cet observatoire. Sans doute serait-il alors possible de proposer une classification interne au monde très divers réuni sous le pavillon de la loi de 1901, depuis les associations qui n'agissent que dans l'intérêt de leurs membres jusqu'aux plus altruistes, depuis celles qui défrichent les terrains inexplorés jusqu'à celles qui tiennent lieu de services publics, depuis les petites structures sans salariés jusqu'aux grandes « entreprises sociales ».
Face à cette diversité, les modes de reconnaissance par la puissance publique se sont d'ailleurs développés en ordre dispersé, avec une cinquantaine de types d'agréments sectoriels, qui conditionnent la délivrance d'autorisations administratives (pour s'occuper d'enfants et de personnes fragiles par exemple) et de crédits publics. Quelques règles communes s'imposent, sur la gestion désintéressée notamment, auxquelles s'ajoutent des régimes particuliers, pour les associations cultuelles, par exemple, et pour celles qui s'occupent exclusivement de recherche ou d'assistance. Paradoxal, dans un monde de législations proliférantes : les associations « d'intérêt général » (à caractère éducatif, social, culturel, humanitaire, sportif...) n'ont besoin ni d'agrément ni d'aucune déclaration pour délivrer des reçus fiscaux à leurs donateurs, alors que cette faculté diminue les recettes de l'Etat de plus de un milliard d'euros... Pareille situation « n'aurait pas que des inconvénients si elle permettait de «coller» à la réalité », et si les avantages consentis aux associations étaient proportionnés à leur utilité sociale. « Or rien n'est moins sûr. »
Le rapporteur propose donc plusieurs niveaux de reconnaissance, correspondant à des avantages gradués, auxquels les différents ministères ne pourraient plus ajouter que des conditions d'habilitation pour leur partie technique (en particulier pour les qualifications des personnels). Les associations « simplement déclarées », d'assise locale, ne pourraient être subventionnées que par les collectivités territoriales de leur aire d'influence, aux seules conditions d'être ouvertes sans discrimination et de justifier a posteriori de l'emploi des fonds reçus. Au deuxième étage, une reconnaissance d'intérêt général formalisée, délivrée par l'administration fiscale, liée à un fonctionnement bénévole prépondérant et à des déclarations régulières, permettrait de recevoir des dons et des subventions. Une troisième catégorie nécessiterait une reconnaissance d'utilité publique d'un type nouveau, à durée limitée, celle existant actuellement étant éternelle, élitiste et dépassée. Elle serait compatible avec « un degré plus élevé de professionnalisation, donc de salariat », et pourrait fonctionner au bénéfice d'un public fermé. Au quatrième niveau, le rapporteur propose de placer les associations « très structurées, très professionnalisées, entièrement engagées dans l'accomplissement d'une mission de service public [...], que l'Etat doit pouvoir financer, mais aussi contrôler et diriger » et pour laquelle il appelle à l'invention d'une structure juridique plus adéquate qu'une association « fictive » ! L'auteur ne précise pas dans quel panier (troisième ou quatrième ?) il classe les organisations du secteur social, médico-social et sanitaire, qui gèrent un grand nombre d'établissements avec des fonds publics, mais à partir d'initiatives et de projets associatifs.
Au plan financier, le rapport appelle aussi à plus de transparence, sachant que la notion même de financement public mériterait d'être éclaircie, en y incluant les emplois aidés ou mis à disposition, les exonérations et déductions fiscales, les avantages en nature, mais en retirant la rémunération de prestations de services fournies « dans des conditions proches du marché ». Pour les subventions, l'auteur propose une procédure d'instruction unique qui, outre la simplification des démarches, permettrait de centraliser les informations et de mieux rendre public « qui est financé par qui ». Il suggère également de « décroiser les financements » entre l'Etat et les collectivités territoriales, de développer les contrats pluriannuels, de mettre au point une « stratégie de recours aux associations » dans une logique de demande plutôt que d'offre, de « commande publique » plus que de subvention. Il recommande enfin d'alléger les démarches pour les petites associations (sans salariés et avec un budget inférieur à 1 000 € ) et de renforcer l'effectivité des contrôles sur les autres, moins pour vérifier la seule régularité des comptes que pour s'intéresser au contenu et aux résultats de l'action. La Cour des comptes pourrait spécialiser une de ses chambres pour les associations faisant appel à la générosité publique ou développer les actions de contrôle des chambres régionales, avance-t-il également. Autant de propositions qui semblent hésiter entre une politique très directive et le respect d'une « réelle autonomie » des associations...
Le rapport suggère par ailleurs la création d'un comité interministériel placé auprès du Premier ministre, avec la nomination d'un « M. ou Mme Associations » clairement identifié, le passage de cinq à dix sièges du collège des associations au Conseil économique et social, enfin le remodelage du CNVA (Conseil national de la vie associative) et la tenue, tous les deux ou trois ans, d'une « rencontre au sommet » sur la vie associative, sur le modèle de (feu) la conférence de la famille.
(1) Pour un partenariat renouvelé entre l'Etat et les associations - Disponible sur
(2) Sur les premiers travaux menés dans cette direction, voir l'interview de Philippe Kaminski dans les ASH n° 2452 du 21-04-06, p. 25.