Levées, les inquiétudes qui planaient sur le RSA (revenu de solidarité active) avant que Nicolas Sarkozy n'annonce, le 27 août, les conditions de sa généralisation au 1er juin 2009 en métropole ? Loin de là. Le dispositif présenté en conseil des ministres (voir ce numéro, page 5) soulève, du côté des associations, des partenaires sociaux et des élus, des craintes qui promettent de vifs débats parlementaires à compter du 22 septembre.
Sur les modalités de financement d'abord. Certes, l'annonce, inattendue, d'une taxation de 1,1 % des revenus du capital a plutôt été bien accueillie par ceux qui craignaient que les bénéficiaires de la prime pour l'emploi n'en fassent les frais. Sur ce sujet, les voix contestataires se sont davantage élevées dans les rangs de la majorité et du patronat, qui déplorent la création d'un nouvel impôt, et des propriétaires bailleurs privés, qui redoutent des retombées négatives pour l'investissement immobilier en pleine crise du logement. Mais cette taxation « va faire jouer de façon plus importante la solidarité », a notamment déclaré Nicole Maestracci, présidente de la FNARS (Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale). Patrick Dugois, délégué général d'Emmaüs France, a aussi salué ce « changement d'état d'esprit », tout comme Pierre Saglio, président d'ATD quart monde. Pour autant, cette décision, qui résulte d'un compromis - ne pas faire payer les plus pauvres et ne pas creuser le déficit du budget de l'Etat -, suscite tout de même la méfiance. Car si cette nouvelle source de financement est susceptible de provenir en grande partie du cinquième le plus favorisé des ménages, les classes moyennes mettront également la main à la poche. Même si le Haut Commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté estime que « dire que ce sont les classes moyennes qui vont financer le RSA est un contresens ». Selon lui, « 50 % des ménages ne paieront rien, 35 % paieront moins de 20 € par an et les 15 % restants, au moins 20 € par an ». Reste que l'intégration de cette taxation dans le bouclier fiscal passe mal. L'idée de fixer un plancher à partir duquel seraient imposés les revenus du capital, pour épargner les classes moyennes et non pas les gros revenus est défendue parmi plusieurs syndicats et le parti socialiste.
D'autres questions sont suspendues à la loi de finances pour 2009. Claudy Lebreton, président (PS, Côtes-d'Armor) de l'ADF (Assemblée des départements de France), prend ainsi acte, à l'instar de Bruno Sido, secrétaire général de l'organisation (groupe de la droite, du centre et des indépendants), de l'annonce de la reconduction du Fonds de mobilisation départementale pour l'insertion (FMDI). « Alors même que le Premier ministre avait refusé d'y apporter une réponse favorable lors de la dernière conférence nationale des exécutifs, en juillet dernier », précise Claudy Lebreton. Mais ce préalable, ajoute-t-il, « ne résout néanmoins pas la question du règlement de la dette de l'Etat à l'égard des départements concernant le RMI, qui s'élève à peu près à 2 milliards d'euros ». Les départements commencent d'ailleurs à revoir leurs comptes, les bénéficiaires de l'allocation de parent isolé (API) (intégrée dans le RSA avec le RMI) tendant à augmenter : de 211 600 en 2006, ils devraient passer à 225 500 en 2008. Le conseil d'administration de la caisse nationale des allocations familiales, qui a, le 29 août, approuvé le projet de loi présenté par Martin Hirsch (17 voix pour, 3 contre, 6 abstentions), a pour sa part insisté sur la nécessité « d'accorder à la branche famille les moyens humains, financiers et logistiques pour répondre aux charges induites par la mise en oeuvre du RSA ».
Au-delà des questions financières, reste à connaître en détail les conditions, sur le fond, de la réforme. Les associations, notamment, regrettent que certaines populations parmi les plus touchées par la pauvreté - les jeunes, les détenus, les étrangers non communautaires - soient exclues du dispositif. Le RSA est-il par ailleurs à même de réduire la pauvreté ? « Il ne peut pas tenir lieu de seule politique sociale », martèle Nicole Maestracci. Dans le même esprit, Michel Dinet, président (PS) du conseil général de Meurthe-et-Moselle, vice-président de l'ADF et président de l'Observatoire national de l'action sociale décentralisée, juge également que « le RSA n'est pas en soi la réponse à la pauvreté et l'exclusion » et qu'il « requiert conjointement le développement de l'offre d'emplois ». Il est vrai que le RSA, fondé sur une logique de retour à l'emploi, ne joue pas sur l'ensemble des risques sociaux générateurs d'exclusion. Ses effets sur les personnes les plus éloignées de l'emploi sont loin d'être assurés, ce qui risque, comme l'ont souligné les associations, d'aboutir à un « écrémage des pauvres ».
Les paramètres annoncés sont-ils même suffisants pour réduire la pauvreté laborieuse et inciter au retour à l'emploi, objectif affiché du dispositif ? Dans une interview aux Echos du 28 août, François Bourguignon, président du Comité d'évaluation du RSA, indique que les résultats des expérimentations en cours, dont l'évaluation finale ne sera rendue qu'à la fin de l'année, soit après l'examen au Parlement du projet de loi, comportent une part d'incertitude : « Le taux de reprise d'emploi est plus élevé dans les zones expérimentales que dans les zones témoins, mais «l'intervalle de confiance» reste important. Nous sommes donc probablement du bon côté de la barrière mais nous ne savons pas de combien », explique-t-il. Tout en ajoutant qu'il « sera difficile d'être précis » dans l'analyse des résultats des différents taux de cumul. En outre, le gel de la prime pour l'emploi n'aura-t-il pas pour effet de diminuer l'incitation au passage à une activité à temps plein ? L'accompagnement social des bénéficiaires, qui a fait l'objet d'une forte mobilisation dans les départements expérimentateurs, reste également à préciser dans le projet de loi. Ainsi, l'Unccas (Union nationale des centres communaux d'action sociale) « restera vigilante sur la place qui sera accordée aux CCAS-CIAS dans l'accom-pagnement des bénéficiaires, aux côtés des conseils généraux ». Plus sévère, l'Usgeres (Union de syndicats et groupements d'employeurs représentatifs dans l'économie sociale) estime même que « le manque de moyens affectés [au RSA], tant sur le plan financier que sur celui de l'accompagnement social et professionnel, risque de limiter l'impact de la mesure ».
Autre problème soulevé par les syndicats, notamment la CGT, comme par plusieurs analystes : le risque que la mesure n'incite les employeurs à multiplier les emplois précaires, à bas salaire. « L'impact global sur l'offre de travail de cette nouvelle forme de subvention au temps partiel que constitue le RSA - et que ne manqueront pas d'utiliser les employeurs en proposant davantage d'emplois à temps partiel - serait alors négatif », écrit dans Libération du 2 septembre l'économiste Thomas Piketty, pour qui le RSA n'est que du « bricolage sur le fond ». Interrogation que n'a pas éludée le gouvernement : Laurent Wauquiez, secrétaire d'Etat à l'emploi, a suggéré la mise en place d'une évaluation de cet aspect au bout d'un an de généralisation du RSA.
Les associations de lutte contre la pauvreté et les organisations de chômeurs ne manquent pas non plus de soulever le danger que constitue l'application aux bénéficiaires du RSA des dispositions sur les « droits et devoirs des demandeurs d'emploi ». Concrètement, un bénéficiaire pourrait se voir sanctionner au bout de deux « offres valables d'emploi » refusées, ce qui accroît les craintes d'une pénalisation des bénéficiaires les plus éloignés de l'emploi et la pression faite aux allocataires pour accepter un travail, même le plus précaire, sans perspective de formation ou de qualification. Pour AC ! Ile-de-France, la tendance est claire, on s'oriente vers « la contrainte, le chantage à la misère brute ». En n'excluant pas que des amendements puissent être portés par les départements en la matière, Jean-Michel Rapinat, chef du service « société » à l'ADF, souligne pour sa part qu'« il faut absolument construire quelque chose de réciproquement acceptable pour les employeurs et les usagers ».
Les départements devront en outre changer leurs méthodes d'intervention auprès des actuels bénéficiaires de l'API, la contractualisation devenant de fait, pour ce public, une condition d'entrée dans le RSA. L'Union nationale des associations familiales, qui demande un observatoire pour détecter tous les effets pervers du dispositif, tient en particulier à ce que la situation des familles monoparentales, notamment leurs contraintes de garde d'enfant, soit prise en compte par des aides effectives. La Confédération syndicale des familles et la Fédération syndicale des familles monoparentales, de leur côté, vont plus loin en identifiant d'ores et déjà une vraie dérive : avec l'intégration de l'API dans le dispositif du RSA, « ses bénéficiaires se voient soumis à une contrepartie, inexistante jusque-là ». Elles redoutent que certains titulaires actuels de l'API - prestation familiale légitimée par l'isolement d'un parent ayant des enfants à charge - en soient de fait exclus. Défendant l'idée que l'API « dépasse le rôle économique qu'on lui attribue généralement », elles refusent catégoriquement l'intégration de cette prestation dans le RSA. Reste que ce point est l'un des rares à avoir été définitivement tranché.