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La « Villa Médicis » ouvre ses portes sans conditions aux sans-abri

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L'association CASA, née à Avignon d'un mouvement de personnes à la rue, gère aujourd'hui un CHRS de stabilisation, la « Villa Médicis ». Accueil inconditionnel, tolérance des pratiques addictives, modes d'autogestion... sont expérimentés dans cette structure partie d'un squat. Un laboratoire du social et de la citoyenneté où étonnement et risque servent d'outils.

Avignon, son palais des Papes, sa cité médiévale, son festival, ses lumières, son faste... Le décor est saisissant, son envers aussi. A peine franchis les remparts, c'est une tout autre réalité qui s'exprime. C'est là que, trait d'union entre deux mondes, s'étale la « Villa Médicis » (1). Un clin d'oeil audacieux à l'Académie de France à Rome puisqu'il s'agit du centre d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) de l'association CASA, tout en modules préfabriqués. Mais ici l'audace est reine. Pour preuve, ce centre accueille sans conditions, quels que soient leur état et leur situation, hommes, femmes, couples, avec leurs animaux de compagnie, leurs pratiques addictives... « On maintient la porte la plus ouverte possible. On reçoit ainsi des personnes que notre formule attire mais aussi que les autres structures refusent. Certaines sont dans des situations extrêmes, ont de lourds problèmes de santé, des troubles psychiques », explique Renaud Dramais, directeur du CHRS.

Pour garantir cette inconditionnalité, la décision d'accueil revient à une commission d'orientation formée d'associations (SAO/115, Aides, AVAPT, CASA), qui attribue, selon l'urgence, la place disponible. L'équipe n'effectue aucun entretien d'admission ni n'émet d'avis. La personne arrive donc en terrain neutre. Une fois les premières informations données, « l'équipe essaie d'inaugurer une relation différente du rapport traditionnel usager-professionnel. Nous laissons la personne débarquer et se fabriquer une racine sur le lieu. L'arrivée à la Villa demande un temps d'adaptation, que nous tentons d'accompagner afin d'éviter un mal-être et des retours à la rue », précise Renaud Dramais. Beaucoup n'ont pas été en hébergement depuis des années. « Les gens arrivent avec leurs attitudes de la rue. On sait qu'il y a un passage à vivre, on n'en connaît pas toujours l'issue, mais on laisse du temps au temps, on fait des paris tout «en relationnant» », détaille Chantal Sauvaire, monitrice-éducatrice. Cette phase d'intégration incombe aussi au groupe - aujourd'hui, vingt personnes -, la notion de vie communautaire étant une pierre angulaire du CHRS.

Les principes défendus à la Villa Médicis sont en fait ancrés dans son histoire. Au début des années 2000, le système d'aide aux sans-abri a été mis à mal à la suite de la disparition d'une grosse structure multiservices. A la même époque, un squat avait été ouvert par un certain Collectif d'action des sans-abri ou association CASA, créé à l'initiative de gens de la rue. Le lieu, qui expérimentait accueil inconditionnel et autogestion, a de fait été toléré une année durant. Les autorités et l'association ont ensuite réussi à négocier : départ en douceur contre dialogue sur un projet s'inspirant de l'expérimentation. Fin 2003, l'association ouvrait sa structure, qui devenait un CHRS en 2007. Un passage qui a suscité maints débats en interne comme avec la direction départementale des affaires sanitaires et sociales (DDASS) du Vaucluse - financeur, avec la ville d'Avignon -, car vives étaient les craintes de devoir renoncer à certains principes. « Tout a été validé. Ce statut peut englober beaucoup de choses, il s'agit juste de repousser les limites des cadres », assure Renaud Dramais, qui rappelle la dimension de « stabilisation » du CHRS. « L'insertion n'est pas notre priorité. L'accompagnement social n'est pas une obligation, il se fait à la demande. » Pas de référent ici, les liens se tissent dans le « vivre ensemble ». « On gère le quotidien, les problèmes, remarque Chantal Sauvaire. A la Villa Médicis, on sort un peu du «carcan» du travail social classique. Il faut savoir improviser et on peut exprimer ses émotions. » Si un contrat de séjour est établi, les objectifs fixés ne le conditionnent pas. Pas d'obligation de résultats donc, et tout reste discutable. Quant à la durée de l'accueil - illimitée -, elle supprime la pression et crée une autre relation au lieu. Enfin, les membres de l'équipe ne travaillent jamais en double afin d'alléger le poids institutionnel et d'accorder la primauté au groupe. Parmi eux, des travailleurs sociaux diplômés et des « travail-leurs pairs » dont le vécu, proche de celui des habitants, est ainsi valorisé. Une mixité qui tient, elle aussi, ses racines des débuts de l'association, ses inventeurs ayant très tôt accepté de s'ouvrir à des professionnels du social, lesquels se sont intéressés à ce laboratoire en ébullition. De tels choix impliquent cependant de constituer un solide réseau de partenaires.

Vivace, la dimension d'autogestion se veut dynamique. Les modes d'organisation sont sans cesse revisités, renégociés. « Cela évolue en permanence avec le groupe. Pas toujours d'ailleurs dans le sens d'un progrès. Il y a des régressions, surtout en cas de fort turn-over », commente Renaud Dramais. Le fait que les habitants fixent leurs propres limites et contraintes favorise l'émergence de règles adaptées et acceptées. Chaque semaine, une réunion de maison, dont l'ordre du jour est établi en amont par les habitants, permet de réguler la vie collective. Chacun peut dire ce qu'il a sur le coeur, des solutions sont imaginées ensemble, certaines règles intangibles réexpliquées. « Parfois les réunions sont très terre à terre ; parfois elles vont très loin », remarque le directeur. Tout le monde ne parvient pas à se saisir de la richesse de l'auto-organisation. « C'est tout un processus. Mais quand les gens ont compris que c'était un espace de liberté, on les voit se développer. Ils montrent alors des connaissances, des qualités, une chaleur insoupçonnées », assure Chantal Sauvaire. Le partage de la permanence entre salariés et habitants appartient aux conquêtes de l'autoorganisation. Il permet désormais d'ouvrir le lieu 24 heures sur 24. Avant, il était fermé de 11 heures à 16 heures ce qui obligeait les habitants à sortir. A la suite d'une longue réflexion, un protocole a été établi, et permet à certains habitants d'assumer la responsabilité de cette plage horaire. La personne motivée doit se faire connaître en réunion de maison. Après examen de sa candidature par l'équipe, puis entretien avec le directeur sur les enjeux, la réglementation, la sécurité, le volontaire doit adhérer à l'association. « Il intervient ainsi en tant que bénévole de CASA et non en tant qu'usager du lieu. C'est important sur le plan du droit mais aussi de la posture. L'habitant se sent ainsi vraiment investi d'une responsabilité. Et c'en est une réelle... », observe Renaud Dramais.

Réenclencher le désir

Inhabituelle, l'approche par l'autogestion permet de susciter de l'étonnement. C'est là un ressort de la relation. « Les gens entendent parler du lieu, notamment par les résidents gardant le contact avec la rue, et déjà là cela fait tilt. Ils ont vécu échec sur échec, ont cessé de fréquenter les travailleurs sociaux et de croire qu'on pouvait les accompagner. L'étonnement réveille un désir, une volonté de déclencher des choses... », observe le directeur. Que l'équipe ose, comme avec la permanence, prendre des risques pour eux en fait partie. « Des partenaires m'opposent la responsabilité juridique du directeur. Certes, c'est important, mais en s'abritant derrière ces conceptions, on s'interdit aussi d'explorer des pratiques et d'autres modes de relations. Or des choses essentielles se jouent via cette notion de risque. Et cela se fait sans confusion des rôles », poursuit-il. La prise de risque est d'ailleurs partagée, les résidents se mettant eux-mêmes en situation d'échec potentiel.

Autre illustration : la question des addictions. Les tolérer sur le lieu prouve aussi que l'équipe admet une part du risque lié aux conduites des habitants. « Nous ne les cautionnons pas, mais nous acceptons la logique de la personne », résume Renaud Dramais. Autrement dit, ici, la loi reste la loi, mais les pratiques addictives ne sont pas motifs à exclusion tant qu'il n'y a pas trafic, exercice collectif, incitation à la consommation, laquelle n'est autorisée que dans les chambres et à huis clos. Une attitude fondée sur la tolérance mais aussi sur l'efficacité, car comment accompagner la dépendance, orienter les personnes vers la réduction des risques ou le soin, si elles doivent se cacher, ne pas parler librement de leurs pratiques, de leur ressenti ? L'équipe ne s'interdit pas d'ailleurs une intervention ferme si elle sent quelqu'un en danger vital. Les états seconds doivent en outre rester maîtrisés afin de demeurer compatibles avec la vie de groupe. « La plupart ont bien compris que si ça leur échappe trop, ils risquent de perdre leur place et de ne pas en retrou-ver ailleurs », assure Renaud Dramais. Admettre les pratiques addictives signifie aussi parfois se préparer à accompagner les personnes jusqu'à la mort. L'équipe a ainsi accepté de gérer le décès inéluctable d'un homme alcoolo-dépendant survenu après presque trois ans de présence.

La sortie du dispositif arrive souvent au bout d'environ un an de séjour. « L'important est que les gens soient à nouveau en capacité de penser les choses pour eux-mêmes. C'est un critère de réussite, même si ça ne se traduit pas par un accès au logement, au travail... », résume le directeur. Les retours sont en outre possibles. « On peut reconsidérer la situation, y compris après une interruption de séjour. On estime qu'une période a pris fin et qu'une autre débute. Souvent alors la personne revient avec un réel projet », reprend Chantal Sauvaire. La question des habitats alternatifs est aussi creusée avec les résidents, la formule d'accès au logement traditionnel étant rarement adaptée. Plusieurs projets sont en réflexion, dont l'un avec une association de personnes souffrant de maladie rare autour d'un habitat intégrant de l'entraide. L'association échange aussi beaucoup avec des structures d'autres villes développant des projets novateurs ou au sein de groupes spécialisés et autres instances de réflexion. Une démarche qui fait partie d'une dynamique plus vaste, « L'Espèce d'espace ». Celle-ci vise à renforcer la capacité des personnes à reprendre du pouvoir sur elles et à s'exprimer. Par divers ateliers artistiques, des actions culturelles, il s'agit de promouvoir une réhabilitation des personnes en grande difficulté psychique et sociale et leur maintien dans la société. Lieu d'initiative et d'expérimentation, d'échanges entre le social, l'art, la culture et le politique, « L'Espèce d'espace » organise notamment l'accueil d'artistes en résidence à la Villa Médicis ou des événements à dimension festive et/ou citoyenne. « On y vient toujours en tant que personne et non qu'usager du social », affirme Janine Mathieu, artiste plasticienne qui l'anime. Un groupe d'entraide mutuelle est en train de voir le jour.

« L'Espèce d'espace » sert également d'interface entre la rue, où une équipe de médiation effectue une maraude quotidienne, et la Villa Médicis. En particulier, cette équipe va au-devant des publics qui échappent à tous les dispositifs et ne demandent rien. « Créer une relation prend du temps. C'est à force de voir notre constance sur le terrain que, peu à peu, ils se mettent à formuler une petite demande pour voir si nous tenons la route. Il faut alors être efficace si l'on veut donner sa chance à la confiance », témoigne Valérie Macia, éducatrice spécialisée. Pen-dant six mois, une infirmière de l'équipe mobile de santé mentale de Médecins du Monde-Marseille accompagne la maraude dans le cadre d'un échange de pratiques. La médiation de rue a d'abord pour essence le devoir de non-abandon. « Il s'agit de ne jamais lâcher l'affaire, envers et contre tout, de percer la carapace des personnes et de les mener éventuellement, par la relation, vers des débuts de parcours sur le plan de la santé ou de l'hébergement », détaille le directeur. La présence d'un aide-soignant à cheval sur la Villa et la médiation de rue favorise l'accroche aux soins et leur continuité. Autre passerelle : la « maraude sandwiches », que les habitants mènent le dimanche auprès de ceux dont ils ont pu partager la situation à un moment donné. « C'est une action autogérée. S'ils lâchent cette distribution, elle s'arrête », rappelle Renaud Dramais. Enfin, grâce à la halte de nuit expérimentée à Avignon cet hiver, la médiation de rue a pu renforcer ses liens avec certains sans-abri et des ponts se sont créés avec la Villa. Depuis, l'association oeuvre à la création d'un lieu permanent d'accueil inconditionnel à très bas seuil, intermédiaire entre la rue et les lieux de stabilisation, comme l'a préconisé le comité de pilotage de l'opération. Une reconnaissance du savoir-faire du Collectif d'action des sans-abri, dont se réjouit Pascal Fauvel, son président. Restera cependant, pour lui, à démontrer que « ce qui se passe ici a un intérêt pour tout le monde et au-delà du social. L'enjeu pour l'avenir réside dans la connexion avec la ville. Comment faire pour qu'on considère que les SDF y habitent, en sont des citoyens et ont des choses à lui apporter ? Les SDF se sentent exclus du débat, pas de la ville. »

Notes

(1) Villa Médicis : 5 bis, avenue du Blanchissage - 84000 Avignon - Tél. 04 90 82 33 32.

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