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Groupie, un pont entre l'entreprise et les acteurs de l'insertion

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Face à la coupure entre l'économique et le social, l'idée de passer par dessus les lourdeurs institutionnelles en mettant en réseau les intervenants les plus motivés est à l'origine de la création de l'association Groupie. Depuis 2007, acteurs économiques et acteurs sociaux s'y côtoient sans tabou ni barrière pour l'accès à l'emploi des publics en difficulté.

S'il fallait dresser la liste des principales difficultés sur lesquelles butent les acteurs de l'insertion professionnelle, Thierry du Bouëtiez, directeur général adjoint chargé de la solidarité et de l'emploi au conseil général de Seine-et-Marne et président de Groupie, placerait au même rang le fossé entre le monde économique et celui de l'insertion, le cloisonnement des structures et des institutions ainsi que les multiples dispositifs qui s'accumulent en toute inefficacité faute d'être relayés par les acteurs de terrain. En revanche, « dans tous les territoires où j'ai travaillé, j'ai vu des gens qui faisaient des choses remarquables sans que ce soit connu, relate Thierry du Bouëtiez, à tel point que d'autres s'évertuaient à réinventer ce qui avait déjà été créé quelques kilomètres à côté ». D'où l'idée de cet ancien collaborateur de Bertrand Schwartz (1) de mettre en réseau, à titre individuel et non au titre de leur institution, tous ces acteurs, qu'ils soient issus de l'entreprise, de l'insertion, de l'administration ou des services publics de l'emploi, afin de « casser les barrières » et d'apporter un peu de fluidité dans le système. « En octobre 2005, à la fin d'une journée sur l'insertion économique organisée avec le conseil général et la direction départementale du travail de Seine-et-Marne, j'ai proposé à une vingtaine de personnes qui semblaient particulièrement motivées de se constituer en groupe. Chacun a rempli une fiche de compétences et le réseau est parti comme ça », raconte Thierry du Bouëtiez. Peu de temps après, les demandes d'adhésion débordaient le périmètre de la Seineet-Marne. En février 2007, l'association nationale Groupie (2) - contraction de Groupement des innovateurs pour l'emploi - était fondée avec un triple objet : la diffusion des innovations, la facilitation des partenariats entre les acteurs de l'insertion et de l'emploi et le développement de réseaux locaux.

La nature de Groupie est à l'image de cette genèse : informelle, mais efficace. Début 2008, soit un an après sa création, celui-ci s'appuyait déjà sur plus de 200 membres, avec une part sans cesse grandissante des non-Seine-et-Marnais puisque la moitié des adhérents provenaient d'une trentaine de départements. Au point que deux nouveaux groupes locaux ont été créés dans l'Oise et à Reims et que des projets existent dans d'autres départements (Meuse, Val-d'Oise). « Cela sans prospection et par le seul effet du bouche à l'oreille », se félicite Thierry du Bouëtiez. Le réseau dessine une géographie de l'insertion qu'aucun dispositif ne saurait recouvrir. « Toutes les têtes de pont de l'emploi, directeur de l'ANPE, directeur du travail, directeur de l'AFPA, sont par exemple présents à titre personnel », explique le président de Groupie. Le réseau compte aussi des représentants du secteur de l'insertion, de l'aide à l'emploi ou de la formation professionnelle, des responsables de chambres syndicales, des employeurs, voire encore des cadres travaillant sur des projets d'entreprises insérantes. « Cette diversité des origines et des statuts permet un brassage d'idées entre des personnes qui ont rarement l'occasion de se rencontrer, qui ne parlent pas forcément le même langage, mais qui, grâce à Groupie, apprennent à se connaître et cherchent ensuite à agir ensemble. »

Un « carnet d'adresses »

Pour les y aider, l'association diffuse au fil de l'eau des informations pratiques et des expériences innovantes par mail, newsletter ou via un extranet dédié (3). Tous les deux mois, des réunions permettent de présenter les nouveaux membres et de commenter les expériences d'accès à l'emploi ou d'intégration dans l'entreprise initiées par les partenaires. « Comme dans tout réseau relationnel, les adhérents agissent selon leurs centres d'intérêts ou leurs priorités du moment, observe Séverine Fortrat, animatrice du réseau, seule professionnelle salariée recrutée dans le cadre d'un emploi tremplin. Pour les opérateurs, Groupie peut être un carnet d'adresses, sachant que les adhérents s'engagent à répondre aux demandes de contacts émanant du réseau. Par exemple, un employeur qui veut créer une entreprise d'insertion va chercher les cinq ou six contacts qui lui sont utiles en s'évitant ainsi de longs mois de tâtonnements. De la même manière, la présentation régulière d'expériences va constituer une sorte de boîte à outils qui leur permettra de gagner un temps fou. » Mais le réseau aura aussi réussi à toucher de nouvelles catégories d'employeurs. « Jusqu'à maintenant, l'engagement du monde économique dans l'insertion était plutôt le fait de grands groupes, qui décrétaient d'en haut des politiques sans réellement mesurer l'implication territoriale de chacun de leurs établissements, explique Adel Nedja, délégué général du Medef de Seine-et-Marne, trésorier de Groupie, et adhérent de la première heure. Avec Groupie, nous touchons en premier lieu des petites entreprises locales ou des filiales de groupes. Certains de leurs représentants sont animés par une volonté de découvrir le monde de l'insertion, simplement parce qu'ils croient pouvoir être utiles. D'autres sont intéressés plus immédiatement par le public de l'insertion, et il leur faut donc se rapprocher des structures qui s'en occupent pour en faire des relais dans leur recherche de salariés. Dans tous les cas, ce phénomène est positif. » Parmi les principaux acteurs du réseau, on trouve nombre de partenaires économi-ques porteurs de métiers réputés sous tension : chambres de l'agriculture, des métiers et de l'artisanat, syndicat et fédération du bâtiment et des travaux publics, président de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises, voire encore des cadres d'Eurodisney, un des principaux pourvoyeurs d'emplois de Seine-et-Marne. Le fait pour eux de pouvoir s'exprimer hors de toute appartenance institutionnelle avec des acteurs de l'insertion permet de dissiper bien des malentendus, estime encore Adel Nedja. « Beaucoup d'entreprises restent en effet très sceptiques sur l'efficacité des structures d'insertion en revendiquant le fait qu'elles s'adressent elles aussi à ce type de public dans leur recrutement. Parallèlement, le monde de l'insertion s'est développé en faisant appel à des acteurs issus du monde associatif sans réelle connaissance de l'entreprise et de ses contraintes, en dépit de leur volonté de s'en rapprocher. Aujourd'hui, c'est donc moins une question idéologique que culturelle. »

Même son de cloche du côté des structures d'insertion et des travailleurs sociaux, nombreux dans le réseau. Educateur spécialisé à Reims, Jean-Louis Rumério coordonne l'implantation de Groupie Marne, l'un des quatre réseaux départementaux en cours de création : « Sur le terrain, les clivages sont toujours très perceptibles et c'est tout l'enjeu d'un réseau informel que de modifier la donne au niveau local. » Intervenant sur le quartier reimois de la Croix-Rouge - « 13e quartier de France avec 23 000 habitants, dont un tiers sous le seuil de pauvreté » -, ce travailleur social note la « défiance » des jeunes vis-à-vis des institutions de l'emploi et de l'insertion, et, en même temps, la « réticence » des entreprises à faire un pas dans leur direction en dépit de besoins de recrutement avérés. « Le seul moyen pour sortir de l'impasse, c'est que tous les acteurs apprennent à se connaître. A partir de là, nous pourrons commencer à échafauder ensemble des types d'accompagnement pour ces publics afin de réduire leurs difficultés sociales et qu'ils n'aient plus qu'à se consacrer à leur emploi. Tout le monde est gagnant dans cette logique », assure Jean-Louis Rumério, qui prépare déjà des rencontres sur le quartier de la Croix-Rouge avec quelques grandes entreprises marnaises.

La volonté de diffuser les bonnes pratiques de l'insertion a parallèlement conduit un groupe de travail de Groupie à élaborer à l'attention des employeurs un « plan d'intégration du salarié ». Fondé sur le constat que beaucoup de personnes issues de l'insertion abandonnent leur emploi faute d'un accompagnement suffisant, il consiste en une série de « fiches de suivi » retraçant toutes les étapes de l'intégration d'un salarié en insertion dans une entreprise, de la présentation du poste jusqu'au soutien qui va s'installer avec le tuteur désigné et le conseiller à l'emploi. Déjà appliqué dans quelques sites, en particulier à Eurodisney dans le cadre d'une plate-forme d'insertion développée avec le conseil général de Seine-et-Marne, cet outil va être testé auprès d'autres entreprises du département et au-delà en fonction des partenaires mobilisables. Sur cette lancée, le remuant réseau a proposé lors de l'ouverture du « Grenelle de l'insertion », en novembre dernier, l'idée d'un « label qualité insertion ». « En fait, un coup de sonde destiné à voir comment les entreprises sont prêtes à réagir », confie Thierry du Bouëtiez, conscient que, s'il est nécessaire « d'évaluer un minimum » ce qu'est une entreprise insérante, « il est en revanche très difficile de vouloir fixer des critères exacts ». Le respect de quelques modalités simples pourrait néanmoins faire consensus, estime-t-il, notamment la concertation préalable de l'employeur avec les instances locales de l'insertion, son soutien à la préparation du candidat (transport, garde d'enfant), la mise en place d'une politique interne passant par la formation de tuteurs ou le partenariat avec les entreprises d'insertion. Si le « label qualité insertion » ne figure pas en tant que tel dans les conclusions du « Grenelle de l'insertion », « l'idée intéresse Martin Hirsch, qui a plusieurs fois indiqué qu'il faudra mesurer l'effort d'insertion des entreprises », explique Thierry du Bouëtiez. Groupie a donc l'intention de tester ce label auprès d'une centaine d'entre elles.

« Une sorte de filtre à compétences »

Avec son extension au-delà du berceau originel de Seine-et-Marne, Groupie aborde désormais une seconde étape, celle du maintien de la fluidité des échanges. Aujourd'hui encore, les demandes de contacts qui circulent à l'intérieur du réseau s'effectuent sur la base des fiches de compétences remplies par les adhérents lors de leur inscription. Distribuées à chacun, elles facilitent le repérage des acteurs et servent de « carnet d'adresses ». Si le système est parfait à petite échelle, ses limites apparaissent aussitôt dans un environnement plus large. « C'est pourquoi il nous faut approfondir la connaissance que nous avons de chaque adhérent, l'interviewer, savoir exactement ce qu'il peut amener au réseau », explique Séverine Fortrat. Avec l'aide bénévole d'un informaticien, créateur lui-même d'une entreprise d'insertion, l'association a refondu son site. « L'idée est de parvenir à une sorte de filtre à compétences, établi en fonction des savoir-faire des gens, de leurs projets, de leur profession de base, ce qui élargira encore les possibilités d'échanges. » Un système plus fin qui, de surcroît, permettrait d'accompagner la demande montante des adhérents les plus actifs de voir s'ouvrir spontanément des petits groupes de travail entre les participants du réseau.

La jeunesse de l'association interdit néanmoins de spéculer sur son impact réel, présent comme à venir, sur les dispositifs locaux de l'insertion professionnelle. En outre, le caractère informel d'un réseau relationnel empêche une lecture statistique précise de son action. Mais un fait est certain pour son président. « Le développement de Groupie Seine-et-Marne montre qu'il est possible, à terme, de voir un groupe d'acteurs motivés se monter dans chaque département. En les mettant en réseau au niveau national, tous ces gens qui ont envie de bouger seront alors en mesure de démultiplier la circulation des innovations destinées à remettre dans l'emploi les personnes qui s'en sont éloignées. »

Notes

(1) Lorsqu'il était délégué interministériel à l'insertion sociale et professionnelle des jeunes en difficulté (1983-1985).

(2) Contacts : Thierry du Bouëtiez, président - tdubouetiez@ wanadoo.fr ; Séverine Fortrat - groupie.severine@gmail.com - Tél. 06 29 52 83 18.

(3) Site Internet : www.groupie.fr dont une partie est en accès réservé aux membres.

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