Recevoir la newsletter

Emmaüs parie sur la santé et le bien-être de ses résidents

Article réservé aux abonnés

Epauler et former les équipes des accueils de jour et des centres d'hébergement pour qu'elles incitent les usagers sans abri à se soucier de leur santé et les aident à trouver le chemin des filières ordinaires de soins, tel est le rôle du service de santé communautaire de l'association Emmaüs. L'objectif qu'il poursuit est aussi simple qu'ambitieux : améliorer la qualité de la vie des personnes accueillies.

Le diagnostic a été maintes fois posé : induisant des conditions de vie qui accroissent à la fois la vulnérabilité des individus et leur éloignement - concret et symbolique - des lieux de soins, la précarité nuit gravement à la santé. Symétriquement, s'occuper de soi constitue le cadet des soucis des personnes sans abri : elles consacrent l'essentiel de leur énergie à trouver un endroit pour manger, dormir et se laver (1). C'est bien pourquoi, il y a une dizaine d'années, l'association Emmaüs a élargi son traditionnel champ d'action : à l'insertion par le logement et le travail s'est ajouté l'accompagnement à la santé de ses usagers, quelque 3 500 personnes à la rue, qui sont quotidiennement accueillies ou hébergées dans une cinquantaine de centres, à Paris et en Ile-de-France. Parmi elles, souvent d'origine étrangère, beaucoup d'hommes célibataires, mais aussi de plus en plus de femmes, seules ou avec des enfants, et nombre de jeunes errants de 16-25 ans.

C'est dans les « années sida » que l'importance de l'information autour de la santé est apparue cruciale. Cela ne signifie pas qu'auparavant les professionnels d'Emmaüs n'aient pas été à l'écoute des problèmes de santé des usagers. Mais ces derniers étaient relativement peu nombreux à s'en ouvrir à eux. Selon une recherche-action effectuée en 1994 dans les centres Emmaüs par l'association Arcat-Sida, le nombre de personnes séropositives ou malades se révélait largement supérieur à celui dont les professionnels avaient connaissance. Aborder ce genre de sujet avec des interlocuteurs qui prônent l'insertion socio-professionnelle paraissait peut-être risqué aux usagers. Mais avec l'incidence de l'épidémie sur la précarité, c'est le silence qui devenait dangereux. Ainsi sont nés les premiers groupes de parole organisés dans les centres Emmaüs autour de la santé, et une façon particulière d'aborder cette problématique : non pas de manière frontale, individuelle et ciblée, mais dans un cadre collectif, par une approche globale de la personne, de ses besoins et de ses préoccupations. Les médecins de l'équipe mobile de prévention du sida (EMIPS) (2) s'en sont vite rendu compte : avec ce public, moins discipliné que celui qu'ils avaient l'habitude de rencontrer dans les établissements scolaires, pas question de longs discours. « Pour faire passer quelques informations ici et là, il fallait d'abord établir du lien, mettre les gens en confiance », résume Florence de Grammont, coanimatrice de ces rencontres, et cheville ouvrière d'une pédagogie du détour qui, apparemment, vaut bien des raccourcis. Par exemple, en termes de nombre de rendez-vous médicaux pris par les résidents : alors que les incitations directes faites en ce sens par les accueillants portaient peu de fruits, aucun groupe de parole sur le sida ne se terminait sans qu'une notable proportion d'usagers demande un rendez-vous au médecin qui était intervenu.

En effet, commente la psychosociologue, responsable du service de santé communautaire créé en 1999 par l'association (3), « il ne s'agit pas de transformer les structures d'accueil ou d'hébergement d'Emmaüs en dispensaires pour précaires ». Mais de faire en sorte que leur public se sente davantage concerné par les questions relatives à sa santé, en termes de préservation comme de restauration. Et de travailler en réseau avec les professionnels du champ sanitaire, afin de rendre effectif l'accès aux soins des personnes accueillies. Concrètement, cela passe beaucoup par l'organisation de rencontres entre les personnels des différents centres et les acteurs de santé de leur quartier : médecins généralistes, infirmiers, psychiatres du centre médico-psychologique du secteur, praticiens des hôpitaux de proximité... Ces échanges permettent aux équipes d'Emmaüs de savoir qui fait quoi, afin de pouvoir, le moment venu, orienter les usagers vers les intervenants qui leur réserveront un bon accueil et un rendez-vous rapide. « Notre fonction d'accueillants est d'être dans la création de ce lien avec les professionnels, quels qu'ils soient, afin de construire une continuité de l'accompagnement des personnes », résume Florence de Grammont. Un accompagnement qui doit beaucoup au rôle de passerelle joué par certains usagers auprès de leurs pairs qu'ils aident dans leurs démarches, s'aidant par là souvent eux-mêmes aussi à sortir de la galère (voir encadré, page 40).

Pour favoriser prise de conscience et prise en charge de leur santé par les personnes accueillies, l'expérience des groupes de parole, qui avait fait la preuve de son intérêt en matière de prévention du sida, a été reprise et élargie. Grâce à la participation régulière de spécialistes dont la venue est elle-même très valorisante pour les publics, plusieurs milliers de résidents ont chaque année l'occasion d'être informés - et de s'autoriser à débattre - de pathologies qui ont souvent partie liée avec la précarité, comme les dermatoses, les maladies pulmonaires, les infections sexuellement transmissibles, les addictions, la tuberculose, ou la souffrance « morale » - qualificatif moins redouté que celui de « psychique ». Les thématiques choisies étant fonction du profil des usagers réunis, les familles hébergées pourront, également, se voir proposer de réfléchir à l'allaitement maternel, la relation parents-enfants ou la maîtrise de la fécondité.

Pour « réamorcer la pompe du désir » de personnes dont l'une des caractéristiques est le découragement, explique Florence de Grammont, des activités d'hygiène et de bien-être sont par ailleurs fréquemment organisées. Sources de plaisir et d'une meilleure image de soi, elles fonctionnent comme de « mini-traumatismes positifs, permettant de court-circuiter le train-train de la misère et de l'exclusion », souligne leur promotrice. Des professionnels du paramédical, de la relaxation ou de l'esthétique (podologues, réflexologues, masseurs, esthéticiennes) viennent ainsi dans les accueils de jour et les centres d'hébergement effectuer bains de pieds, massages et soins du visage. Ce faisant, ils s'efforcent souvent aussi de transmettre certaines connaissances aux accueillants, afin de leur permettre de prendre le relais. Un tel transfert de savoir-faire a notamment permis de multiplier, dans de bonnes conditions d'hygiène, les séances de bains de pieds, très précieuses pour un public qui doit quotidiennement se rendre dans diverses associations chercher des aides. Sur plusieurs sites de l'association, des infirmiers psychiatriques participent à ce genre d'interventions axées sur la détente des usagers : celles-ci ne délient pas seulement les muscles, mais aussi les langues, alors que les permanences d'écoute que ces psys avaient tenté d'instaurer ne faisaient pas recette.

Aller chercher les compétences là où elles sont pour épauler les accueillants et les aider à impulser une diversité d'actions de promotion de la santé et du bien-être : telle est la méthodologie du service de santé communautaire. A cet égard, le projet « Manger bouger », qui a démarré en avril dernier, est exemplaire d'une démarche conjuguant pragmatisme et inventivité. Déclinaison « maison » du Programme national nutrition et santé qui, pour le grand public, se résume souvent à une furtive injonction figurant au bas d'annonces publicitaires, cette initiative, financée par le Plan régional de santé publique, est le fruit d'une large concertation (4). Le projet vise à lancer, dans l'ensemble des structures d'Emmaüs, une dynamique autour de la santé alimentaire et de l'activité physique. Certaines actions dans ces domaines existent déjà ici et là, en particulier autour de la nutrition, comme les « ateliers gourmands » avec confection hebdomadaire d'un repas communautaire, organisés au centre d'hébergement et de réinsertion sociale Valmy dans le Xe arrondissement de Paris, ou les « Points vitamines » implantés dans plusieurs centres du Val-de-Marne, qui permettent de consommer quotidiennement soupes de légumes et jus de fruits frais. Pour étendre ce type d'opérations à l'ensemble des sites, 150 personnes-relais - salariées ou bénévoles - devraient bénéficier, au cours des trois prochaines années, d'une formation de deux jours. Le but n'est pas de transformer ces intervenants en animateurs sportifs ni en experts de la diététique, mais de nourrir leurs savoir-faire d'un zeste de professionnalisme afin qu'ils puissent initier, avec les usagers, des activités joignant l'utile à l'agréable, le goût de bouger son corps et le sens de l'effort, l'alimentation-plaisir et l'apprentissage de conduites à même de prévenir l'obésité des enfants et le développement de maladies liées à la malnutrition, comme le diabète ou les atteintes dentaires.

En termes d'efficacité pédagogique, comme de respect des personnes accueillies, Michel Csaszar Goutchkoff, médecin inspecteur de santé publique de la DASS de Paris, juge très pertinente cette « façon d'entrer dans la santé, non par des interdits mais par des actions positives, qui constituent des outils de reconstruction personnelle et d'estime de soi, pas uniquement des instruments de sauvetage ». En permettant aux accueillants d'enrichir leurs pratiques et d'élaborer des projets motivants avec les usagers, cette approche est également un moyen d'éviter l'usure de professionnels aux formations et niveaux de qualification très divers. Simultanément, il s'agit tout autant d'améliorer la qualité de vie des personnes accueillies. Pour un public désormais amené à résider plus longtemps dans les centres d'hébergement (5), cette stabilisation vaudrait vite enfermement si elle n'était pas assortie d'activités alimentant l'envie de se projeter dans l'avenir.

DES MÉDIATEURS SPÉCIALISÉS

Salariés, bénévoles, usagers : dans l'esprit d'un partage des savoirs, c'est toujours à l'ensemble des acteurs de l'association que le service de santé communautaire propose de participer aux formations qu'il organise. Certains usagers manifestent un intérêt particulier pour ces actions de promotion de la santé : ils se voient offrir la possibilité de s'y impliquer plus avant et de devenir de véritables relais santé pour leurs pairs. A cet effet, les volontaires ont d'une part à acquérir des connaissances leur permettant de se repérer dans les arcanes du réseau sanitaire et social. Ils sont, d'autre part, amenés à travailler sur leur comportement afin de ne pas adopter une attitude de supériorité vis-à-vis des autres usagers. Il n'est pas question non plus pour eux de se prendre pour des soignants : même si la plupart des relais santé sont des étrangers ayant une formation médicale ou paramédicale, ils n'ont pas à se substituer aux professionnels de santé. Leur rôle - bénévole - est un rôle d'écoute, de sensibilisation et d'information de leurs co-équipiers de galère, qu'ils orientent dans leurs démarches d'accès aux soins et aux droits, et accompagnent physiquement, si nécessaire. En outre, formés à certaines techniques, comme les massages, les relais santé peuvent également les mettre en oeuvre.

Depuis 1999, une quarantaine de personnes sont devenues des relais santé, quatre le sont actuellement. En général, les relais santé exercent rarement cette fonction plus de deux ans. Qu'ils professionnalisent ou pas l'expérience ainsi acquise, celle-ci se révèle constituer un efficace tremplin les aidant à sortir de la précarité.

Notes

(1) Données issues d'une enquête réalisée en décembre 2005 par l'institut de sondage BVA auprès de 401 personnes sans abri reçues dans les accueils de jour et centres d'hébergement de l'association Emmaüs : celles-ci placent la santé au cinquième rang de leurs préoccupations après les trois priorités citées, suivies du souci de se déplacer.

(2) Dépendant de la direction de l'action sociale, de l'enfance et de la santé de la Ville de Paris et élargie aujourd'hui à la prévention de santé.

(3) Association Emmaüs - Service de santé communautaire : 32, rue des Bourdonnais - 75001 Paris - Tél. 01 44 82 77 20.

(4) Son comité de pilotage réunit notamment : la direction de l'action sanitaire et sociale de Paris (DASS), la caisse régionale d'assurance maladie d'Ile-de-France, le comité régional d'éducation pour la santé d'Ile-de-France, la direction régionale Jeunesse et sports, la Fédération française EPMM Sports pour tous, la PASS (Permanence d'accès aux soins de santé) bucco-dentaire, le réseau Paris-Diabète, l'Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie, l'Association pour la communication, l'espace et la réinsertion des malades addictifs et l'organisme de recherche-action 2IRA, chargé de procéder à l'évaluation continue du projet.

(5) Pour lutter contre la spirale des remises à la rue, la loi du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable, dite « loi DALO », prévoit une possibilité de stabilisation des personnes accueillies en centre d'hébergement d'urgence jusqu'à ce qu'une orientation adaptée leur soit proposée - Voir ASH n° 2496 du 2-03-07, p. 21.

LES ACTEURS

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur