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La commission Mazeaud défavorable tant aux quotas d'immigration qu'à l'unification du contentieux des étrangers

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«Instaurer des quotas d'immigration, unifier le contentieux des étrangers : est-ce possible ? Est-ce utile et dans quels buts ? » Telles étaient les deux questions posées à la « commission sur le cadre constitutionnel de la nouvelle politique d'immigration » présidée par Pierre Mazeaud, ancien président du Conseil constitutionnel, et installée en février dernier par Brice Hortefeux (1). Après plusieurs mois de travaux, l'instance composée notamment de parlementaires, de juristes et d'économistes a remis son rapport le 11 juillet au ministre de l'Immigration (2). Ses conclusions portent un coup sévère à deux des principales réformes envisagées par le gouvernement en matière de droit des étrangers, l'instauration de quotas migratoires contraignants et l'unification juridictionnelle du contentieux de l'entrée et du séjour des étrangers.

Des objectifs chiffrés indicatifs plutôt que des quotas

La commission rejette donc, en premier lieu, l'idée d'instaurer des quotas d'immigration, pour laquelle Nicolas Sarkozy a plaidé à plusieurs reprises depuis son élection à l'Elysée. Aux yeux des experts, une politique de contingents migratoires limitatifs (3) serait « irréalisable », « inefficace » ou, au mieux, « sans intérêt ». Irréalisable s'agissant des étrangers arrivant en France au titre du regroupement familial ou de l'asile, la fixation de quotas en la matière étant « incompatible avec nos principes constitutionnels et nos engagements européens et internationaux ». Une politique de quotas serait par ailleurs « inefficace », par définition, contre l'immigration irrégulière, « l'affichage d'un contingent [pouvant] même avoir, paradoxalement, un effet incitatif. » Reste l'immigration de travail, la seule finalement susceptible d'être contingentée. Mais pour les membres de la commission, des quotas de travail unilatéraux ne sont nécessaires ni à la maîtrise de l'immigration de travail, ni à la couverture des besoins de main-d'oeuvre non satisfaits. En effet, des instruments comme les titres de séjour « compétences et talents » ou les accords avec les pays d'origine permettent déjà une régulation, soulignent-ils.

Débordant le cadre qui lui avait été fixé, la commission Mazeaud s'est, par ailleurs, penchée sur la question de la maîtrise des flux migratoires en général pour faire, au final, plusieurs propositions. Ainsi, elle plaide notamment pour la mise en place en France d'un outil statistique fiable en matière migratoire « afin de mieux connaître les caractéristiques de la population de notre pays et d'adapter en conséquence les politiques publiques, notamment celle de l'intégration ». Aussi et surtout, elle propose que le Parlement puisse se prononcer sur l'ensemble de la politique migratoire, d'une part en débattant d'un rapport annuel sur les migrations plus complet que celui que lui remet chaque année le gouvernement et, d'autre part, en examinant périodiquement un « projet de loi de programme », texte qui organiserait ces migrations « sur la base d'objectifs chiffrés indicatifs ». Ceux-ci permettraient « de spécifier et de quantifier les besoins », explique le rapport. « Assortis d'indicateurs destinés aux principaux acteurs de la politique de l'immigration, ces objectifs seraient un guide utile à nos ambassades, consulats et préfectures. » Saisissant la balle au bond le jour même de la remise du rapport, Brice Hortefeux a annoncé la préparation d'un projet de loi de programme 2009-2012 « afin de fixer des objectifs chiffrés d'immigration qui concerneront à la fois le nombre global d'immigrants et leur ventilation par catégories et par motifs d'entrée en France ». Une déclaration qui fait naître une interrogation : défini comme tel, en quoi un objectif chiffré d'immigration serait-il différent d'un quota ? Une chose est sûre : il y a une différence importante entre des contingents ou plafonds impératifs et des objectifs purement indicatifs. Les premiers sont normatifs, contraignants. Pas les seconds.

Autre recommandation de la commission : généraliser d'ici à 2012 à l'ensemble des principaux pays sources de l'immigration en France les accords bilatéraux sur la gestion concertée des flux migratoires, prévoyant notamment des plafonds indicatifs d'accueil de l'immigration régulière. A l'heure actuelle, sur les cinq déjà signés - Bénin, Congo, Tunisie, Gabon et Sénégal -, seul celui avec le Gabon a été ratifié. Ceux signés avec le Bénin et le Congo devraient suivre. Brice Hortefeux a indiqué qu'il s'engagerait bien vers une généralisation de ce type d'accords, soulignant que plusieurs autres pays comme l'Egypte ou le Cap-Vert sont « demandeurs ».

L'unification du contentieux des étrangers écartée

La commission Mazeaud devait aussi étudier le moyen de simplifier voire d'unifier le contentieux de l'entrée, du séjour et de l'éloignement des étrangers. « L'organisation actuelle - qui confie aux deux ordres de juridiction et parfois, en leur sein, à des juridictions spécialisées le soin de contrôler les décisions administratives prises en ces matières - entraîne par sa complexité des inconvénients tant pour les étrangers intéressés que pour la bonne exécution des mesures d'éloignement les concernant », expliquait Brice Hortefeux dans sa lettre de mission. A cet égard, l'instance ne nie pas que la dualité de juridiction dans le domaine du contentieux des étrangers pose problème et contribue à asphyxier les tribunaux. Pour autant, elle considère qu'une unification juridictionnelle - au sein de l'ordre administratif, de l'ordre judiciaire ou au bénéfice d'une juridiction spécialisée - présenterait de nombreux inconvénients et des avantages trop aléatoires pour justifier une réforme aussi lourde et prêtant autant le flanc aux polémiques. « Très difficilement réalisable », elle ne répondrait aux attentes placées en elle « ni au regard de la charge de travail des juridictions, ni du point de vue de l'effectivité des mesures de reconduite des étrangers en situation irrégulière », assure le rapport.

Des solutions plus efficaces seraient plutôt à rechercher dans une simplification des procédures et un renforcement des moyens du côté, par exemple, des services des étrangers dans les préfectures. « S'ils étaient mieux formés, plus qualifiés et disposaient de plus de temps, [les agents] diligenteraient les procédures à meilleur escient, décèleraient mieux les cas appelant une bienveillance ou au contraire une sévérité particulières [ou encore] traiteraient plus rapidement les dossiers ne présentant pas de difficulté et consacreraient plus de temps à ceux qui méritent attention. »

La commission recommande également la mise en place, au niveau départemental, d'un mécanisme de filtrage préalable à toute saisine du juge. « Ce filtrage reposerait sur une instance collégiale apte, par sa composition, à évoquer tous les aspects du dossier de l'intéressé (liens familiaux avec la France, qualité de l'intégration, etc.) après s'être expliquée avec lui », indique le rapport. « Cette instance serait compétente pour l'ensemble des décisions administratives portant retrait, refus de délivrance ou refus de renouvellement de carte de séjour lorsque l'étranger demandeur réside en France et fait la demande pour lui-même. » Sa saisine n'aurait pas d'effet suspensif.

Autre proposition, parmi d'autres : l'insertion, dans la partie législative du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, d'une disposition invitant le juge à ne pas considérer toute irrégularité comme portant atteinte aux droits de l'étranger et à distinguer les règles présentant un caractère substantiel de celles dont la méconnaissance ne conduit pas à elle seule à la remise en liberté. En effet, « il convient d'éviter des vices de procédures conduisant à la libération automatique d'étrangers dont la situation, sur le fond, justifie l'éloignement », explique la commission.

Le ministre de l'Immigration a indiqué avoir demandé à ses services d'étudier, en lien avec la chancellerie, les propositions de simplification des procédures contentieuses, « en vue de préparer, d'ici à la fin de l'année, un projet de loi et des projets de décrets ». Evoquant la position de monopole de la Cimade au sein des centres de rétention administrative (4), il a également annoncé qu'un décret visant à introduire davantage de diversité dans l'accomplissement de la mission d'assistance juridique des étrangers retenus sera présenté « dans les prochains jours » en Conseil d'Etat.

Notes

(1) Voir ASH n° 2545 du 15-02-08, p. 18.

(2) Rapport disponible sur www.immigration.gouv.fr.

(3) Contingent global, sous-contingents pour chaque type d'immigration ou sous-contingents par régions du monde ou nationalités.

(4) La Cimade est aujourd'hui la seule association habilitée, par une mission confiée par l'Etat, à pénétrer dans les centres de rétention administrative.

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