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L'ordonnance de 1945 vue par les mineurs : un système complexe, où priment les expériences valorisantes

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Le regard des mineurs sur l'ordonnance du 2 février 1945 renvoie à une conception principalement « rétributive » (ce qui relève de la punition, de la condamnation) de la justice, dont le fonctionnement « semble reposer en partie sur une logique d'escalade, du moins contraignant vers le plus coercitif, logique dans laquelle placement et prison constituent des interventions de dernier recours ». C'est l'une des principales conclusions d'une étude sur les « aspects de l'ordonnance de 1945 vue par 331 mineurs » (1) achevée en avril dernier par l'inspection des services de la protection judiciaire de la jeunesse et remise en juin à André Varinard, afin d'alimenter la réflexion de la commission qu'il préside sur la réforme du texte. Le document confirme aussi « la complexité du droit pénal des mineurs qui peut entraîner une perte de repères », les jeunes opérant « des regroupements et des simplifications qui leur permettent de reconstruire une loi pénale accessible à leur entendement », constate l'inspection. Elle précise toutefois que si les mineurs intègrent un certain discours sociétal sur le rôle de la justice pénale, « la justice des mineurs, si elle veut être opérante, ne peut se contenter d'un fonctionnement où elle répond à la réitération par la seule aggravation des sanctions ».

Cette étude, qui ne se prétend pas exhaustive et a le mérite de donner le point de vue des « usagers » de l'ordonnance de 1945, a été réalisée à partir d'entretiens avec 331 mineurs et jeunes majeurs (sur près de 90 000 jeunes pris en charge) de dix régions relevant de différents types de structures. Un sur deux était accueilli dans un centre d'action éducative. La grande majorité (88 %) sont des garçons, la tranche d'âge la plus représentée est celle des 16-18 ans, l'âge moyen étant de 16 ans et demi.

Des réponses graduées

Près de la moitié des jeunes résident habituellement chez leur mère et 30 % chez leurs deux parents vivant ensemble. Les autres habitent chez leur père ou un autre membre de la famille, en foyer ou en famille d'accueil. 60 % des jeunes interrogés indiquent ne plus fréquenter de dispositif scolaire ou de formation professionnelle de droit commun. 45 % ont fait l'objet d'au moins trois procédures pénales et plus. Les atteintes aux personnes, de gravité inégale, représentent 45 % du total des infractions commises (infractions comportant des violences, infractions sexuelles, outrages, rebellions, menaces).18 % cumulent de 6 à 13 mesures ou peines, alors que 60 % ont fait l'objet de une à trois mesures ou peines. « Le recours répété à un même type de mesure ou peine pour un même mineur est marginal, sauf en ce qui concerne l'incarcération, la liberté surveillée et le sursis avec mise à l'épreuve, commente l'inspection. Seuls quatre mineurs ont fait l'objet à plusieurs reprises d'une admonestation. » Au regard de ces parcours, la pratique judiciaire « s'inscrit le plus souvent dans une logique de gradation des réponses de plus en plus contraignantes en fonction du degré de réitération ».

Qu'attendent les mineurs de la justice pénale ? Pour la grande majorité, « l'office de la justice serait avant tout de sanctionner et de punir ». Ceux qui ont fait ou font l'objet d'une mesure d'assistance éducative « ne font aucune confusion entre le rôle du juge des enfants au pénal et sa fonction de protection au titre de l'enfance en danger ». Néanmoins, interrogés sur la différence, dans un cadre pénal, entre une mesure éducative et une peine, seule une minorité parvient « à restituer une perception claire de cette distinction ». Si la plupart définissent spontanément les décisions prises par un magistrat statuant au pénal « comme des mesures de surveillance et de punition », il faut, dans leurs interprétations, prendre en compte le fait que les mineurs sont souvent très mal à l'aise avec le maniement des abstractions, dont relève l'éducation et sa mise en oeuvre dans le temps. Pour eux, « la justice doit donner une réponse proportionnée à la gravité des actes commis ». Il ressort finalement de leurs réponses un rapport peu conflictuel au droit et à la justice, avec « une exigence de loyauté et de cohérence ». Avec deux bémols cependant : cette conflictualité est plus marquée lorsque les réponses deviennent plus intrusives dans le quotidien des jeunes (la présence d'éducateurs de la PJJ dans les quartiers par exemple) ou quand il s'agit d'aborder la place de la victime, « qui fait souvent l'objet a priori d'un discours de rejet ou stigmatisant ».

Si, pour la grande majorité des répondants, la présence des parents compte durant la procédure, dans les faits, une petite majorité indique que ces derniers ont joué un rôle durant la mesure ou la peine dont ils ont fait l'objet, soit en les aidant et en les soutenant (36 %), soit en exerçant une surveillance et un contrôle accrus (17 %).

Des mesures peu lisibles

Quelle lisibilité des mesures et des peines pour les mineurs ? Il apparaît que les termes les moins bien compris sont l'admonestation, la sanction éducative et le placement à l'extérieur. La liberté surveillée, « prise au pied de la lettre » (objectif de contrôle, et non de rééducation), et le sursis avec mise à l'épreuve (compris comme un sursis simple), font également l'objet d'un faible taux de réponse correcte (11 % et 12 %). La mesure de réparation est souvent confondue avec le travail d'intérêt général et le contrôle judiciaire est rarement perçu comme une mesure avant jugement. Les termes qui désignent les mesures d'aménagement de peine, hormis le placement à l'extérieur, bénéficient quant à eux d'une meilleure compréhension. Au total, la technicité ou le caractère désuet de certaines expressions (comme l'admonestation), le fait que le contenu des mesures ou peines ne corresponde pas à ce que leur intitulé suggère ou le caractère trop abstrait ou complexe de certaines mesures entrave la bonne compréhension par les mineurs des termes judiciaires.

Lorsqu'ils sont interrogés sur « ce qui fait réellement peine », la majorité des répondants citent la séparation, d'avec la famille ou les amis et les fréquentations, la souffrance causée aux parents, mais aussi l'accomplissement d'efforts quotidiens dans un temps donné. Certains disent même mieux supporter l'enfermement que la soumission « à des règles strictes telles que définies en centre éducatif renforcé ou en centre éducatif fermé ».

Mais l'étude fait apparaître, au-delà de la question de la lisibilité des mesures et des peines, l'importance que les mineurs accordent aux relations nouées avec les adultes. Ainsi en est-il d'expériences de TIG ou de réparation indirecte. « Les dates, les phases de procédures, les paroles ou les écrits judiciaires semblent assez largement «glisser», ne pas marquer leur esprit. Ce sont les émotions ressenties, les événements, les rencontres fortes, qu'ils soient traumatiques ou heureux, qui sont le plus souvent restitués au cours des entretiens. » Quelles que soient les mesures ou les peines, les entretiens font surtout apparaître « un besoin d'expériences de vie valorisantes, de rencontres et d'échanges avec des adultes contenants, disponibles, aux parcours de vie et métiers diversifiés », concluent les auteurs.

Notes

(1) « Aspects de l'ordonnance du 2 février 1945 vue par 331 mineurs » - Direction de la protection judiciaire de la jeunesse - Avril 2008.

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