Taux de chômage près de deux fois supérieur à celui des autres jeunes, déjà anormalement élevé (1), faiblesse ou inadéquation de leur formation initiale, discriminations liées à leur origine ou à leur adresse... Les difficultés des jeunes des quartiers populaires sont bien connues et le fait qu'elles soient, sur de nombreux points, plus prononcées que celles auxquelles sont confrontés les autres jeunes n'est plus à démontrer. « Les conséquences en sont lourdes, tant en termes d'insuffisance de revenus que sur un plan plus global avec un sentiment d'injustice et une perte d'estime de soi, engendrant des comportements de repli et de rejet. » Jugeant cette « situation inacceptable », le Conseil économique et social (CES) formule, dans un avis présenté par l'ancien président de SOS Racisme Fodé Sylla et adopté le 9 juillet, à la quasi-unanimité (2), une série de propositions visant à activer, au bénéfice de ces jeunes, chaque maillon de la chaîne de l'emploi.
Au croisement des politiques de la ville et de l'emploi des jeunes, le chantier de l'emploi des jeunes des quartiers populaires a fait l'objet d'une nouvelle orientation conjuguant ces deux logiques, rappelle au préalable le CES. « Initiée par le plan de cohésion sociale en 2005, elle est reprise par le plan Espoir banlieues (3) qui ne paraît pas cependant, malgré une annonce ambitieuse, porteur de changements en profondeur », juge l'instance.
L'enjeu est d'abord celui de la lutte contre l'échec scolaire et de la préparation et de l'accompagnement à l'insertion professionnelle. Pour le conseil, il s'agit de permettre une meilleure connaissance du monde du travail à l'école, de renforcer et de mieux cibler les moyens dévolus aux zones d'éducation prioritaires et de soutenir les acteurs de l'accompagnement scolaire, en particulier le milieu associatif, en faveur des familles les plus démunies. Il importe ensuite de faire de l'orientation un enjeu majeur. Pour y parvenir, le CES rappelle la nécessité de créer un service public de l'orientation associant le monde de l'entreprise aux côtés du système éducatif. Les stages doivent par ailleurs constituer « un moment utile à l'orientation » en assurant un égal accès pour les jeunes, qui « ne bénéficient pas tous des moyens et des réseaux nécessaires pour trouver une entreprise ». D'autre part, il est nécessaire d'anticiper davantage l'adéquation entre formation initiale et besoins économiques. Enfin, il faut accompagner les jeunes vers l'emploi en assurant la transition vers le marché du travail dès la fin de la période scolaire et en leur offrant un véritable appui individualisé et durable.
Pour le CES, les entreprises doivent diversifier les modalités de recrutement, sans pour autant développer le recours au curriculum vitae (CV) anonyme.
L'instance juge par ailleurs utile d'élargir l'accès aux emplois publics pour les étrangers, en supprimant des interdictions non justifiées, et de réfléchir aux modalités des concours d'entrée dans la fonction publique, « parfois trop académiques ».
Autre priorité pour le CES : améliorer l'environnement global de l'emploi, ce qui passe, selon lui, par le développement de l'activité économique et la revitalisation des quartiers. Concrètement, le conseil propose d'imaginer un système de zones franches urbaines qui serait attaché, pour les exonérations sociales, non pas au lieu d'implantation de l'entreprise, mais au lieu de résidence des salariés recrutés. Il préconise aussi d'étendre à d'autres opérations la clause d'insertion professionnelle prévue dans les marchés publics de rénovation urbaine. Il convient également, selon lui, d'utiliser les possibilités d'emploi offertes par les secteurs en difficulté de recrutement et de faciliter la création d'entreprise de façon pérenne par un accompagnement durable du jeune concerné.
Sur un autre plan, il s'agit de faciliter la recherche d'emploi et la mobilité des jeunes. Leur autonomie doit être développée tant au niveau des transports publics que pour l'acquisition du permis de conduire, estime le CES. La question du logement doit également être abordée par la mobilisation tant du parc privé que des logements sociaux et l'augmentation du nombre de logements dans le cadre des résidences sociales pour les jeunes, notamment des foyers de jeunes travailleurs. Il convient en outre de répondre aux difficultés de garde d'enfants et de prendre en compte les problèmes de santé dans l'accompagnement à l'emploi, « comme le font les missions locales dans leur approche globale de la situation du jeune ». Enfin, les dysfonctionnements posés par les fichiers de police judiciaire, utilisés dans le cadre d'enquêtes administratives, doivent être réglés « afin que les jeunes ne soient pas durablement écartés de possibilités d'emplois du fait d'erreurs passées ».
Le conseil juge aussi nécessaire de renforcer la lutte contre les discriminations « en considérant que sanction et prévention sont indissociables ». Il propose entre autres d'améliorer l'application de la loi, notamment sur la charge de la preuve. Et suggère que les sanctions pour discrimination soient inscrites parmi les critères d'interdiction d'accès aux marchés publics. Lutter efficacement contre les discriminations suppose, en amont, de former et de sensibiliser des agents du service public à cette thématique. Pour le CES, il convient également de sensibiliser les salariés et leurs représentants, et de développer des actions spécifiques en direction des petites entreprises.
D'autre part, pour éviter qu'un CV ne soit écarté du seul fait de l'adresse d'un candidat habitant un quartier stigmatisé, le conseil propose d'introduire dans la loi l'interdiction de discrimination en fonction du lieu de résidence.
« L'enjeu national de l'emploi des jeunes des quartiers suppose une réelle mobilisation de l'Etat et l'identification, en son sein, d'un responsable institutionnel au niveau national », juge encore le CES.
Selon l'instance, il importe aussi de faire évoluer les missions locales, en particulier en confortant leur place au sein du service public de l'emploi en mutation, afin de renforcer leur rôle d'acteur privilégié pour l'emploi de tous les jeunes.
(1) Pour l'année 2006, la population des quartiers populaires (1,6 million d'actifs, c'est-à-dire en emploi ou en en recherche d'emploi) connaît un taux de chômage de 19,5 %, alors qu'il est de moins de 10 % au niveau national. Pour les jeunes actifs de moins de 25 ans, cette proportion s'élève à 38,1 %, contre 22,2 % en moyenne nationale pour cette même catégorie.
(2) L'emploi des jeunes des quartiers populaires - Disponible sur