La mission commune d'information du Sénat sur les politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion a rendu public le 7 juillet un rapport qui analyse les causes et les composantes de la pauvreté et formule 82 propositions pour garantir l'efficacité des politiques mises en oeuvre en la matière (1). Pour son rapporteur Bernard Seillier, sénateur (RDSE) de l'Aveyron et président du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion, ce travail a été rendu nécessaire du fait de la persistance de la pauvreté à un niveau élevé - plus de sept millions de personnes (soit 12 % de la population) vivent en dessous du seuil de pauvreté, fixé à 60 % de la médiane des niveaux de vie, soit 817 € par mois pour une personne seule -, de l'augmentation du nombre de travailleurs pauvres (7 % de la population active) et du nombre élevé de sans domicile fixe. Le document se consacre ainsi aux outils permettant de mieux mesurer la pauvreté et l'exclusion, s'interroge ensuite sur le rôle de l'école dans la réduction de la pauvreté et dans la prévention de l'exclusion sociale, ainsi que sur celui de l'insertion par l'activité économique, « qui doit devenir une priorité ». Au-delà, la mission souligne également la « complexité excessive » de la gouvernance en matière de politique de lutte contre l'exclusion, qui requiert, selon elle, une « indispensable simplification » articulée autour de deux aspects complémentaires : l'approfondissement de la décentralisation et la mise en place d'une gouvernance territoriale efficace.
Pour mesurer la pauvreté, la France et l'Union européenne ont opté pour des indicateurs monétaires relatifs, c'est-à-dire purement quantitatifs et qui se fondent soit sur le revenu, soit sur la consommation. En outre, l'actuel gouvernement a choisi de suivre l'évolution d'un taux de pauvreté « ancré dans le temps », calculé en prenant comme seuil de pauvreté celui de 2005, augmenté de l'inflation (2). Cette approche, qui fait varier les seuils uniquement en fonction de l'inflation, est critiquée par la mission, qui lui reproche de ne pas prendre en compte l'augmentation continue des niveaux de vie résultant de la croissance du produit intérieur brut en volume. « Or, dans un contexte non récessif, la diminution des taux de pauvreté ancrés dans le temps est une tendance prévisible, liée à l'augmentation des revenus et indépendante de tout effort de réduction de la pauvreté », explique-t-elle. Il convient donc de compléter cette approche monétaire de la pauvreté avec des « éléments plus qualitatifs relatifs aux conditions de vie des individus » et par des « informations concernant l'accès à des éléments de bien-être et à des ressources fondamentales, telles que le logement, l'éducation, l'accès aux services de santé ». Au-delà, le rapporteur de la mission préconise de « définir des indicateurs d'alerte publiables rapidement afin de pouvoir infléchir les politiques conduites sur le fondement de remontées d'expériences des acteurs de terrain ».
Comme le dernier rapport de l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale qui a mis en évidence la dégradation de la situation des plus pauvres et de leurs conditions de vie (3), la mission sénatoriale s'inquiète des difficultés croissantes d'accès à certains droits. S'agissant de l'accès aux soins par exemple, un tiers des bénéficiaires potentiels n'a pas recours à la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C) ou à une aide pour la financer. Selon diverses études, cette situation résulte notamment de la « méconnaissance des droits en l'absence d'une information suffisamment accessible, compréhensible et personnalisée, de difficultés ou de découragement pour faire valoir ses droits du fait de la complexité des démarches administratives, d'attitudes de repli ou de craintes d'une stigmatisation », rapporte la mission. Aussi préconise-t-elle entre autres de généraliser les permanences d'accès aux soins de santé (PASS), « notamment dans les zones rurales faiblement pourvues en médecins ou services de santé, et de développer les PASS dentaires, pédiatriques et psychiatriques pour pallier les défauts de soins et de prise en charge dans ces trois spécialités ». Elle suggère aussi d'envisager une « affiliation automatique » à l'aide à l'acquisition d'une couverture complémentaire santé, à la CMU et à la CMU-C pour les bénéficiaires des minima sociaux dont les revenus n'excèdent pas les plafonds de ressources ou de revaloriser les plafonds de la CMU-C au moins au niveau du seuil de pauvreté fixé à 50 % du revenu médian, soit 681 € par mois.
Du côté de la lutte contre l'exclusion bancaire, la mission reconnaît quelques avancées : grâce à la procédure du droit au compte, plus de 100 000 ouvertures de comptes ont pu être réalisées en quatre ans. Et le nombre de désignations d'établissements bancaires (4), qui a atteint 30 500 en 2006 et 2007, s'est aujourd'hui stabilisé, une évolution qui résulte à la fois d'un « assouplissement des conditions d'ouverture des comptes payants par certains réseaux bancaires et de l'absence de campagne d'information en 2007 ». Toutefois, estiment les sénateurs, « l'année 2008 devrait voir une recrudescence du nombre de recours à cette procédure du fait de l'entrée en vigueur du nouveau dispositif de domiciliation des personnes sans domicile stable issu de la loi DALO du 5 mars 2007 » (5). Aussi préconisent-ils d'aller plus loin, par exemple en « plafonn[ant] les frais bancaires liés aux incidents de paiement grâce à la mise en place d'un «forfait annuel bancaire de solidarité» pour les ménages bénéficiaires du droit au compte englobant l'ensemble des coûts liés aux découverts (agios, rejet de chèque sans provision...) ». Mais aussi, afin de mieux prévenir le surendettement, en développant « la médiation bancaire comme mode alternatif de règlement des litiges entre le client et sa banque, grâce à la création d'un répertoire des médiateurs disponible sur Internet et l'élargissement [de leurs] compétences légales aux questions relatives au crédit et à l'épargne ».
Souhaitant comprendre les raisons pour lesquelles les gens « tombent » dans la pauvreté et la précarité, la mission s'est attachée à étudier le rôle de l'école dans la réduction de la pauvreté et dans la prévention de l'exclusion sociale. Son constat : « une grande part des adultes pauvres sont en fait nés pauvres ». Aujourd'hui, 50 % des jeunes Français sortis de l'école à 17 ans sans diplôme vivent dans 20 % des ménages les plus pauvres. Pourquoi les pauvres ne réussissent pas à l'école ? Plusieurs facteurs sont invoqués, comme le lien entre milieu social et familial et performances scolaires ou l'influence du niveau d'instruction de la famille. Quoi qu'il en soit, pour les sénateurs, « les inégalités scolaires se constituent surtout à l'école primaire et sont quasiment irrémédiables ensuite ». C'est pourquoi ils saluent les mesures prises dans le cadre de la loi d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école du 23 avril 2005 (6), telles que la définition d'un socle commun de connaissances et de compétences, l'évaluation dès le CE1 et la mise en place de dispositifs d'aide individualisée. Toutefois, soulignent-ils, des efforts doivent être faits sur la pédagogie scolaire, « inadaptée aux élèves issus de milieux populaires, dont la culture relève davantage «de formes sociales orales à faible degré d'objectivation du savoir», peu mises en valeur à l'école ».
La mission considère également que « les conditions de réussite d'une politique visant à rendre les enfants capables passe par la définition d'une véritable politique sociale des établissements scolaires, la mise en place d'une orientation active (7), l'encouragement de dispositifs innovants [...] et la concrétisation de partenariats entre l'école et l'extérieur permettant d'agir sur les facteurs extrascolaires de réussite de l'élève ».
Même si les dispositifs d'insertion par l'activité économique (IAE) mobilisent de très nombreux acteurs et touchent un vaste public, ils sont encore « largement » perfectibles. Un constat partagé par les participants au « Grenelle de l'insertion » (8). De l'avis même du Conseil national de l'insertion par l'activité économique (9), le système d'IAE doit faire face à une « aide insuffisante, complexe et instable des pouvoirs publics », à une « gouvernance totalement inadéquate » et dont les « résultats à l'efficacité [sont] variables selon les structures ». Quant aux parcours d'insertion, ils sont « partiellement inadaptés aux besoins » : insuffisance des formations de salariés, absence de formation spécifique du personnel des structures d'insertion et manque d'attractivité. Autre axe de travail nécessaire, selon les sénateurs : la simplification des contrats aidés, une des réformes sur laquelle s'est déjà engagé le gouvernement dans la foulée du « Grenelle de l'insertion ». Les élus critiquent en effet « l'empilement des dispositifs nuisant à la lisibilité du système », leur « coût élevé pour une gestion incohérente », une « plus-value réduite en termes de qualification et de formation ». Au final, ils estiment aujourd'hui « indispensable de passer d'une logique administrative à une logique contractuelle, en sollicitant et en obtenant l'adhésion de tous les acteurs à une stratégie d'insertion déclinant des objectifs, des moyens et les outils d'évaluation correspondants ».
La mission considère en outre que les entreprises doivent être incitées à « mettre en place des instruments de formation adaptés au profil de leurs travailleurs les moins qualifiés », en leur permettant par exemple de « suivre un parcours de formations qualifiantes, voire diplômantes ». Les autorités publiques doivent, elles, rendre plus attractive la validation des acquis de l'expérience. Comment ? Par une simplification des démarches et un assouplissement des critères « trop abstraits qui réclament des connaissances par trop théoriques traditionnelles », auxquels il faudrait préférer la prise en compte des expériences vécues et des compétences para-professionnelles.
(1) Rapport d'information n° 445 - La lutte contre la pauvreté et l'exclusion : une responsabilité à partager - Juin 2008 - Disponible sur
(4) En cas de refus de la part de l'établissement bancaire choisi, le demandeur peut saisir la Banque de France afin qu'elle lui désigne soit un établissement de crédit, soit les services financiers de La Poste pour lui ouvrir un compte.
(7) La mission propose ainsi d'imposer un stage annuel en entreprise à l'ensemble des élèves de la quatrième à la seconde, permettant d'« affiner leurs goûts, de renforcer leurs convictions et de choisir l'orientation plutôt que de la subir ».